LUSTED MEN –

 

Entre Paris et Bruxelles

Le 12 mai 2021

10 h 12 a.m.

LUSTED MEN

Un dernier continent à explorer…

 

 

« …

Avoir un pied dans le futur

Vivre des rêves qui sont les nôtres

Et obéir à sa nature

Puisque rien ne dure vraiment

Et les princes des villes

N’ont pas besoins d’armures

… »

Michel Berger, 1985

 

 

 

Les propos et anecdotes recueillies au cours de ce compte-rendu d’entretien ont été enregistrés lors d’une rencontre organisée dans le cadre de la résidence de recherche curatoriale TOPOGRAMME — curatée avec Aurélie Faure, sur une invitation de Thomas Havet, dans son espace Double Séjour, à Poush Manifesto – février / mars 2021 — c’est là que nous avons organisé la rencontre avec LUSTED MEN.

Une partie de l’équipe du collectif LUSTED MEN est venue se présenter, présenter son projet sociologique, documentaire, d’archivage, anthropologique et curatorial autour de l’image.[1]

LUSTED MEN est un collectif composé Lucie Brugier – animatrice -, Salomé Burstein – curatrice et chercheuse -, Marion Chevalier – curatrice -, Laura Lafon – directrice artistique et photographe -, Morgane Tocco – anthropologue -, Margaux Oren – responsable marketing -. 3 d’entre elles vivant à Paris, une Maastricht, une à Nantes une à Marseille !

Le collectif est né d’un constat simple : le manque d’images érotiques autour du corps de l’homme. Éloigné.e des réseaux sociaux de niche, les images sont difficiles à trouver et / ou trop peu diffusées. Face à ce manque, LUSTED MEN prend l’initiative de pallier l’absence d’images de corps d’homme sous toutes ses formes.

Où trouver ces images ?

Qui produit et crée ces images ?

Qui interroge l’érotisation du masculin ?

 

Premier point important, et même si initialement ce projet est porté par 6 femmes, il est essentiel que l’homme soit partie intégrante et prenante de cette initiative, qu’il puisse s’approprier son image et saisir les problématiques d’érotisation de son propre corps au même titre que les femmes qui se sont posé les questions autour de ce projet.

L’intime, et d’autant plus l’érotisme, des corps masculins est encore aujourd’hui trop peu mis en avant, il peut parfois être quasi inexistant, en dehors des calendriers des dieux du stades et de mise en lumière d’événements sportifs, pour la communauté hétérosexuelle. Pourtant, un très bel héritage photographique homo-érotique existe bel et bien mais ces images peinent encore aujourd’hui à sortir des canaux de diffusion de la communauté gay.

Contre toutes attentes, la recherche du collectif reçoit énormément de soutien et la collecte s’enrichit de jour en jour grâce à l’enthousiasme de sa communauté, aux retours presse, aux événements et au bouche-à-oreille. Le projet LUSTED MEN devient alors, comme souvent lors d’avancées photographiques historiques, puisque davantage en rupture avec un académisme et vis-à-vis d’une tradition qui est fortement marquée par le patriarcat, la conquête d’un nouveau territoire, encore inexploré. Un territoire intime, érotisé, inexploré. Le corps de l’homme.

 

Anecdotes : « Au sein de la base de données de l’agence VU, une recherche avec le mot clef « féminin » débouche sur 6500 photos, la même recherche avec le mot clef « masculin » révèle seulement deux images dont un adolescent transgenre, travailleur du sexe en Indonésie …

Le collectif se rend compte qu’aucune recherche, aucune classification, aucune nomenclature autour du masculin n’est faite dans l’imagerie générale répertoriée … »

 

La collecte commence avec une interrogation : cette recherche d’image érotiques du corps de l’homme ou du genre masculin ?[2]

Après plusieurs échanges et confessions de professionnel·le·s ou d’amateurs·rices, l’équipe se rend à l’évidence. Ces images existent mais ne sont ni publiées, ni diffusées, voir même simplement cachées par leurs protagonistes.

Loin de la photographie de niche réalisée exclusivement par des féministes, des artistes, des activistes, ou pour les réseaux homo-érotique, il faut bien l’admettre, ces images ont besoin d’être débusquées, recherchées et montrées en dehors des réseaux de diffusion classiques. La collecte de ces images devient alors le cœur du projet et celle-ci s’initie avec un appel lancé depuis le site du collectif, via un portail. Ce même appel a par la suite été relayé sur Instagram[3].

