Régis Perray
La balade du balai, 2004. Vidéo, 40 mn.
Collection Frac Occitanie Montpellier (notice).
Né en 1970, l’artiste vit et travaille à Nantes. Diplômé des Beaux-Arts de Nantes en 1997, Régis Perray rejoue cette année-là un Polaroïd pris par son père dans la cuisine familiale vingt ans auparavant. Âgé de sept ans, il s’appuyait déjà sur un balai. Les évènements de son enfance s’inscrivent dans la pratique poétique de l’artiste et dans sa vie d’homme. Son travail prolifique et protéiforme est marqué par une identité forte liée au balayage, geste fondateur qu’il décline dans de nombreux travaux jusqu’aux années 2000. Lors d’une résidence à Kinshasa en 2004 à la Halle de la Gombe (à l’initiative de l’Espace Croisé de Roubaix), Régis Perray ré-investit le balayage après une série d’images réalisées en Égypte près des pyramides de Gizeh en 1999.
« La balade du balai » déroule pendant quarante minutes la trajectoire d’un balai ordinaire sur le sol d’une métropole étendue. La vidéo démarre sur les berges du fleuve Zaïre au cœur de la capitale de la République Démocratique du Congo, troisième ville la plus peuplée d’Afrique. Cette épopée nous enfonce dans une ville à l’urbanisme spontané et aux dédales de pistes en terre. Si le pays est balloté par les conflits et la présence des rebelles aux portes de la ville, Régis Perray parvient à obtenir une autorisation du Ministre de l’information. L’enregistrement vidéo est pour lui un moyen de diffuser une séquence de réel, comme si nous étions sur place. Il dit filmer « sobrement » ses actions, vivre une expérience et la partager. Le voyage est sinueux, les sols tantôt sableux, tantôt bétonnés se succèdent. La matière fluctuante est la toile de fond de l’image vidéo animée par un geste minimal ininterrompu. La banalité du balai contraste avec le brouhaha urbain : les soubresauts des trottoirs, les pas pressants des passants, les bruits et mouvements saccadés des Klaxons, vélos et voitures. De là, se dessinent des ombres qui entrecoupent le plan et nous laissent imaginer un environnement hors-champ s’agitant autour de la caméra : une grande place centrale, un marché. La cadence est maintenue tout au long de l’expédition inquiète au milieu de la danse des silhouettes. Le pas de l’artiste est déterminé, il maintient un rythme constant en tenant d’une main la caméra et de l’autre le balai. Peu à peu, l’échelle devient floue, le point de vue du balai et la distance parcourue renversent notre perception. Régis Perray s’emploie à éviter les obstacles de la ville : trottoirs, pierres et véhicules. Le balai ne balaye plus, il ramasse ça et là quelques déchets à nouveau abandonnés sur les axes bitumés. Après les magmas de cartons, les flaques d’eau apparaissent, elles aussi dangereuses dans ce pays tropical où les fils électriques se trouvent sous les rues. Le balai laisse derrière lui son empreinte furtive en une trainée de poussière. Son frottement sur le sol produit un son continu qui accompagne la déambulation ponctuée par la musique, la radio, les voix des habitants. En langue Lingala, Régis Perray est abordé, on s’interroge : « que fait ce blanc ? », on s’exclame : « vas donc nettoyer chez toi ! ». Pour l’artiste, le lieu est toujours plus fort. S’il n’avait pu balayer dans la rue, il n’aurait rien dit du pays et du contexte dans lequel il se trouvait. Malgré l’inquiétude de ses accompagnateurs, il décide de transgresser les règles et de traverser une ville dangereuse.
En devenant un mystérieux balayeur, Régis Perray se fait une place dans la rue. Tout au long de cette action aussi dérisoire qu’intense, sans début ni fin, il est à la fois seul et au milieu d’une foule. Cette quête dont le but serait de montrer l’expérience d’un corps en marche dans un pays en guerre dévoile seulement la main de l’artiste. Pourtant, la tension nerveuse autour de lui est palpable. Enfin, la chaleur étouffante oblige le convoi à s’arrêter. Régis Perray marche sans artifice et dresse le portrait singulier de Kinshasa vue du sol. Par cette action simple, il définit un périmètre aléatoire et dévoile une cartographie subjective ; sa rencontre avec une ville africaine contrastée où un balai devient le personnage principal de sa traversée.
Élise Girardot, 2020