Pascale Marthine Tayou, Collection Lambert, Avignon
On parle beaucoup d’hybridité ou de métissage des cultures : cet artiste d’origine camerounaise au nom sciemment féminisé le prouve, lui qui ne s’embarrasse ni de frontières ni de définitions. Ses poupées pascales le prouvent, qui mêlent des techniques verrières européennes à des objets issus de ses origines. Les poupées longilignes, issues de la culture vaudou, s’alignent dans un couloir peint en vert fluo mais se présentent en forme de Crucifix : les clous favorisent le rapprochement. Une œuvre en plexiglass juxtapose des drapeaux nationaux comme si le monde était à la portée de chacun. La forme adoptée est celle du labyrinthe, ludique et enfantine, que l’on retrouvera plus loin dans un agencement de cannes sculptées. En fait, Pascale Marthine Tayou récupère des matériaux simples et unanimement rejetés par l’écologie lucide, « des petits riens », les sacs plastiques ou les bouteilles d’eaux minérales et il les inclut dans des installations spectaculaires, avec humour mais aussi esprit critique, conscience urgente et environnementale. En la Collection Lambert, une salle est emplie de ses immenses branchages en forme de lustres, ponctués de bouteilles elles-mêmes retouchées de tissus. Intitulée Oxygène, les branches rappellent des poumons sclérosés par la pollution. A l’étage des sortes d’appliques font une haie d’honneur au visiteur qui pénètre des forêts de branchages à fleurs de plastique mais la haie pourrait devenir fatale, si cette nouvelle flore prospérait. Pascale Marthine Tayou a rythmé son parcours de maillons de chaînes, afin de rappeler l’esclavage et l’enrichissement européen par le commerce d’Epices. Certaines œuvres murales sont composées de cannes à sucre où affleurent des statuettes africaines entravées. On apprend à compter avec des sortes de bûchettes géantes en métal (Countdown), économie primitive, auquel répond, en début d’exposition, un graphique mathématique tourné vers l’infini (du profit) : Economica. Malgré les accusations, l’œuvre se veut gaie, parfois même enfantine (Dessins à la craie dans des fenêtres récupérées, allusions aux jeux), recourant énormément à la couleur. Des crayons géants nous attendent d’ailleurs à l’accueil, telles des épées de Damoclès en guise de pal, de même que des pierres de granites cubiques, renvoyant au jeu enfantin, dans les niches de l’accueil. Parmi les œuvres marquantes, une fait appel à des chaises rafistolées et témoignent sans doute de signes autochtones de misère mais s’inscrivent de plain-pied dans la fascination actuelle pour le concept fédérateur d’hybridité. L’artiste ironise sur le bla bla des conférenciers en regroupant ses chaises vides devant des graffitis muraux d’annonces des villes sollicitées, ici regroupées. Un autre matériau pauvre et urbain, la tôle, est transformée en nuée criarde qui plane au-dessus de nos têtes, tel un danger que nous ne voulons voir. Ceci dit, Pascale Marthine Tayou n’a rien d’un opposant radical ne jurant que par la haine du colon même si Le code Barre du Code Noir y fait directement allusion. Il prône la réconciliation, la communication entre les peuples ce qu’illustrent ses deux cercles de fils électriques aux couleurs de drapeaux, et reliés par des prises multiples. Et une main noire, tendue avec amour. Les écrans qui nous harcèlent d’images et discours sont en revanche tournés vers le mur. Enfin, dans la cour une double sculpture en bronze et en pied, représente deux êtres, nus, l’un masculin toute en force, l’autre féminin, toute en délicatesse, s’adonnant au jeu de la corde (ou du fil) à tirer. Comme si la Nature se moquait des genres et s’accommodait bien, en un seul être, des deux sexes souvent opposés. Une exposition très riche, qui recourt au ludique et à l’enfance comme un nouvel espoir pour régler quelques problèmes majeurs qui sclérosent la planète, ainsi qu’on peut le voir sur le monde en terre cuite, que l’artiste a modelé directement sur le mur.
Cela dit la Collection Lambert c’est deux étages de Collection dont la peinture figurative (Basquiat, Barcelo, Schnabel…) ou minimale (Ryman, Mangold, Bishop…), des wall-drawing de Sol Lewit, des installations incroyables de Boltanski ou Hirschhorn, et actuellement, une présentation de photographies de Louise Lewers, plus un don de Sean Scully. Et plein d’autres choses encore… BTN
Jusqu’au 19-11, 5, rue Violette, 0490165621