Hommage à Pierre Giquel

Texte de Frédéric Emprou

« Je ne m’adresse pas à ceux que l’enthousiasme étrangle… ». Écrite dans les pages d’un quotidien régional, cette phrase de Pierre Giquel donne d’emblée le ton et tiendra toujours autant de l’invitation que de la signature. Commentateur de l’art qui se définissait lui-même non sans malice, comme « un accompagnateur, même mystique, plutôt qu’un analyste gelé », il assura successivement, et pour beaucoup, le rôle de passeur, du complice ou de l’ami, fruit d’un long et généreux compagnonnage avec les artistes.

Connu pour avoir incarné cette relation particulière et ininterrompue, qu’il n’eût de cesse de tisser notamment à Nantes, où il fut professeur à l’école des Beaux-Arts, Pierre Giquel admettait volontiers que « vivre l’art, c’est comme incarner ses méandres et ses sauteries ». Acteur d’une scène nantaise dont il fut l’un des tous premiers témoins, il publia indifféremment pendant les années 80 et 90, dans les colonnes d’Art Press, de Ouest France ou de la revue Interlope, la curieuse. Amoureux des mots, revendiquant éclectisme et liberté de ton, non hiérarchisation des genres et des générations, il écrivit, avec gourmandise et délice, autant de textes pour des premiers catalogues de jeunes artistes que d’autres édités par de célèbres institutions. Auteur d’une production qui s’est caractérisée par la multiplicité des formats et collaborations, ses écrits se retrouvent aujourd’hui aussi bien sous la forme d’œuvres plastiques, sonores ou chorégraphiques, que de textes de monographies d’artistes, comme par exemple  Pierrick Sorin, Fabrice Hyber, François Morellet, Christelle Familiari, ou bien encore Laurent Moriceau ou  Pierre Ardouvin, ORLAN ou Lili Reynaud Dewar…

Poète et « présentiste », créateur de rencontres, entre les gens comme entre les mots, Pierre Giquel assumait la turbulence et les circulations, comme une façon iconoclaste et presque vitale de regarder le présent, une manière constante d’être ici et là. Pieds de nez et contretemps aux attitudes du moment ou de l’époque, celui qui se réclamait volontiers de Paul Verlaine, parce que « de la musique avant toute chose, et pour cela je préfère l’impair » (1), cultivait ce charme de l’irrégulier et l’idée de variété, à l’instar de la chanson qu’il introduisait régulièrement dans ses textes.

Figure de la non autorité,  Pierre Giquel revendiquait un goût prononcé pour la transmission et le partage,  privilégiant souvent l’échange frondeur et le mauvais esprit, avec la rigueur d’un métronome au rythme tapageur. Plaisir de l’irrévérence, gaité de la conversation. Il disait découvrir les œuvres comme l’on vit des chocs, chez lui, le désir, la pensée et l’élégance se devaient d’être sismiques.

Sur presque trente-cinq années d’une intense activité littéraire, son écriture s’est déclinée avec une allure et une boulimie qui ne s’est jamais figée. De la même façon que Moêmes, qui vient de sortir aux éditions du Regard en duo avec Fabrice Hyber, Les Géographies irrégulières, parues en 2017, aux éditions Janninck, recueil et sélection de 175 de ses textes, retracent à la manière d’une esquisse, la trajectoire d’un style et d’une plume.

« On vous donne un corps, diffusez-le » ou « Dieu est mon photographe », à l’image de ces slogans dont il est l’auteur, les mots de Pierre Giquel n’ont certainement pas terminé de faire résonner leurs échos. Comme une mélodie entêtante, un refrain au goût d’intempestif.

Pierre Giquel s’est éteint le 29 décembre 2018 à Paris, à l’âge de 64 ans.


(1) Paul Verlaine, « Art poétique », in Jadis et Naguère, 1874.

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