L’Afrique(s) vue par ses photographes: de Malick Sidibé à nos jours.
Musée Mohammed VI d’Art Moderne et Contemporain, Rabat, Maroc à partir du 11 octobre 2021 jusqu’à fin avril 2022. Commissaire de l’exposition Jeanette Zwingenberger
Premier exposition : « Malick Sidibé : la promesse de soi »
Malick Sidibé donne une visibilité à la société africaine qui accède alors à sa propre représentation tout en s’interrogeant : comment se fabrique une identité ? Ces portraiturés affirment leurs ambitions et leur désir du rang social qu’ils incarnent par le biais de la photographie : c’est une promesse envers soi-même. Cette dimension de l’affirmation de l’identité personnelle se déclinent dans l’exposition selon deux thématiques.
Dans une première salle, sont exposées les clichés des « Soirées » bamakoises des années 1960-70 et 80, immortalisées par l’artiste. On y voit des scènes de fêtes où les danseurs exaltent la joie de vivre et la libération par la musique.
Dans une seconde salle intitulée « Fresque familiale », Sidibé capture, en studio ou ailleurs, des événements clés de l’histoire d’une personne : rencontre, mariage ou naissance. L’espace entre l’artiste et son modèle devient un espace d’intimité. Comme s’il tendait un miroir à son modèle, le photographe travaille main dans la main avec lui afin de créer un climat de confiance où le modèle devient acteur de lui-même et prend son destin en main.
L’image de soi se révèle ainsi dans toute sa magnificence et affirme beauté et succès aux yeux du regardeur.
Seconde exposition : L’Afrique(s) vue par ses photographes
Les maîtres du portrait du 21e siècle s’inscrivent clairement dans une continuation du cadre donné par Malick Sidibé, qui va de l’intimité jusqu’à la théâtralisation du portrait de studio. Comme le sous-titre l’indique, « Décodage » interroge les codes des représentations et des attitudes de soi et des autres.
L’exposition s’articule autour de quatre axes.
1. L’identité multiple
Cette première section réunit autant d’histoires singulières qu’un récit collectif. Leonce Raphael Agbodjelou, Kudzanai Chiura, Samuel Fosso, Hassan Hajjaj et Youssef Nabil interrogent de multiples stéréotypes. Leurs jeux de dédoublement et de l’autodérision offrent une réflexion sur la condition de l’homme dans le rapport de soi à l’autre. La scénographie intègre le spectateur par le biais des miroirs disposées à côté des œuvres et l’invite à mimer les attitudes des personnes représentées, leurs gestes et leurs regards afin de déceler les langages de représentations. Ces jeux de rôles transforment les spectateurs en acteurs. Cette manière de rentrer dans l’image permet de décoder l’expression de soi et des autres. Que nous disent ces différentes postures : entre le travestissement ou l’affirmation dans la quête de soi ?
D’une grande beauté et force les portraits de femmes de Zanele Muholi, expriment son « activisme visuel ». Vêtues de leur nudité, elles prennent le spectateur à témoin.
2. Afrique(s) entre imaginaire et réalité
La deuxième partie du parcours interroge les croyances et les mythes toujours à l’œuvre. La dimension surnaturelle resurgit dans une dimension futuriste. Au sens anthropologique du multiperspectivisme coexistent l’animisme et la science-fiction, la technologie et le spiritualisme à l’image de la complexité de notre monde. Ces êtres transhumains de Joseph Obanubi interrogent des mutations identitaires ainsi que les conditions de survie physiques et écologiques de notre planète.
3. Portraits sociaux-politiques et héritages postcoloniaux
Une place prépondérante est donnée aux artistes de l’Afrique du Sud qui dénoncent les inégalités de la période post apartheid. La photographie devient alors un espace de la mémoire qui permet le repositionnement des événements tragiques. Ces photographes révèlent les catastrophes environnementales à travers les vestiges architecturaux défigurant les paysages urbains.
4. Aliénations et paysage du désastre visiteguidé
La dernière partie de l’exposition traite de la survie autant des exclus que de la surexploitation planétaire. En tant que passeurs de frontières, Moufouli Bello, Pieter Hugo, Osvalde Lewat, Mario Macilau et Moïse Togo donnent une visibilité aux êtres confrontés à la précarité de l’existence et leurs donnent un visage. L’art devient un lieu de résistance.
Mustafa Saeed, Mikhael Subotzky, Guy Tillim, Musa Nxumalo abordent des questions centrales : les catastrophes climatiques, écologiques et les enjeux socio-politiques qui concernent le Continent mais dont les conséquences et des enjeux s’appliquent à l’échelle planétaire.
A l’image de ce continent pluriel, les différents récits parlent autant des identités culturelles en tant que promesse de soi que de la réalité africaine chaotique, brutale et parfois tragique avec ses changements incessants. Dans la vision de l’ Afro-futurisme, l’animisme et la science-fiction, la technologie et le spiritualisme coexistent, traduisant la complexité de notre monde.
L’Afrique est une grande famille multiple où chacun s’inscrit dans la chaîne des ancêtres, une cosmogonie. L’énergie des flux et des esprits dont il faut être à l’écoute. Les artistes affichent clairement une identité culturelle qui se traduit par de multiples fonctions qu’ils endossent au sein d’une communauté. Qu’en-t-il de l’équilibre des relations entre le cosmos, l’humain et le divin au 21ème siècle ?