Titre et démarche explicative suivent. La machine est lancée et elle s’accompagne d’un questionnaire. L’intention est simple : Interroger l’existence de ces images à travers l’histoire de l’art, mais, aussi la question de leur mise à l’écart des réseaux de diffusion classiques. Pourquoi ces photos sont prises et pourquoi ne circulent-elles pas ?

Quelle est leur valeur sociologique et/ou anthropologique ?

Anecdotes : « En 2019, lors des Rencontres Photographiques d’Arles, Laura Lafon part à la rencontre des publics et diffuse l’invitation émise par LUSTED MEN : produire, partager et collecter les images de corps masculins que leur auteurice considère comme possédant un pouvoir d’érotisation. La démarche révèle une incompréhension générale. Les réactions obtenues s’avèrent majoritairement négatives. Certaines réponses présentent même du dénigrement envers le projet et la démarche, dont le sujet semblerait trop éloigné du grand documentaire et/ou de la photo environnementale alors considéré comme LA recherche photographique communément admise et légitime.

Ce constat soulève la question du female gaze[4] — et, par extension, du positionnement de la personne — face à ces images.

La collecte d’image bat son plein et de nombreux·ses auteurices professionnel·le·s de l’image ou non y participent. Soucieuses d’éviter l’écueil des stéréotypes genrés où Les hommes viennent de Mars et les femmes de Venus et loin de ces deux catégories figées, les filles de LUSTED MEN partage un regard sur le corps des hommes qui est traversé d’empathie. Un regard avec la volonté de briser l’idée essentialiste et sclérosante selon laquelle hommes et femmes sont différents par essence. La collection d’images réunies par le collectif vise à l’émancipation des mécanismes de pensées qui associeraient le « gaze », le point de vue, qu’il soit masculin ou féminin, a une relation dominant·e·s / dominé·e·s et à rendre possible le transfert et l’identification par chacun·e de nous. Notre regard peut alors s’émanciper du regard hégémonique, pilier d’une culture visuelle dépassée, datée et libérer nos désirs indicibles, identifier son propre corps, projeter celui de l’autre, et conscientiser que celui-ci puisse être désiré.

LUSTED MEN propose et révèle l’érotisation du corps de l’homme à travers un spectre de regards trop peu montrés qui existent pourtant bel et bien.

Intervention : « Cette histoire me fait penser aux photos envoyées dans l’intimité, d’ami·e·s a ami·e·s, dans la confiance de la sphère amicale très intime, où l’on partage la part érotique du corps de l’autre, de l’ami, de l’amant, de l’amoureux, de l’homme. Récemment encore, ces photos ne sortaient pas au grand jour, elles étaient le témoin d’une intimité potentiellement gênante, dérangeante, humiliante, démasculinisante, pouvant blesser le sujet photographié par sa diffusion … Nous pourrions mentionner ici la série d’hommes endormis dans une « pose d’Odalisque » (pose lascive, stéréotype d’une codification de l’image attribué au féminin), d’hommes qui cuisinent nu à la sortie de la douche.

La problématique de ces images réside dans une sensualité des corps cantonnée au corps de la femme, encore il y a peu. »

LUSTED MEN devient alors, plus qu’une collecte. Cela devient un centre de données, un data d’images, une collection. Cette collection se constitue alors de deux choses. D’une part il y a l’entièreté des images collectées : l’Archive[5]. De l’autre il y a la Collection (suite d’images triées, sélectionnées, classées), indexée par chapitres et par années, a raison d’une image par contributeurice.

Intervention : « Ce projet met le doigt sur la honte générée par la diffusion de l’intimité masculine, sur les idées reçues induites par ces images et les ressentiments qu’elles pourraient faire naître chez d’autres, si elles venaient à circuler : soupçon de fragilité, de faiblesse, de sexualité refoulée. Se dessine ainsi les contours du problème autour de la monstration de l’image de l’homme érotisé »

Pour plus de précisions, dans l’Archive comme dans la Collection, il est important de préciser qu’intervient aussi le texte qui accompagnes les photos envoyées. Un texte qui oriente aussi le choix du collectif sur les raisons qui ont menées l’auteurice à qualifier sa photo d’érotique. Tout se base sur un questionnaire qui aidera à définir l’importance de l’expérience autour de la création de cette image. La Collection, lorsqu’elle nous est montrée prends alors en compte l’importance du geste et de la démarche dans son ensemble autant que les propriétés esthétiques des images soumises.

Ainsi, et en cassant la frontière entre photographie amateur et photo professionnelle, le regard et l’érotisation pour tou·te·s se libère. L’initiative mets à l’aise l’homme aussi. Dans sa collaboration participative. Il peut être spectateur, sujet, désirant et érotisé – désiré.

