Thomas Boivin, Fragments

D’Est

Un melon évidé, une ombre portée à la terrasse d’un café, les restes d’un petit-déjeuner. Les natures mortes de Thomas Boivin ne tiennent pas à grand-chose, presque rien. Ordinaires, leurs sujets varient peu, nimbés d’une même lumière dont l’équivalence sert à elle seule de déclic. L’ombre compte autant dans ces tableaux plus gris que noirs et blancs, si bien qu’il est difficile de dire laquelle des deux sources ordonne le visible, isolant par endroits des détails soudain devenus plus signifiants que leurs semblables. Les élus ne fanfaronnent pas, conscients de n’être sortis du rang qu’à la faveur de l’aube. Ces objets divers, momentanément hors d’usage, certains pris à la chambre, pièce en soi, peuplent des scènes d’intérieur, sinon d’immédiat extérieur – vitrine, trottoir, espaces intermédiaires presque encore domestiques – où la paix règne, égale. Ce sont des scènes du genre humain, lequel vient à l’évidence de quitter les lieux. Son absence répétée est une chance, l’occasion de considérer de plus près ce qui, en d’autres circonstances, n’aurait pas retenu l’attention. Le drapé triomphal d’un rideau de misère, des assiettes empilées, une carafe d’eau.

Ces images dont l’action est exclue, qu’elle les précède ou qu’elle soit à venir, n’ont nécessité aucun surcroît d’effort, se bornant à saisir ce que leur auteur avait, en cet instant précis, tantôt devant, tantôt sous les yeux. Il lui a suffit de marcher sur ses terres, des Lilas à Jourdain, de Belleville à Ménilmontant, et inversement, arrêté çà et là par un théâtre pauvre, un théâtre de rue, son unique horizon, éternel aimé. Théâtre, ici, ne veut pas dire spectacle, ni décor, pas même jeu, tant la vie qui palpite est une affaire sérieuse. Le mot désigne en revanche le cadre, la place publique, parfois privée, où Thomas Boivin suit son cours immobile, dedans, dehors, de jour. Il tient à la prendre telle quelle, comme elle vient, tandis qu’il se rend quelque part, longeant à pas lents ces artères dégagées ayant, en cas de soleil, des airs de bord de mer.

Il y a de la joie dans cette vingtaine de vracs nets, fragments enchâssés dans le flux du réel, à ce point familiers qu’ils réconfortent. Un calme tendre aussi. Leur vertu apaisante doit sans doute à leur acte de naissance : pour eux, Boivin fait du tai-chi, dansant autour des choses, se gardant de troubler un sommeil en sursis. Il dit avoir une façon d’habiter peu commune – sa demeure, son quartier, cette ville méditerranéenne qu’il visite sans cesse, étendant chaque fois un peu plus le domaine du connu. Ses attaches populaires ne sont pas étrangères à un certain idéal démocratique au gré duquel rien ne dépareille, et tout est important.

Car enfin sa photographie sonne l’heure creuse d’une revanche, celle d’un grand bol et d’une paire de baguettes chinoises.

Virginie Huet

Thomas Boivin, Fragments, Les Douches La Galerie, 11 mai – 23 juillet 2022.

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