L’Eté au Frac Occitanie

Gregory Forstner, au Frac Occitanie
Notre Frac est sur tous les fronts pour fêter le retour à la vie d’avant, si critiquée naguère pourtant. D’abord en ses locaux montpelliérains avec une exposition de peinture, ce qui pourrait surprendre les réfractaires impénitents, a fortiori à l’huile ou au fusain, – et de surcroît figurant des bouquets de fleurs de diverses espèces, dédiées aux audacieux. A y regarder de plus près, les formats proposés par Grégory Forstner, dont on nous précise qu’il est franco-autrichien, sont loin d’être intimistes et traditionnels, il s’en faut. Le traitement de la surface, en accusant la planéité qui fait flotter le sujet, relève d’une conception moderne et son véritable sujet c’est davantage la peinture elle-même que le motif qu’elle représente… Dans ses tableaux, le référent n’est plus ce que l’on voit mais ce que l’on découvre dans la banque de données universelle qu’est devenu le Net, surnommé pas pour rien, la toile. Ainsi les fleurs que peint Forstner s’avèrent-elles on ne peut plus artificielles et la peinture sait faire flèche de tous bois, y compris phagocyter les techniques concurrentes qui lui dénient le droit à l’existence. On repère aisément les coulures et réserves, lesquelles nous renvoient à la matérialité de la peinture. Au vase transparent à peine esquissé également. On peut tourner le dos à un peintre naïf qui peint des natures mortes parce qu’il veut s’inscrire dans une convention, et ses codes, peu prospective, mais il existe des peintres que l’on peut dire habiles et qui, plutôt que de s’opposer frontalement à la tradition, la revendiquent avec ironie ou, comme dit le philosophe, par le biais de la pensée de derrière. Grégrory Forstner fait partie de ceux-là et ce n’est pas par hasard s’il glisse dans ses fusains quelques sinistres crânes tenant lieu de Vanités. En ces périodes de réclusions, chacun aura compris le message. En fait, ce n’est pas le support ni le médium qui compte mais la disposition d’esprit qui préside à son choix. Ainsi la peinture est-elle à présent lisible en France, a fortiori si l’expérience nous vient de l’étranger, en l’occurrence l’Autriche, doublée du Caméroun, origine duelle de Gregory Forstner. Sans doute faut-il voir dans cette démarche une critique du mauvais goût et du besoin de représentation figurale qui caractérise le rapport de bien des êtres à l’art. On peut également y déceler un renouvellement du thème de la vanité puisque les fleurs désignent l’éphémère par excellence, à l’instar des papillons, tandis que certains capitalisent durant leur existence, dont on sait cependant qui ne l’emporteront pas au paradis, y compris dans celui des œuvres d’art. Toujours est-il que le recours au grand format implique tout le corps de sorte que le visiteur se sente impliqué dans cette relativité qu’on voudrait lui faire passer pour définitive et absolue. Et d’aileurs ne met-on pas des bouquets de fleurs sur les tombes. BTN
Jusqu’au 8-9, 4 rue Rambaud, 0499742035

Une journée de plaisir, à Gruissan, 11430 + Horizons d’eaux 5, Canal du midi
Une fois pourrait bien devenir coutume. Le Parcours d’eaux 5 fait halte à Gruissan, et l’espace d’art contemporain lui a tout naturellement ouvert ses portes portuaires. Le Frac Occitanie et les Abattoirs de Toulouse ont puisé dans les réserves afin de prouver que l’art contemporain, utilisé à bon escient, cad placé dans un contexte qui lui tend les bras, pouvait trouver un public plus large qu’on ne l’imagine. Par ailleurs, au fil des décennies certaines œuvres, mal perçues à l’origine, finissent par rencontre l’adhésion ou la lisibilité requise. C’est tout l’intérêt de ces initiatives qui visent à faire circuler les acquisitions de manière à leur prêter de nouveaux sens. Comment ne pas lire les hommages à Kurt Cobain de Sylvain Fraysse par exemple, en les mettant en relation avec la pandémie dont nous sortons, comme une des postures possibles qui ont tenté quelques-uns de nos semblables. Plus ironique, la femme qui se mord le gros orteil de Jeanne Dunning, activité minimale en temps de confinement, sachant que l’artiste paie de son corps, avant de partager le sort des objets en décomposition. Inversement, alors que les gens ont besoin de fantaisie, de festivités et de retrouver la sociabilité sous toutes ses formes, y compris sexuelles, les avions et autres objets dérivés des formes de préservatifs de Stephen Marsden invitent à l’interaction communicative. On peut de même et à juste titre être intrigué