3 expos d’hiver : Montpellier, Sète, Perpignan

Claude Viallat, Fondation Hélénis, Hôtel Richer de Belleval

Après Jim Dine et ses coeurs, sous le plafond duquel on doit passer pour accéder à la salle d’expo temporaire, c’est donc l’artiste le plus emblématique de notre région (avec Combas et Soulages) qui est ainsi convié en ce magnifique lieu qui renaît de ses cendres, en plein centre de l’ancienne ville médiévale. Ceux qui ne connaissent que vaguement Viallat pour la répétition d’une forme, qui lui est propre, et qui finit par devenir en quelque sorte sa signature, seront surpris de la manière dont elle a évolué au cours des années. Cela fait belle lurette qu’elle s’est émancipée de la toile libre pour envahir des supports divers, plus ou moins empruntés à l’univers de l’ameublement. Qu’elle s’est pliée à des formats de toute dimension. Qu’elle se fait parfois discrète au point qu’il nous faut la restituer mentalement. Qu’elle se soumet à la division des surfaces voulues ou récupérées par l’artiste. Qu’elle s’inscrit dans tout un bataillon de couleurs qui réagissent en fonction desdites textures et surfaces. Qu’elle accorde à présent une place prépondérante aux contreformes qu’elle produit en contrepoint. Qu’elle se complique souvent d’un cerne. Qu’elle s’accommode de divers objets trouvés qui peuvent passer pour des avatars de châssis ou du pinceau. Qu’elle se soumet à la suspension, à la torsion, à l’équilibre. Que les contours sont parfois indécis, déchiré, brutalement interrompu… Que la matière picturale s’est fluidifiée avec le temps tout en se montrant généreuse. Bref ceux qui se font une idée assez simpliste de l’art de Claude Viallat risquent d’en prendre plein les yeux, plein les préjugés et plein leur ignorance. Ceux qui connaissent scruteront la nouveauté, toujours prompte à surgir de son imagination matérielle, si subtile et jamais prise en défaut. En l’occurrence, il sera intéressant de voir comment l’artiste a géré l’introduction de ses diverses pièces dans un hôtel du XVIIème aussi connoté et qui s’honore de ses œuvres d’art du passé comme du présent (Benchamma, Mocquet, Fabre…). Viallat y présentera certes quelques pièces plus ou moins attendus ou classiques dans des formats plus ou moins imposants et avec une grande sobriété d’intervention régulière et symétrique selon le principe qu’il a mis en place depuis plus de 50 ans. Ce procédé lui permet de se concentrer sur les principes matériels inhérents à sa pratique plutôt que sur « l’inspiration » ou sur la composition (fournie par un pochoir déterminant les distances d’une forme à l’autre).. Mais aussi beaucoup d’assemblages de tissus, souvent en triptyque, disposés à l’horizontale mais aussi à la verticale. Ces rapprochements vont de pair avec la sédimentation des époques que demeure un habitat qui a traversé divers siècles et s’est donc enrichi de divers styles. On notera de temps à autre l’introduction d’un cintre. Un hôtel et un lieu qui fourmille d’objets hétéroclites à foison et Viallat n’a pas lésiné sur le nombre de pièces différentes qu’il entend bien exposer. Des lés, des pièces de tissus où la forme est bien présente mais en nombre limité, parfois unique. Cela renoue avec les premières œuvres de Viallat et ajoute une dimension ludique. Le support se suffit parfois à lui-même. Et puis, pour ceux qui ne connaissent pas certains aspects moins connus de son travail, on relèvera la présence de volumes, assez fragiles, bois et cordes essentiellement dans lesquels certains devineront des avatars du châssis et de la trame de la toile, d’autres certains gestes ancestraux de cueillette ou de nouage. Ce genre d’œuvre pourrait détoner par rapport à l’élégance rénovée du lieu, so opulence passée et présente, et Viallat n’a jamais dédaigné le décalage distancié. Il a conservé, malgré la reconnaissance, un caractère rebelle et un évident sens de l’humour. Ses tissus, temporaires qui plus est, c’est la petite touche apportée à l’ameublement si raffiné des lieux. Une touche populaire, et même naturelle, lorsque l’on réalise d’où l’artiste récupère ses supports. BTN

Jusqu’au 30 mai, Place de la Canourgue, 0499661821

 

COLLECTIon COLLECTIve, ACMCM (Perpignan).

