La Fille allumette en concert dessiné
Il y avait la Femme chocolat. Il ya maintenant La Fille Allumette, nom du groupe fédéré par l’auteure compositrice et chanteuse, musicienne accomplie, Mélanie Arnal – et titre éponyme de leur premier album. Celui-ci créait la surprise et permettait de se familiariser avec l’univers de l’artiste, sa voix claire, juste et éternellement jeune comme disait Nerval de la femme-fée (elle rappelle celle de Marie-José Neuville, pour ceux qui s’en souviennent), ses vers ciselés et précis, son humour dévastateur mais fin, subtil, sans rien ici qui pèse ou qui pose… Son audace, ses jeux de mots à la Lapointe, Vassiliu ou Nougaro où le jeu, « ridicule » rime avec « en-gendre ». Sa virtuosité narrative aussi, sa limpidité stylistique (ce qui se conçoit bien s’énonce clairement) et son art de ménager la chute (Le point G, dans Les préliminaires d’avril, ou la déception des mâles prédateurs dans la Fille allumette (« qu’ils ont vue partir sans l’’avoir sautée »), son inscription dans une certaine tradition : Le vent a des accents bréliens, Un mec impec ne déparerait pas dans le répertoire de Juliette ou de Brigitte Fontaine, Amandine relate les révélations successives de l’accouchement, dans celui de Linda Lemay, Le loup rendant hommage à Allain Leprest, décisif dans la carrière et la vocation de la chanteuse…. Le 2nd CD permet d’approfondir et de confirmer. On y traite des grands sentiments humains, : l’amitié avec l’âme sœur dans Doj, l’ingérence humaine dans « la danse des planètes » et « le roulis des vagues » (Le manège), La vie qui bat, petit traité lyrique de philosophie personnelle (« Profitons et soyons gourmands »), les grands problèmes sociétaux et raciaux (Café Josette, conçu comme une caricature publicitaire, aventureuse et délirante, dénonçant l’esclavage et l’exploitation mais avec cette finesse et subtilité qui est l’image de marque de l’autrice). Tout ceci fleure bon la variété, dans le bon, le vrai sens du terme. Les morceaux alternent les tempos lent et rapide ; les sujets vont de la tendresse à la révolte en passant par le bonheur et la résilience. La complainte des femmes divorcées fait un clin d’œil à Brassens mais retourne sa misogynie en critique de la connerie « humaine » (en tout cas à sa moitié masculine, souvent brocardée, dans ses travers, par ailleurs). La chute du dernier morceau, Les comptes de faits, construit sur une nouvelle version de La ronde des jurons, énumère les masculins, les féminins avant de revenir sur la fin habituelle des contes de fée… Mélanie se veut fille allumette certes mais surtout libre, de ses choix, de ses goûts, de ses plaisirs. L’accordéon, omniprésent, assure une continuité et un aspect festif à ces 12 titres de style assez divers puisque l’on y retrouve un tango (On fait trop de bruit sur la mort), une valse (Le manège), des rythmes exotiques et dansants sur Café Josette, du forro sur Y’a des jours ( « Y’a des jours avec, y’a des jours sans ») qui donne son titre à l’album et nous trotte vite dans la tête dès la première écoute, tout comme « cette petite voix dans ma tête cette petite voix », sur une note tenue le temps d’un alexandrin martelé avant de s’élancer dans l’aigu à la clausule (La petite voix). Mélanie aime concilier les extrêmes, des (Pendant les) embouteillages qu’elle retourne en acte créatif à La sieste, moment de pause à la vie trépidante des grandes villes. On sent poindre un art de vivre fait d’optimisme et d’épicurisme, de révolte certes mais mesurée comme des vers, un art de vivre qui sait affronter les vicissitudes sans sombrer dans les critiques systématiques et faciles. La musique, la poésie, la peinture y aident. With a little help for my friends. On en a tous besoin.
Le groupe, selon plusieurs formules, a multiplié les concerts. Présence scénique indéniable, aptitude à faire réagir et participer le public, voix audible soutenue par des instrumentistes confirmés : Olivier Roman Garcia à la guitare (directeur musicale et arrangeur du CD), Cédric Pierini à l’accordéon, Sega Seck à la batterie, Olivier Guérin un peu à tout, y compris au chant pour interpréter un texte fort , fruit d’une observation : Les ados. Mélanie y ajoute ses parties de violon, dont elle joue depuis l’enfance et qui lui a permis d’expérimenter, dans le passé, la scène. Aujourd’hui, après un clip très inventif sur Y’a des jours, où se déclinent en dessins et couleurs ses diverses personnalités, le concert dessiné du 6 décembre au Théâtre Gérard Philippe saluera l’insertion des arts plastiques dans le spectacle musical. Avec la collaboration de la peintre Linette Cajou, illustratrice du dernier CD et très inspirée par le modèle. Il s’agira d’ajouter une touche visuelle et scénographique aux situations narratives imaginées par Mélanie. Les titres choisis seront empruntés aux deux CD commentés ci-dessus. BTN
https://www.melaniearnal.fr/
NB Mélanie est la fille du peintre André-Pierre Arnal, membre de Supports-Surfaces, avec qui j’ai pas mal travaillé, et qui vient malheureusement de nous quitter.