par les silicones parfois fondus de Lillian Ball. On a envie de sauter comme les danseurs de Daniel Firman, de nouer des relations amicales grâce aux T-shirts de Grout et Mazeas, de croiser les créatures de rêve de Marylène Négro ou celles aux coiffures démentes de Natacha Lesueur. La proximité de la mer nous incite à écouter le paysage dans une huile de Sigurdur Arni Sigurdsson tandis que les vacances évoquent la nudité présente chez Hesse et Ramier (derrière une pile d’assiettes), quand le duo ne se met pas à peler des chaussures à talons hauts. Présente aussi dans les cadrages très rapprochés de Joseph Caprio. Enna Chaton, qui a toujours mis la nudité au centre de ses superbes photos intimes, a pour la circonstance concocté une fresque murale qui deviendra, pour l’instant tout l’été, l’emblème de l’Espace AC, à quelques lieues des naturistes agathois. Cette réalisation respire le naturel, la douceur de vivre, la liberté retrouvée, ou en tout cas rêvée, et s’inscrit dans la thématique estivale : Une journée de plaisir. Les personnages se superposent en transparence au paysage marin, léger, aérien, sans esprit de provocation, même si de nos jours, un rien suffit à choquer les nouveaux Cerbère de la censure et de la morale. Enna Chaton trouve ici, pour la circonstance, l’occasion d’inscrire sur un lieu de culture, l’expression de ses naturelles obsessions et de son talent. Avec un horizon dégagé de surcroît. Un horizon d’eau… Comme une histoire… Le cinéma n’est guère oublié, notamment quand André Hampartzoumian saisit la jovialité toute en rondeur du génial Orson Welles. D’autres œuvres devraient surprendre le public, telle la flaque de Figarella, réfléchissant la photo en train de se faire, les Flous Nets de Nina Childress ou les provocations inventives de John Baldessari. On pourra en outre s’amuser de cette femme cherchant à quitter un monde qui s’effondre sous elle d’Annika Von Hausswolff ou méditer devant le nuancier de Shannon Guerrico. Bref l’art contemporain, ce n’est plus aussi difficile qu’on le croit. On y trouve des portraits, des paysages, des objets, des photos et même de la peinture… Et comme on est Rue la douane, on espère que tout passe et se passe bien.
Au demeurant, le parcours d’eau, pour sa cinquième édition, d’étangs en ports et de canal en voie verte, sollicite quelques artistes déjà connus et trois que l’on dit émergents . Belkacem Boudjellouli a choisi le livre d’artiste pour rendre compte de ses rencontres, prises de notes et expériences autour du bassin de Thau et laisser ainsi une trace, dont rendra compte une présentation le 20 août sur Marseillan. Au bord du canal de Poilhes, Patrice Carré a installé une image directement inspirée des tableaux cyclistes de Fernand Léger, dont on sait le lien qu’il entretenait avec le monde du travail mais aussi le farniente et les activités sportives. Il suffira d’y prêter sa tête et l’on s’y sentira… léger… Petit clin d’œil aux amateurs de vélo, nombreux sur les bords et les rives. Jean-Claude Ruggirello a installé, là où trônait un chêne abattu, une sculpture de substitution, à Ventenac, composé d’empilements alternés de pierres empruntées à des ruines autochtones et de tranches d’oliviers. Maxime Sanchez est sans nul doute l’un des jeunes artistes les plus intrigants qui soient apparus ces dernières années. On parle à son sujet d’archéologie du présent et c’est vrai qu’il mêle allégrement les époques, empruntant à nos références ancestrales comme aux techniques et modes décoratifs les plus actuels. En l’occurrence, voie verte de Capestang, il semble qu’il se soit inspiré d’un ancien chemin de fer pour fabriquer un wagonnet qui aurait été laissé pour compte et emporté par quelque crue. On peut bien sûr faire plusieurs lectures de cette allusion au voyage, au monde du travail mais aussi à la marge et à l’échappée solitaire. Enfin le duo Marie Havel et Clément Philippe sévira du côté du port du Somail et en la coopérative de Vintenac. Il est difficile de résumer en quelques lignes leur travail respectif, qui se conjugue admirablement, l’une recourant souvent à des références historiques liées à son histoire personnelle, l’autre ultra sensible aux problèmes actuels et cruciaux de notre environnement. Ainsi les matériaux surprennent-ils, le recours au flocage de modélisme pour Marie Havel qui privilégie volontiers le dessin ; les concrétions cristallines chez Clément Philippe, davantage porté sur le volume, et qui n’hésite pas à dénoncer les matières dangereuses voire létales. Les deux prévoient des photographies sur bâches dans un souci de traiter du thème du débordement, de chacune de leurs œuvres sur l’autre dans une dualité en osmose Nature/Artifice. Toujours à Vintenac, on profitera de l’occasion pour faire un détour à la pépinière où est présentée la vidéo d’Yves Caro empruntant aux comédies musicales mais troublant les sens en remplaçant les accompagnements sonores par la musique de Malher. Un horizon d’eaux ouverts à des artistes en devenir même si leur nom résonne d’ores et déjà au présent. BTN