La morte saison est l’occasion pour certains lieux de faire le point, de puiser en l’occurrence dans le riche et récent passé et d’honorer la mémoire des disparus. On pense à Vincent Madramany en grande partie responsable de l’impressionnante collection acquise par l’association. On y retrouve en effet la plupart des artistes qui se sont confrontés à cet immense ancien garage voué depuis des années maintenant à l’art contemporain, dans sa composante picturale essentiellement. Un bon tiers des artistes sont français, un deuxième tiers étant consacré à la péninsule ibérique, l’intérêt étant de créer une dynamique entre les deux pays, Perpignan occupant une zone stratégique car frontalière. Enfin, des artistes, venus de toute l’Europe sont venus compléter le tableau, si je puis dire. Nous sommes gâtés, dans la région, puisque ACMCM a consacré ses premières expos à des régionaux : notre incontournable Viallat et son traitement répétitif de la surface colorée ; l’alésien Jean Le Gac et sa science volontairement désuète de l’image du Peintre amateur, ou encore Dominique Gauthier qui excelle dans la conquête géométrique, baroque, haute en couleur du grand format, de préférence carré. On peut y ajouter le perpignanais Serge Fauchier et ses jeux de formes colorés se déclinant sans lassitude sur la toile, Mohamed Lekleti, à la figuration si particulière frisant le fantastique, ou encore Francesca Caruana et son curieux igname bleu emprunté à la culture kanac (Recto/Octer). Ajoutons-y l’abstraction radicale d’un Georges Ayats. Mais ACMCM c’est aussi la figuration narrative, d’un Valério Adami, l’inquiétante étrangeté d’un Vincent Corpet, le caractère iconoclaste, mouvementé, dynamique de Stéphan Pencréac’h. C’est également Ben que l’on ne présente plus, ou la relecture classique de la figure opérée par Axel Pahlavi, originaire de l’Iran. Ou de Florence Obrecht, laquelle poursuit la tradition des figures ambivalentes de clowns… Mais ce qui aura singularisé ACMCM, depuis bon nombre d’années, c’est que ce lieu d’art nous aura permis de découvrir des artistes espagnols, essentiellement valencinois, peu montrés du côté de notre scène artistique. Je pense à la géométrie extrêmement sophistiquée de Javier Chapa, au traitement si particulier de la figure humaine d’Artur Heras ou au dessin minutieux d’un Manuel Boix, ou de Marco Carrasquer, le néoréalisme reconnu de Raphael Armengol. Il y a aussi les âmes noires de Chema Lopez, les portraits noir et blanc, en très gros plan, de Santiago Idanez, les séries d’Adria Pina, les végétaux approchés par le jeune Esrnesto Casero. Côté féminin, les architectures solitaires de Tania Blanco ou l’utilisation inquiétante de la lumière colorée effaçant les protagonistes solitaires de Carolina Ferrer, le réalisme figurale spéculatif de Mary Sales. Josep Guinovart représente enfin la Catalogne barcelonaise. Passons à l’Europe…  Le suisse Till Ribus est en train de s’imposer comme l’un des maîtres de la nature morte ou de la peinture d’intérieur totalement renouvelée. La présence des mondes fabuleux de Rosa Loy ou de Simon Pasieka dans leurs tableaux, ou de l’abstraite Claudia Busching, dans l’espace, montre que ce lieu d’art s’ouvre à la fructueuse Allemagne. Ou à l’Italie de Camila Adami. A la Croatie avec cet incroyable et grouillant dessinateur qu’est Davor Vrankik. Les portraits de l’anglais Tony Bevan. Et bien évidemment aux Pays Bas de feu Lucebert, transfuge de Cobra. Tout comme Pat Andréa, considéré comme l’un des figuratifs les plus originaux de son temps Le commissaire a voulu subdiviser les choix effectués dans cette collection en trois classes : l’une dévolue à la mémoire, une autre à la fiction et une dernière à l’identité. Ces catégories sont suffisamment souples et plastiques pour fédérer tout un panel éloquent d’artistes, et même pour définir une esthétique, dont on comprendra qu’elle est surtout portée sur l’expression picturale de la figure, ce qui n’exclut en rien un grand intérêt pour les effets matérialistes de la couleur et un certain penchant pour le dessin magistral. 35 artistes le prouvent. BTN

