OUSMANE SOW A MONT-DAUPHIN (05600)
Prenez d’un côté un fort considéré comme un chef d’œuvre de l’architecture militaire, un village fortifié comme on n’en fera jamais plus, l’une des multiples réalisations du très monarchiste Vauban, et qui attire chaque année des milliers d’amoureux du patrimoine… Et de l’autre, une légende de l’art africain, cherchez un trait d’union entre les deux, et vous obtenez l’une des osmoses les plus spectaculaires dont on puisse rêver entre un artiste et un monument national. D’autant que c’est dans la caserne Rochambeau, un lieu bien charpenté, en berceau de surcroît, tout en longueur, et en arceaux, témoin de tas d’activités devenues à présent historiques qu’est venu tout naturellement se loger, l’une des œuvres majeures du regretté Ousmane Sow : la bataille de Little Bighorn, et la déculottée prise par les blancs, une fois n’est pas coutume, lesquels avaient pêché par orgueil et excès de confiance. A l’image du mythique général Custer. Exposer une scène de bataille, polémique ou pas, à l’intérieur d’un lieu voué à la guerre ne manque pas de pertinence même si le fort n’aura de fait que très peu servi dans le passé. Le résultat ne manque pas de surprendre, que l’on soit ou pas initié aux arcanes de l’art universel, par sa puissance et expressivité.
Tout d’abord, la série se caractérise par la surhumanité, et la sur-animalité, des éléments qui la constituent : Les personnages et chevaux (35 au total) sont de taille et silhouette démesurées. Il fallait un espace à la mesure… de cette démesure et cette caserne était le lieu tout désigné. La scénographie de Béatrice Soulé a su profiter de la longueur exceptionnelle de la caserne pour aligner, sur un sol originel enrichi de graviers, les personnages et animaux en scènes singulières, explorant toutes les positions concevables : debout, à cheval, en déséquilibre, assis, allongé… Avec une prédominance des indiens, à commencer par Sitting Bull en prière, ce qui correspond, il est vrai à la vérité historique. Les indiens étaient plus nombreux et les « blancs » furent bien imprudents. Toutefois, nul n’est dupe : le cœur d’Ousmane Sow penchait du côté des plus faibles, des colonisés, des naturels : on aura compris qu’il se reconnaît en eux. Et tout d’abord parce que l’ancien kiné qu’il fut, préfère les corps nus, les combats au corps à corps et la sauvagerie sacrée aux artifices civilisés. Le sens du toucher prime, on pourrait même dire que l’artiste travaille à l’aveugle avant d’apprécier le résultat, rugueux au demeurant, il n’est pas question de traiter un tel sujet en recourant à la finesse des traits. L’observation et ses expériences, les impressions emmagasinées, se combinent à la rêverie tâtonnante mais productive. Rien ne lui était plus étranger que la morgue des agresseurs, leur soif de pouvoir et de gloire intéressée. Ensuite parce que l’artiste sénégalais sait de quoi il parle, ayant vécu sa suprématie blanche qui n’a pas toujours brillé par sa délicatesse ni son discernement. Enfin parce que le type de matériau qu’utilisait ce sculpteur plutôt brut s’accommode mieux d’une humanité proche de la nature que des fanfreluches dites policées. Ne recourt-il pas à la terre nourricière, aux pigments maison et à la toile de jute pour offrir une nouvelle peau, artistique cette fois, à ceux qui ont disparu depuis longtemps certes, mais si si honorablement, dans cette bataille demeurée immortelle.
Ousmane Sow cherchait moins le réalisme que l’expressivité, et celle-ci lui est fournie par le mouvement. Les personnages et chevaux sont saisis en pleine action, comme on aurait pu le faire pour une photographie (et rien ne nous dit qu’il ne s’en est pas quelque peu inspiré), sauf que la sculpture apporte le relief, la forme, le corpulence, et on l’a vu la sur-dimension, garante d’un caractère résolument épique. La configuration même de l’endroit choisi permet de saisir les sujets sous plusieurs angles, pas à 360 degrés mais pas loin… Les êtres ont modelés à la main, le kiné n’est pas loin, à la paille de plastique à partir d’une armature de fer à béton, et faits main quand il s’agit d’ajouter la dernière touche, l’enduit alchimique qui a mûri durant des années et dont l’artiste gardait le secret. Chaque personnage ou animal est donc le fruit d’un long, voire patient travail, de modelage et de finition. On est à l’opposé du rady made, de la technologie de pointe ou des objets manufacturés. Si l’œuvre d’Ousmane Sow touche c’est qu’elle propose quelque chose de primitif et donc d’universel. Les enfants y sont très sensibles, qui découvrent avec stupéfaction qu’il peut exister des batailles autres que virtuelles et en jeux vidéo. Ousmane Sow, c’est du concret, et surtout du puissant, à l’instar des forces de la nature. Et comme le mouvement est fixé, il laisse du temps à la perfection.
De plus, l’ambition de Béatrice Soulé, compagne de l’illustre académicien (des Beaux-arts) semble avoir été de trouver un lieu adapté à un travail d’une telle ampleur : c’est fait et on l’espère, pour davantage qu’une décennie – pour l’instant annoncée. Ousmane Sow, Little Bighorn et Mont-Dauphin c’est en effet la conjugaison de trois moments de l’Histoire : Notre époque, incarnée par l’artiste avec l’apparition d’une exigence émergente ; les rares grands moments, ici peu glorieux, au XIXème, de l’histoire américaine, celle des patrons de l’économie mondiale (jusqu’ à quand, si les faibles et plus nombreux, finissent par les terrasser et mettre un terme à leurs prétentions hégémoniques ?) ; le siècle de Louis XIV, durant laquelle la France a sans doute dominé le monde d’alors. Trois époques marquantes donc conjuguées dans le même espace comme en rêve. Et aussi trois continents forcément : le nôtre, l’africain et l’américain en pleine leçon à méditer. L’osmose est pertinente. Ces trois-là étaient faits pour se rencontrer. Pour se concilier ? C’est peut-être l’un des messages, utopiques, de cette réunion.
Car il n’y a pas dans cette œuvre pérenne à considérer que l’esthétique, il y a aussi les idées qui présidèrent à sa conception comme à sa confection. L’exemple américain nous amène à réfléchir à la fois sur notre statut d’homme blanc, occidental, et sur ses rapports conflictuels avec les autres peuples, grâce auquel nous bénéficions du tout confort aujourd’hui. Il ne s’agit pas seulement de s’émerveiller sur la gestuelle des personnages, sur la justesse et le dynamisme des scènes, sur le choix judicieux des actions (le tir à l’arc, le scalp, le combat à mains nus, la chute de Custer, la prière initiale, les soldats adossés pris en étau, les cavaliers ne faisant qu’un avec leur monture…). Il s’agit également de méditer sur ce que tout cela signifie pour nous au fond aujourd’hui. Ousmane ne cherchait pas à divertir, ni même à plaire. Il cherchait à instruire, à persuader et dans le meilleur des cas à transformer, à corriger, à améliorer. Un peu comme il le faisait dans sa pratique même quand il n’était pas tout à fait satisfait du résultat. Sans aller chercher si loin, dans sa patiente finition de l’œuvre. BTN
Jusqu’en 2031 au moins, Village fortifié de Mont-Dauphin, 0492454240. Se renseigner pour les visites guidées.