Jusqu’au 25-9, 20, rue de la douane, 0468650910 www.frac-om.org

Pablo Garcia, Chartreuse, Fort St André, Musée Luxembourg, Tour Philippe le bel, Villeneuve les Avignon, 30400
Aboutissement d’une résidence produite par le Frac, quatre lieux patrimoniaux nous accueillent, remodelés selon la vision de l’artiste invité : Pablo Garcia. Ce dernier a travaillé sur deux fronts : d’une part sur le son, avec la participation des lycéens de Jean Vilar, ce qu’ils apportent de révoltes et préoccupations adolescentes, d’où le titre retenu « Buffet des anciens élèves »… D’autre part avec des installations, des photographies, des détournements d’objets, fruits de l’observation par l’artiste des lieux, de leur mémoire, leur capacité à se laisser habiter temporairement et concrètement par une vision du présent. Chacun correspond à un titre de chanson, de celles qui marquent votre jeunesse et qui finissent par symboliser une postulation ou un état d’esprit. A la chartreuse est dévolue le rap « Ainsi squattent-ils », au Fort le révolutionnaire « Aux armes etc. », au Musée, « Sous le signe du V » et à la Tour « Blue lagon » ? Pablo Garcia ne laisse rien au hasard sans rien renier de ses engagements. Il prélève et restitue en ajoutant sa vision du monde. L’une des plus emblématiques dans ce polyptique architectural est d’ailleurs faite d’une écriture de courts poèmes, à lire en miroir, et dont les lettres sont composées de moulages et prises d’empreintes empruntés aux lieux. De nouvelles icones ont remplacé les anciennes et Garcia ne se prive pas de les solliciter : c’est visible en particulier dans le triptyque à la feuille d’or sur contreplaqué et qui sollicite de géantes cannettes de bière, des Nike autour de la mythique BMW qui fait tant rêver les ados que nous fûmes et dont nous gardons les rêves au fond du cœur. Ailleurs, il substitue à des vêtements liturgiques un blouson Lacoste. Le sacré a pris un sacré coup de jeune. Durant l’adolescence on aime beaucoup jouer. Garcia a ainsi prévu la participation des visiteurs avec des modules, style légos, permettant des variations sculpturales infinies, des constructions inventives à partir d’une base simple. Il se montre évidemment sensible à l’expression murale des tags et autres graffeurs ainsi que le montrent certaines photos sans forcément pratiquer la ségrégation sociale (les riches aussi souffrent, de désœuvrement par ex). Il recourt au train électrique filmant, tout en méandres, hissé sur une forêt de lattes de bois, et censés montrer une autre vision des inaccessibles lieux à admirer, les plafonds par ex, que restitue une vidéo. La chartreuse est donc enrichie de ces interventions abordées du point de vue d’un éternel opposant cad d’un éternel jeune révolté parce que c’est dans la nature des choses. Au Fort St André n’a-t-il pas installé des panneaux de vente ou location alors que le site est classé ? Il rend hommage aussi au cinéma et privilégie les gestes simples permettant de créer du mouvement à la manière des frères Lumière. Au Musée du Luxembourg, il pratique une symbolique tri partite, en évoquant de simples gestes sociaux exclusifs : s’agenouiller, s’asseoir, converser. L’artiste avance masqué. Il suggère, souligne, traite avec humour mais ne se veut point agressif. C’est ainsi que l’une des œuvres majeures de cette expo, intitulée Papillon, sorte de mobilier à déployer, est couvert de peinture de camouflage. Tout cela paraît parfaitement cohérent et prête à réflexion. A la tour Philippe le Bel, Pablo Garcia, a prélevé dans les œuvres du Frac, les œuvres qu’il aimait de Nina Childress (Flou Net), de Jean Denant (gravure sur contreplaqué), Joan Fontcuberta (photo de montagnes embrumées), Luc Deleu, JJ Rullier et Arnaud Vasseux (moulages ou empreintes). Comme on le voit ces quatre étapes s’avèrent riches en découvertes des plus étonnantes. BTN
Jusqu’au 19 septembre, 58, rue de la république, 0490252435

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