Intervention : « Quelle est la place que l’on donne aux voix désirantes mais sous représentées ? Intervient alors l’image érotisée du corps de l’homme telle qu’elle est actuellement montrée : trop souvent celle, seulement torse nu, de l’homme musclé, huilé, qui ne convient pas, ni à la réalité, ni aux désirs évoqués précédemment … Et quoi qu’il en soit, même celle-ci, n’existe que trop peu dans l’imagerie quotidienne qui nous est donné à voir. »

LUSTED MEN se positionne donc très loin des injonctions violentes qu’impose le patriarcat, encore aujourd’hui, à l’homme et à l’image qui le qualifie. Une image pour ce qu’il se doit d’être et pas une image de ce qu’il est. La Collection va alors de la Dick pic[6] aux corps bodybuildés tous en passant par le corps de l’homme alangui, torse nu entre amis loin des stéréotypes guerriers, mais aussi en montrant des sexes d’homme bien loin de l’érection viriliste et des postures conquérantes et empreintes de domination que l’on connait. Est-ce là le premier pas vers une démocratisation du full frontal[7] masculin ? Vers un nouveau désir autour du corps de l’homme ? En effet, au cinéma, à la télévision ou bien en photo, la nudité complète du corps de la femme ne laisse pas entrevoir son sexe alors que la nudité complète du corps de l’homme ne peut faire autrement que de tout révéler. Et si on ajoute à l’incapacité de l’homme a s’auto érotiser autrement que par la Dick pic l’Archive, tout comme la Collection est bien en plein défrichage d’un continent encore inexploré. Plus éloigné et inconnu encore que le corps de l’homme mais celui du corps de l’homme érotisé et à plus forte raison lorsque cet érotisme émane d’un regard qu’il ne maîtrise pas.

Intervention : « Se pose avec cette démarche la question de l’existence du porno pour les femmes. Pourquoi la diffusion d’images érotiques pour les femmes n’existe-t-elle pas ? (Il existe évidemment des pornos féministes bien qu’ils soient totalement minoritaires) Tout simplement parce que les images érotiques ou pornographiques ne sont pas produites pour les femmes ?  Est-ce que dans ce cas, la production de quelque chose en image pour répondre aux désirs des femmes serait quelque chose qu’il serait temps d’envisager ?»

Un nouveau désir autour du corps de l’homme émerge en effet doucement. Avec lui naît aussi une série d’images annoncées comme érotiques, en tout cas prise puisque provoquant un désir. Et de fait, cette annonce validant un prisme de désirs multiples, autorise aussi l’homme en face de l’expérience LUSTED MEN à laisser naitre (en lui-même) l’idée que son corps, même loin des stéréotypes, peut-être lui aussi un objet de désir.

Avec la Collection, LUSTED MEN va beaucoup plus loin que l’équation majoritairement admise : corps d’homme désirant / désiré = machine de muscle conquérante par l’effort physique + sexe en érection. Ce n’est pas en réalité un simple dépassement, c’est une entreprise de déboulonnage de normes. Le corps de l’homme odalisque lui aussi est désiré. Le corps de l’homme nu, le sexe au repos lui aussi et désiré et le corps d’hommes entre eux, presque en camaraderie peut, lui aussi, provoquer du désir … L’érotisme peu ainsi naître du corps habillé et se défaire de la nudité.

Intervention : « Résultat, la culture visuelle telle qu’elle est, est modelée pour le regard d’un spectateur type : un spectateur masculin, hétérosexuel, non racisé où le corps de l’homme nu n’est montré que dans un contexte sportif ou de guerrier conquérant. Cette image ne s’adresse en fait, en aucun cas, aux personnes à qui elles prétendent plaire mais est bien au contraire, produite pour flatter et rassurer une pensée masculiniste. Une pensée qui voudrait valider l’action de plaire, entre hommes, en train de plaire aux femmes. Un panel d’images de postures de conquêtes et de domination ni plus ni moins. Des images qui vont dans le renforcement d’un rapport de pouvoir genré et qui systématiquement provoque et valide des inégalités … »

C’est pour finir, avec un véritable choix de dispositif scénographiques, curatorial, que l’équipe décide de montrer une photographie par contributeurice, dans des carrousels de diapositives. Cette installation invite alors le spectateur à regarder l’intégralité de la Collection, entrecoupée de textes, pour avoir accès à une image voulue, recherchée. Une image, qui d’ailleurs, lorsqu’elle est montrée, n’est pas légendée, ni de son titre, ni de son photographe. Une initiative qui permet par la même occasion de dégenrer l’auteurice de la prise de vue en créant ainsi une multitude de désirs autour du corps de l’homme et émancipés du genre.

