Claude Viallat à Carré d’art

Claude Viallat, Carré d’art

Rares sont les artistes prophètes en leur pays, du moins en France. Claude Viallat célébré à Carré d’art est ainsi un événement majeur qu’il nous faut saluer à la hauteur de l’importance nationale qu’a prise cet artiste que beaucoup s’imaginent connaître alors qu’ils en restent aux stéréotypes, à la caricature ou à la plus extrême simplification. L’œuvre de Viallat est diverse, en perpétuelle expérimentation et elle fait flèche de tout bois comme de tous supports, textiles en particulier. Si le tissu demeure, depuis des décennies, le support de prédilection du peintre, il est rare, dans les productions les plus récentes qui seront proposées, qu’il se limite à une seule surface. Viallat aime à le combiner, l’associer à d’autres d’une autre nature, pratiquant au fond ce que l’on nomme de nos jours l’hybridité.

Les petits formats en particulier lui permettent d’expérimenter l’impact de sa forme usuelle dans sa dimension mesurée, modeste et intime. Les objets récupérés favorisent de curieux assemblages, parfois amusants, voire ironiques, les supports et les surfaces finissant par se dissoudre et se confondre dans la notion de bricolage, prise au sens noble et ethnologique du terme. Car ce que cherche au fond Viallat c’est retrouver des gestes ancestraux, qui peuvent paraître élémentaires mais qui sont le fruit des millions d’années de relations que l’homme aura entretenu avec son environnement : nouer, assembler, relier, suspendre, abouter… La couleur est l’autre grande composante de cette œuvre immense. Chez Viallat, elle est déterminée par le support, récupéré après usage et abandon… Quand on parle de recyclage et d’écologie… Et puis bien sûr il y a la forme qui s’est profondément modifiée depuis sa découverte fortuite. Sa répétition, régulière et mécanique, évite au peintre de se poser des problèmes de composition afin de se concentrer sur l’expérimentation des couleurs, dans leur matérialité, leur réaction aux résistances du support. Parfois même de vérifier l’effet de la forme sur son environnement immédiat, à savoir la « contre forme » qui ne manque pas d’apparaître. Tout geste a une conséquence sur ce qui l’entoure. Encore une leçon d’actualité. Viallat aime à utiliser des matériaux aisément identifiables, quelquefois naturels, même s’il ne manque jamais une occasion de s’amuser des goûts bourgeois. Chez lui, le simple, redressé sur le mur, a droit au royaume des yeux. Ses objets sculpturaux, faits de bric et de broc, semblent tenir par miracle mais c’est parce qu’il a conscience de la précarité de la condition humaine, et de la place de l’homme dans l’univers qui porte à l’humilité. A l’instar de ses filets qui certes renvoient à une activité primitive mais surtout explorent le maillage, lequel participe à la confection du tissu. Un pan de surface démesurément agrandi et qui laisse une grande part au vide, comme dans la constitution de l’univers. L’intérêt de Viallat pour les activités taurines relève de cet fascination ethnologique pour des traditions dont l’origine se perd dans la nuit des temps. Si l’œuvre est diversifiée, elle est cohérente, ce que devrait prouver cet hommage de sa ville natale à cet artiste qui aura tant fait pour la renommée de cette dernière. L’exposition s’étale sur deux niveaux, ce qui était pour le moins le minimum au vu de son importance. Elle s’adresse au public nîmois mais aussi à tout le monde et au monde entier. Et c’est bien que, pour une fois, ce soit l’un d’ici s’adresse à l’autre, aux autres, et pas seulement les autres qui s’imposent à nous, les gens d’ici. BTN

Du 27-10 au 11-02-2024

 

 

ENTRETIEN CLAUDE VIALLAT/BTN

ENTRETIEN CLAUDE VIALLAT

Q : Quand l’évidence de la forme qui t’a rendu célèbre s’est elle imposée à toi ?