Jusqu’au 17 mars, 3, rue Grande Bretagne, 0468341435

 

Alexandra Bircken/Bianca Bondi au Crac de Sète

En choisissant cette allemande (Alexandra Bircken) et cette sud-africaine installée à Paris (Bianca Bondi), le Crac participe de cette tendance générale qui veut que les femmes-artistes occupent une place de plus en plus prépondérante dans la création artistique et le marché de l’art actuels. Il faut dire que les deux se singularisent par une identité forte, rapidement identifiable dès lors que l’on s’intéresse de près à la création contemporaine. Alexandra Birchen articule sa production autour de la peau qui enveloppe tout le corps, nous sert de frontière avec l’extérieur, nous rend si vulnérable et au fond nous permet d’avoir une image de nous-mêmes distincte du chaos. Ainsi trouvera-t-on dans ses installations d’une part des combinaisons qui épousent la forme du corps dans ses multiples modelés, tendus sur socle ou abandonnés sur le sol, d’autre part des mannequins sans tête mais couverts de cette seconde peau que constitue un vêtement, en enfilade comme pour un défilé de mode, souvent soumis aux cicatrices des coutures quand les tissus sont parcellisés. Par ailleurs, Alexandra Birchen s’intéresse aux extensions du corps que sont les armes et les engins roulants sur deux roues, symboles évidents du pouvoir et de la puissance plus ou moins virile. Elle les expose en général sous forme d’objets sculpturaux soit en les coupant en deux parties égales, ce qui permet d’en divulguer les beautés, techniques, cachées, l’étrange charme des viscères mécaniques. Ou bien, en ce qui concerne les armes, de manière à en révéler l’esthétique géométrique, une fois privée de sa force létale au bénéfice de sa magnificence plastique mise au mur. Alexandra Bircken pratique en général l’installation. Les vêtements de motards sont posés sur des socles de diverses formes qui mettent en valeur les effets décoratifs, colorés et formels. Elle alterne les pièces au ras du sol et les formes obusières, parfois gigantesques et verticales, avec ces volumes intermédiaires que sont les peaux animales retravaillées par l’homme et fixées sur socle à claire-voie. Dans ce monde violent et déshumanisé, son œuvre nous ramène à l’essentiel, qui nous protège à notre insu, malgré sa fragilité : notre peau, à sauver, tant que le clonage et la robotisation ne dominent pas le monde de leur puissance aveugle.

Bianca Bondi serait plutôt une alchimiste, instinctive, des temps modernes, qui s’appuie sur la capacité de certains matériaux à se transformer, à se combiner, à réagir les uns aux autres. On l’a vu souvent transformer une chambre ou une cuisine en territoire d’exploration pour des végétations résistantes, des zones aqueuses colorées par la matière ou des solutions chimiques. A la biennale Lyon, une cantine de l’ancienne usine était soumise aux assauts du sel, l’un de ses matériaux de prédilection  pour sa capacité à protéger ou conserver mais aussi à corroder. A la Vassivière, le sel recouvrait les meubles d’un salon. L’artiste est résolument impliquée dans le sentiment d’urgence écologique qui caractérise les nouvelles générations. La montée des océans, les taux de microplastique présent dans les étendues maritimes, la disparition de la nature concurrencée par l’artificiel, la concernent, la préoccupent et alimentent sa réflexion et son travail. A cela, Bianca Bondi ajoute l’odeur et le son ce qui fait que son œuvre s’adresse aux sens principaux, le toucher se faisant mental de notre part qui envisageons son processus, manuel, de  fabrication. Les interventions de cette artiste sont en général spectaculaires mais troublantes, quelque peu fantomatiques, avec une dominante blanche, indécise. Elle recourt à la vitrine, à l’emballage plastique, pour concevoir des sortes de natures mortes ou de vanités, dans des œuvres qui peuvent s’avérer murales. On y retrouve des fleurs séchées, des restes animaux, des coraux, des livres et beaucoup de vaisselle, chinée dans divers pays… La végétation et les plantes médicinales sont aussi omniprésentes puisqu’elles peuvent guérir mais parfois aussi empoisonner. Avec ces deux artistes, on, peut être sûr que l’espace volumineux du Crac sera utilisé à bon escient et que l’on n’aura sans doute pas le sentiment du vide… dont la nature a horreur… BTN

Du 12-3 au 22-5, 26, quai aspirant Herber, 0467749437

 

 

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