Les négatifs du carrousel défilent et les photos s’infusent entres elles et le désir glisse d’une image hard et BDSM vers un portrait simple avec la même charge érotique.

C’est cette chaine de validation du désir qui passe par le désir de l’autre qui est quelque chose de salvateur que l’imagerie érotique autour du corps de l’homme, ne proposait pas jusqu’alors. Une visibilité de tous les corps et de tous les désirs, parfois même un désir loin de celui que peut provoquer un corps nu, parce que le désir peut émaner d’ailleurs …

Il se dégage finalement, au regard des différents carrousels de photos, un sentiment de libération, pour l’homme qui regarde et le spectateur, la spectatrice qui découvre et désire. Une libération induite par une action profondément féministe, où la représentation masculine, pour susciter le désir chez l’autre, ne se doit plus d’être l’archétype de la force, de la sécurité, de la domination[8]. Une invitation féministe en somme, où l’homme est aussi invité en tant qu’allié à participer pleinement à ce combat pour la libération des regards et des désirs autours du corps de l’homme, avec tout ce qu’il est et non pas ce que l’on lui impose d’être.  Et alors même que le regard de l’homme, sur son propre corps érotisé se libère, une nouvelle place est donnée, de fait, à ce que le corps de l’homme a la possibilité d’être, tout en suscitant du désir. Une acceptation nouvelle de ce qu’il est à un endroit qui n’existait pas encore.

A l’homme alors, tout autant qu’aux femmes et aux personnes non binaires, de se réapproprier ses images image pour créer de nouveaux désirs et de nouvelles possibilités d’être. Nous pourrions même aller jusqu’à penser qu’en continuant dans cette direction la prochaine révolution sexuelle sera masculine érotique et libérée, de ce corps genré, malegazé[9] et contraint d’être ce qu’il n’est naturellement que dans de très rares cas.

Il faut donc remercier LUSTED MEN pour ce travail, cette recherche et cette invitation. A plus forte raison parce que tout cela est fait gratuitement et que s’il est déjà rare de financer des recherches autour de l’image, il est impensable (mais il serait temps de l’envisager) qu’encore aujourd’hui de penser qu’une recherche autour de l’image érotique du corps de l’homme puisse l’être prochainement. LUSTED MEN s’est donc émancipé d’Instagram et a ouvert un Patreon dans un geste collectif, et concerté avec plusieurs autres comptes féministes et d’éducation à la sexualité.

LUSTED MEN, une initiative que je vous invite à suivre et dans laquelle je vous invite encore plus à prendre part.

 

Merci

Léo Marin

[1] Les « Interventions » ou « Anecdotes » font état de la participation du public et d’Aurélie Faure.

[2] La collecte est ouverte à toute personne majeure désirant y contribuer.

[3] Au moment où ces propos sont recueillis, le compte Instagram de LUSTED MEN est censuré et supprimé par l’application sans aucune explication.

À l’heure où s’écrit ce recueil de propos, le collectif « se lève et se casse » et décide d’utiliser Patreon comme relais d’informations, et évite la censure.

[4] Théorie féministe sur le cinéma qui questionne le regard de la spectatrice ou du spectateur porté sur les protagonistes féminins d’un contenu culturel. Elle fait suite aux recherches de la théoricienne britannique de cinéma et féministe Laura Mulvey sur le regard masculin (le male gaze, en anglais). Par la suite, le regard féminin se réfère à la perspective qu’une cinéaste, scénariste, réalisatrice ou productrice apporte au film, un point de vue différent d’une vision masculine sur le même sujet.

[5] Mais à partir du moment où le collectif obtient du contributeur le consentement de l’homme pris en photo et que celui-ci a plus de 18 ans il fait automatiquement parti de l’Archive.

[6] Dick pic : photo de sexe en érection, très souvent envoyée par internet.

[7] Terme anglais : nudité frontale complète.

[8] On notera également ici que cette initiative permet aussi une libération des regards sur le corps de l’homme au sein même d’une communauté queer, homosexuelle souvent encore plus violente et hégémonique que peut l’être celle du male gaze hétérosexuel cis, blanc … et ce n’est pas plus mal.

[9] Male gaze : désigne le fait que la culture visuelle dominante (magazines, photographie, cinéma, publicité, jeu vidéo, bande dessinée, etc.) imposerait au public d’adopter une perspective d’homme hétérosexuel

 

 

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