CV : En 1964 : Je me rends compte, lors d’une exposition collective à la Fondation Maeght que je suis en train de faire une sorte de salade niçoise de toutes les peintures que je vois. Je ne pouvais pas continuer comme ça… A ce moment-là, portés par la lecture du Dernier Tableau de Nicolaï Taraboukine, on se posait la question de comment continuer à peindre après la mort de la peinture ? Moi, j’ai choisi de déconstruire le tableau, de penser la peinture autrement à partir des moyens qu’elle nous donnait et d’essayer de repartir des origines… de l’Histoire des connaissances en général… Je me suis souvenu alors d’une technique employée par les peintres en bâtiment pour peindre une cuisine : avec une éponge ou un chiffon, ils tamponnaient les murs chaulés blancs, avec de la chaux rose ou bleue, faisant ainsi une sorte de papier peint du pauvre. Cette idée m’intéressait beaucoup car elle comporte un côté répétitif, mécanique et all over. Or, il fallait quelque chose pour porter cette idée de répétition. La première forme, que je dessine, dans une plaque de mousse d’emballage, un peu spongieuse, est oblongue de 50 cm environ. Je la presse chargée de peinture noire cinq six fois sur une toile crue posée au sol. J’essaie de nettoyer cette éponge de son noir et je la laisse une nuit dans un seau avec de l’eau de javel. Le lendemain, je la retire, elle part en morceaux et le plus gros est celui qui est devenu la forme. La première, que j’avais voulue quelconque, je l’avais dessinée mais cette seconde était issue d’une manipulation totalement hasardeuse et elle me convenait mieux. Je me suis dit : je vais travailler quelques jours avec cette forme-là pour voir et expérimenter. Ainsi j’ai commencé en pressant cette forme, trempée dans de la couleur, sur la toile. La forme est venue comme ça. J’ai commencé à travailler en répétition ou en numérisation (deux formes placées au hasard). La première toile que j’ai réalisée juxtaposait la forme dessinée et la nouvelle, la forme avant et la forme après. Je me suis vite rendu-compte qu’il y avait des possibilités et j’ai continué à travailler sur ce schéma. Cela m’intéressait parce que l’idée de répétition partait d’un système banal et universel, que l’on utilise un peu pour tout, la forme n’étant ni géométrique ni figurative, ni représentative, ni symbolique, ni vraiment décorative. Elle était ce qu’elle était. C’était une forme pour toutes les formes.

Q : Elle a pas mal évolué ensuite, cette forme, depuis sa création…

CV : La forme a évolué comme elle a voulu, à sa manière. Celle que j’utilise actuellement n’est pas forcément la forme initiale. La dimension est restée peu ou prou la même. Je me sers de pochoirs sans doute par référence aux empègues, à Aubais. C’est donc une technique très populaire. Il faut que les choses soient les plus simples, immédiates et évidentes possibles. Qu’il n’y ait pas de savoirs particuliers. Pas d’appel à une maîtrise technique…

Q : En quoi peut-on dire que tu as évolué depuis la création de Supports/Surfaces.

CV : Je ne pense pas avoir évolué. C’est la quotidienneté du travail qui a fait que certaines choses ont changé. A partir du moment où je partais et pars toujours du support, le tissu brut sans apprêt et sans encollage, le tissu travaille la couleur et fait ce qu’elle devient. Le tissu est toujours à l’origine du tableau. Par sa forme, sa qualité, sa dimension, son épaisseur, la manière dont il absorbe la couleur, la restitue, la capillarise. Il y a eu aussi tout le travail sur la déconstruction de la toile par le nœud, les cordes à nœuds, les quadrillages, l’échelle, les filets, les raboutages… Tout cela entre en ligne de compte et fait que les choses au cours des années se sont modifiées mais ce n’était pas un objectif. C’est le temps qui passe qui accumule les différences. J’apprends au fur et à mesure, j’essaie de me rendre disponible, de rester attentif à ce qui se passe, de ne pas vouloir mais d’être en position d’accepter

Q : Dans quelle mesure peut-on dire que ta peinture est entre autres méditerranéenne, notamment par son insistance sur la couleur ?

