Yan Pei Ming, Mimosa Echard, Théo Mercier etc. Collection Lambert

Yan Pei Ming, Théo Mercier, Mimosa Echard etc. Collection Lambert, Avignon (84)
La saison estivale de la Collection Lambert met en exergue l’un des créateurs les plus prolifiques de ces dernières décennies, un peintre de surcroît, que l’on pourra voir dans le même temps au Palais des Papes, notamment un triptyque, bien dans sa manière, en référence à la trinité, et autre transsubstantiation christique mais aussi une crucifixion et une scène d’exode. Avec, comme souvent, le recours à l’autoportrait dans des tons gris, à larges coups de brosse, assortis de quelques taches de rouge. A la Collection, il s’agit surtout de portraits de gens célèbres, tels qu’en eux-mêmes enfin l’éternité les aura changés : hommes de pouvoir spirituel ou temporel, icones populaires devenues mythes, opposants et assassins, militaires et prostituées, clandestins, dizaines d’enfants d’Afrique, père et mère de l’artiste… tous mis sur le même plan (Mao et le Che, tel pape et telle star du cinéma…), celui de la peinture et de la mort. Les formats sont démesurés, sur-humains, qui plus est en gros plan, de sorte que les modèles sortent du lot. Le gris déréalise les personnages plongé dans quelques limbres. Un monde spécifiquement pictural, à en croire les coulures et la matière qui ne se cache pas. La sombre production de Yan Pei Ming tranche et offre une plage de repos pour les yeux de l’âme ou le regard intérieur. L’artiste, d’origine chinoise, n’en oublie pas pour autant de traiter de la sauvagerie naturelle : ses tigres expriment la férocité, ses vautours la voracité malsaine : nous n’avons fait que prolonger les impulsions de nos amies les bêtes. On ne sait plus parfois si l’on est dans l’humain ou le simiesque. L’accrochage permet de curieux rapprochements entre un prélat rouge et les bêtes féroces, voire tout un dispositif pornographique. Placer les animaux sur le même plan que les hommes illustres, ou les illustres inconnus, signifie bien que l’humain demeurera éternellement ce qu’il a toujours été, même si, de ci de là, on perçoit parfois quelque éclat d’humanité, ou les paupières closes de la star disparue (Marylin) du président vénéré (Kennedy), du révolutionnaire immortalisé,(Le Che), du prix Nobel de la paix (MLK). Ce n’est pourtant pas en vain que les portraits de Yan Pei Ming font grise mine. L’homme, tel que nous le connaissons, prête-t-il franchement à la couleur ? Le peintre la fait apparaître de manière sourde, encore plus effrayante et souvent sanguine, rouge sang. Par ailleurs, il propose des paysages qui flirtent allègrement avec l’abstraction et qui nous prouvent l’éventail de ses registres.
Mimosa Echard est sans nul doute l’une des jeunes artistes en devenir sur qui on peut à coup sûr miser. Elle en use avec les matériaux naturels, qu’elle n’hésite pas à mêler à de l’artificiel, ainsi que le faisaient les anciennes sorcières à l’époque où elles seules détenaient un savoir médicinal, bénéfique ou maléfique, c’était selon. Elle se livre en tout cas à d’étranges expériences de rapprochements des matières, créant ainsi un univers à la fois inquiétant et familier. A l’étage qui lui est dévolu, l’accrochage est tout à fait surprenant ; les tableaux bordent les fenêtres sans volonté de logique rythmique, ni de stabilité géométrique, favorisant les transparences et même la plongée vers l’extérieur où poussent et se répandent des citrons. L’artiste a été en effet surprise, aux Etats-Unis, par une publicité sur cet agrume, commenté de manière récurrente par des femmes au foyer, dont on retrouve les silhouettes sous la matière picturale. Elle recourt souvent au voile, parfois enrichi d’étoiles décoratives, comme pour protéger la fragilité de la toile ou peut-être la féminiser. Quand elle construit à partir de teintes et matières soigneusement ordonnées, elle parvient à un degré de justesse rarement égalé dans ce style de production. On ne sait plus si l’on est dans l’abstrait ou la figure et à la limite la question n’a plus de pertinence. Fasciné par l’hybridité et les échosystèmes, elle pratique aussi la suspension, tel ce déferlement de perles de verre. Le sol n’est guère oublié : en témoignent ces objets de porcelaine posés au sol tout près des fenêtres et semblant révéler l’origine de ces expériences diverses. Pénétrer son univers, c’est basculer dans un autre monde qui provient du nôtre mais agencé autrement.
Théo Mercier. C’est encore autre chose. On n’est ni dans le peinture ni même dans l’installation. On est dans le spectacle, dans le décor du spectacle et dans les conditions qui font de nous des spectateurs. L’expo est constituée d’éléments d’une vaste ruine, de grande dimension, dans la partie la plus souterraine de l’ancien hôtel. En fait l’artiste a sculpté sur du sable, selon une technique populaire qu’il s’est approprié, des animaux, des ruines gothiques, un pied géant etc. et c’est à nous, nul n’est là pour nous guider, d’agencer ces divers éléments et à les faire nôtres, jusqu’à la salle de spectacle où se révèle l’illusion. Le parcours est impressionnant. On sait que l’on est dans l’éphémère à cause du sable et aussi ses images de bûche qui brûle dans l’âtre et dont la technique moderne permet de pérenniser la flamme. C’est un peu la mission de l’art, non ? De nombreuses questions se posent et l’on suit le déroulement d’une quête menée par le visiteur, dont le cheminement même donne matière au projet.
Il faut ajouter les dessins inénarrables et humoristiques de David Shrigley, et les photos en diptyque de Jérôme Taub, sur sa vision personnelle de l’Amérique. Et encore : la référence à l’année 1988, où furent acquises certaines œuvres majeures, présentées autrement, de Basquiat, Combas, Blais, Jammes, ou Le Groumellec, entre autres. Enfin, on a droit à une mystérieuse association dite « Broccoli » entre Loris Gréaud et Yvon Lambert soi-même, chacun ayant choisi pour l’autre. Gréaud a fomenté, entre les murs dévolus à Sol Lewitt, une installation comprenant une énorme truie en résine mais plus vraie que nature et nourrissant semble-t-il une petite colonie de souris. Dans le milieu de l’art souvent les plus gros nourrissent les plus petits et les références majeures irriguent jusqu’aux plus humbles des artisans. Mais bon, j’interprète sans doute abusivement. De quoi passer en tout cas quelques bonnes heures d’une riche visite. A prolonger au Palais des Papes. BTN
Jusqu’au 26-9, 5, rue violette, 0490165621

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