Florence Obrecht « Le Jardin de verre », Galerie Valérie Delaunay, Paris

Exposition Florence Obrecht « Le Jardin de verre »
Galerie Valérie Delaunay Paris
du 5 mai au 18 juin 2022

 

Texte de présentation Marc Donnadieu

 

Elle est retrouvée. Quoi ? – L’Éternité ![1]

« Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous », aurait déclaré le poète Paul Éluard. Dans l’œuvre comme dans la vie de Florence Obrecht, artiste française vivant à Berlin, il y a que des rendez-vous, y compris avec le hasard ou le destin, le sien comme celui des autres.

Rendez-vous avec la ville et ses habitants ou ses réfugiés. Rendez-vous avec la peinture et ses figurations ou ses déflagrations. Rendez-vous avec le monde et ses instants magiques. Rendez-vous avec l’histoire et ses événements tragiques. Autrement dit, tout ce qu’elle vit, désire ou rêve, rencontre et partage, provoque ou prolonge, invente ou réinvente, relève ou révèle… Rendez-vous avec nous, futurs visiteurs d’une exposition qui nous est adressée comme un moment arrêté, suspendu, sur un processus toujours en cours, infiniment recommencé, jamais réellement achevé.

Intitulée « Jardin de verre », celle-ci est donc, à l’instar d’une serre, tout à la fois un espace transparent et ouvert, un lieu clos, protégé et protecteur, et un terrain fertile où tout peut croitre et s’épanouir dans un certain désordre patiemment entretenu. Et, à l’instar d’un square, une forme de place publique, de carrefour où les chemins comme les destinées se rencontrent, se croisent et s’entrecroisent et se mélangent, où les voies s’ouvrent et les voix se déclarent. De même, l’atelier de l’artiste est envisagé comme un lieu de bouturations, de greffes et de germination où les projets se contaminent et les figures s’interchangent. Les identités y défilent ainsi toutes ensemble et joyeusement, qu’elles soient celles de ses amis, de sa famille proche ou élargie, d’invités de passage ou en résidence, de correspondants plus éloignés mais pas moins présents, voire de l’histoire. « Des humains suffrages, / Des communs élans / Là tu te dégages / Et voles selon. »[2]

Au cœur de cette parade picturale inédite, on retrouvera donc des dieux ou des déesses tutélaires convoquées ou re-convoquées pour l’occasion (Rembrandt, Édouard Manet, Leonor Fini, Pablo Picasso, Henri Matisse, Louise Bourgeois, Christian Boltanski, Martin Kippenberger, Mike Kelley…), certains des protagonistes habituels à l’œuvre de Florence Obrecht (Émilie, Sara, Sophie, Pascale, Marie, Raphaëlle, Axel…) ou de nouveaux arrivés avec lesquels elle partage sa route maintenant (Kateryna, Yarina…). On y rencontrera surtout, fruits du hasard ou de la nécessité, une procession initiée en janvier 2021 par des étudiants ukrainiens et qu’elle a intitulé le projet « Vertep » – Le « Vertep » est une forme de théâtre traditionnel ukrainien de marionnettes ; en Biélorussie, il est aussi connu sous le nom de « batleïka »). Une amie vivant à Lviv lui en a envoyé les images à sa demande il y a maintenant plus d´un an. Depuis, Florence Obrecht en maintient la survivance à l’instar d’une vestale.

D’œuvre en œuvre, on saura donc y repérer des figures de mémoire (icones, images anciennes d’Europe de l’Est, tableaux de Marfa Tymchenko, artiste folk ukrainienne), des formes vernaculaires ou populaires (châles, coiffes, couronnes, collerettes, bannières, drapeaux, bâtons…), des motifs emblématiques débricolés (abeilles, plumes, fleurs, fruits, bougies, perles, boutons, coquillages, dentelles, broderies…), des déclarations définitives telles que « L’Amour est plus fort que la mort » et un radeau qui nous semble insubmersible de part sa force, sa détermination et son intensité. Mais, comme dans tout défilé, certaines choses vont demeurer jusqu’au bout, d’autres disparaître sur la pointe des pieds, d’autres encore virevolter d’une œuvre à l’autre, d’autres enfin s’entretisser afin de gagner en résistance.

De cela, le travail est à la fois le berceau, le témoin, la mémoire, l’incarnation ou la révélation. L’emprunt le dispute ici à l’empreinte. Certaines circonstances vont rester secrètes, certains récits vont devenir des légendes et, le plus souvent, certaines rencontres provoquer de nouvelles vies. Ces va-et-vient entre les choses et les êtres, l’espace et le temps, l’ici et le maintenant, sont dès lors de véritables sismographes de sens, de sensations, de sensibilités et de sentiments, des passages de témoins ou de relais, des événements communautaires et collaboratifs burlesques et ironiques, acides et corrosifs, des infinités de possibles ou d’impossibles advenus. « Un soleil dans le ventre aux mille rayons », comme nous l’indiquait Picasso.

Marc Donnadieu

 

[1] Arthur Rimbaud, L’Éternité, 1872, in Derniers Vers

[2] Arthur Rimbaud, L’Éternité, 1872, in Derniers Vers

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