MONET-ROTHKO : 0-0

Les grands peintres sont avant tout des coloristes. Et la couleur, les jeux de couleurs, les échanges entre elles, entre leurs nuances, dans le calme ou le cri (expressionnisme) n’existent qu’avec la lumière. Monet va chercher la vibration de la lumière sur la cathédrale de Rouen, sur le Parlement de Londres ou dans le brouillard à Charing Cross Bridge ainsi que dans le calme des reflets dans l’eau des saules pleureurs de Giverny. Rothko est parvenu à son tour à capter et à faire ressentir cette même vibration dans sa dernière période.

 

Je ne mentionne que ces deux artistes car ce sont eux que le Musée des Impressionnistes de Giverny a mis à l’affiche. Si l’on connaît suffisamment Monet, à Marmothan, à l’Orangerie dont personne ne peut se lasser, ou dans les collections de tant de musées, si l’on a pu voir la rétrospective Rothko au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris en 1999 (je suis un peu trop jeune pour celle de 1962) et celle de la Fondation Beyeler à Bâle en 2001, alors cette affiche donne envie de se rendre à Giverny avant le 3 juillet, convaincu que l’un et l’autre dialogueraient et d’éclaireraient, un peu comme ce fût le cas récemment entre Soutine et de Kooning à l’Orangerie.

 

Or, pour notre plus grand malheur, la « technique » s’en est mêlée ! En effet, les salles du musée qui sont en sous-sol et donc privées de lumière naturelle, sont de surcroît plongées dans l’obscurité de telle sorte que seules les œuvres (et les cartels) sont violemment éclairées, ce qui donne l’impression d’assister à une projection de diapositives. La lumière projetée écrase toutes les nuances, empêche les couleurs de « vibrer », ajoute un cadre lumineux à l’œuvre par un filet de lumière qui l’entoure (Rothko) ou bien double le cadre noir dû à son ombre portée (Monet).

 

Cela est d’autant plus triste que le choix des œuvres mise en proximité paraît judicieux : mais pourquoi faire venir des œuvres parfois de très loin pour les montrer comme dans un cours d’histoire de l’art dans un amphi. C’est d’autant plus regrettable quand on a la chance de disposer de si beaux originaux, de vouloir, par le truchement de la technique, salle sombre éclairage des seules œuvres, « offrir une expérience immersive » (communiqué de presse) ; cette « expérience » aurait pour but de mettre en évidence la question de l’abstraction dont les voies se seraient ouvertes à un Monet « presque aveugle » et que Rothko, quant à lui n’a jamais assumé. Cette obsession de l’abstraction avant l’abstraction, cet « aveuglement », a tué la question centrale de la couleur et de la lumière du « jour » qui lui est nécessaire pour qu’elle puisse s’exprimer. Je suis certain que Monet comme Rothko n’auraient jamais accepté ces projections accusatrices. Que Dieu les éloigne de Giverny jusqu’au 3 juillet.

Denis-Laurent BOUYER

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