CV : Je ne le dirai pas. Ma peinture c’est ma peinture. En revanche je ne peux nier que ma culture est méditerranéenne et camarguaise. Elle est faite de ce que je suis, du lieu où je vis mais aussi de ce que j’ai lu. La couleur, je la prends dans sa matérialité, dans sa fluidité, dans sa valeur et dans la manière dont elle est restituée par le support qui l’absorbe. Donc je n’effectue pas une recherche volontaire de couleur, étant donné que le principe de mon travail va à contrario de celui du peintre académique, qui fait ce qu’il sait et qui sait ce qu’il cherche. Je sais seulement ce que je fais. Spontanément j’accepte toujours le résultat. J’inverse l’ordre des choses. L’accident, le négatif, devient positif. J’essaie de m’en tenir à cette règle. Ma gamme de couleurs devient conséquente certes dans la mesure où le support la modifie. Ce n’est pas un savoir que je mets en œuvre mais l’acceptation d’un résultat. D’une expérimentation. Et Pourtant si

Q : Et qu’en est-il des supports ?

CV : Ce sont souvent des supports déclassés, vieillis, usés. Certains sont somptueux. C’est tout ce que je peux récupérer. Ce n’est pas un choix. Les choses arrivent de manière aléatoire et alternative.

Q : Parlons un peu du projet de Fondation ?

CV : Pour l’instant, elle n’existe pas. Je ne sais exactement de quoi il s’agira. C’est un lieu-dit. Rien n’est commencé car le lieu n’est pas encore approprié et doit être transformé. Ce ne peut pas être un musée puisqu’il n’y a pas la place. Ni une fondation, car mon travail ne doit pas être accroché ad vitam aeternam. Il faudra quelque chose qui bouge, qui soit en accueil. Là je ne sais pas pour l’instant où je vais…

Q : Les deux étages de Carré d’Art ne montreront-ils que des œuvres récentes ou s’agira-t-il d’une rétrospective ?

CV : Pas de rétrospective, car on l’a faite au Musée Fabre. Seront montrées des pièces réalisées après 2014 et Montpellier. J’ai fait un inventaire et des choix, au feeling, en étroite collaboration avec Matthieu Léglise, le commissaire d’exposition, parmi des peintures, des objets, muraux ou au sol, associant matériaux durs et souples, bois et tissu, et renvoyant à des procédés simples ou universels : l’arc, la cale, le fil à plomb, le contrepoids, le fait de nouer, de coudre… Il y aura aussi des filets, des rideaux, des toiles très fines, certainement des tauromachies, tout ce qui fait mon travail au quotidien. Tous les va et vient entre une chose et une autre. Je ne fais pas de maquette, je verrai comment organiser tout cela lorsque j’installerai. J’empile les toiles et je les accrocherai en fonction de l’espace. On a néanmoins essayé d’installer des grandes toiles entre le hall et l’escalier, toiles qui existaient déjà, et qui font 40m de long. Le résultat est très positif… Etant donné le nombre de salles et l’espace, je vais tâcher de donner une cohérence à l’ensemble.

Q : Qu’est-ce que cela représente d’être exposé à Carré d’Art, sur le plan personnel ?

CV : Le plaisir d’être à proximité du lieu, ce qui est un avantage. Si c’est réussi… Ce qui m’intéresse c’est le déplacement : du travail et face au travail, face au résultat… Au fond, être transgressif c’est faire un pas de côté, trouver le bon angle de vision c’est-à-dire déplacer les choses. Par petits glissements. Je devrai me déplacer mais pas loin. Ce sera le cas ici. Je vais utiliser mes toiles comme moyen de remplir des espaces et donner du sens à tout cela. Mais tout est à venir

 

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