Supports en conversation : Max Charvolen et Jean Marc Pouletaut, Palais de l’Europe, Menton

Le parlement des pairs

Du 25 juin au 17 septembre Jean-Marc Pouletaut et Max Charvolen exposent à la galerie d’art contemporain du Palais de l’Europe, à Menton.

Les expositions en duo ont une saveur particulière. Elles mettent en écho deux démarches, deux visions du monde, deux sensibilités. Dans les meilleurs cas, elles supposent un dialogue antérieur, parfois une rencontre de plus ou moins vieille date, des conversations, des échanges. Elles impliquent d’autres formes de dialogues: celui qui semble s’établir entre les pièces exposées, ceux que les visiteurs, accueillis dans cette intimité artistique, engagent avec les œuvres, avec les autres, avec des zones inconnues d’eux mêmes.

Une vue de l'exposition
Photo: Catherine Gourdet

La relation entre Max Charvolen et Jean Marc Pouletaut commence il y a une trentaine d’années, dans les locaux de la Villa Arson, école d’art de Nice. Charvolen y était enseignant, Pouletaut étudiant. Aucune relation de subordination ou de hiérarchie pourtant entre eux, Charvolen fait partie de ces maîtres qui considèrent les apprentis comme des égaux.

C’est Charvolen qui m’a fait connaître Pouletaut, dans le courant des années ’90. Nous animions alors une galerie associative, à Nice. Parallèlement à une activité de peintre,Jean-Marc Pouletaut s’adonnait à la critique d’art et posait sur les expositions de notre galerie son regard exercé.

J’ai retrouvé Pouletaut aux alentours des années 2010, toujours par l’intermédiaire de Charvolen. Pouletaut avait connu des difficultés physiques qui avaient gravement amoindri sa vision et qui l’avaient conduit à abandonner la critique pour se mettre entièrement à la peinture. Décision que d’aucuns considéreraient comme paradoxale.

Et nous voici au seuil d’une exposition commune. Entrons dans leur conversation.

Pouletaut positionne l’origine de son travail dans sa relation à l’esthétique du groupe Supports/Surfaces. Élargissons le point de vue. À la fin des années soixante quelques dizaines d’artistes, organisés plus ou moins durablement en groupes, s’inscrivent dans un rapport inédit à l’art. En bref, dans leurs « productions » (les œuvres) ils ne cherchent ni la ressemblance, ni l’expression d’une sensibilité, ni la communication d’un message, mais à donner à voir l’objet issu d’une analyse de ce qui constitue la peinture, de ce qui la rend possible, et d’une critique de son statut. Max Charvolen, membre fondateur du groupe ’70, a contribué à illustrer cette tendance esthétique de la « peinture analytique et critique » dont se réclame Pouletaut.

Voilà une esthétique que l’on a considérée comme « théorique », « intellectuelle », et peut être est-ce encore ainsi que certains la considèrent un demi-siècle après son avènement… Mais quand on considère les « objets » qui en sont issus, les « œuvres » qu’elle a permis de produire, on s’aperçoit que l’exigence intellectuelle, la rationalité, l’effort théorique, se sont muées en explosions inconnues, de couleurs, de formats, de formes. Et cet inattendu peut ouvrir en nous de nouvelles zones de sensibilité, peut nous rendre sensibles à des aspects du monde et de nous mêmes que nous ne soupçonnions pas.

À vrai dire, ce n’est pas la première fois dans l’histoire qu’une tendance artistique suspecte d’intellectualisme, et de « théoricisme » est d’abord rejetée… Voyez le Cubisme et son rapport aux théories de l’espace et du temps, son analyse du mouvement du regard, voyez l’Impressionnisme et les théories de la couleur, voyez la Renaissance et sa réflexion sur la perspective… Leonard de Vinci disait que « la pittura è cosa mentale », « la peinture est une chose de l’esprit »… comprenons d’abord que, pour Leonard, la peinture n’est pas une pratique « manuelle », qu’elle est un art et qu’à ce titre elle demande intelligence. Comprenons plus largement aussi qu’il n’y a pas d’art sans réflexion.

Du point de vue formel, Charvolen et Pouletaut ne se soumettent pas aux données classiques de la peinture. Pouletaut explore un support inhabituel pour la peinture: la moustiquaire. Il la choisit pour sa richesse tactile, pour ce qu’elle permet de sentir et ressentir quand on y passe les fluides colorés, pour ce qu’elle permet de richesse visuelle, chromatique, des nuances de reflets, d’irisations, parfois.

Charvolen construit ses supports à partir de découpes de tissu. Au début de son travail, dans les années 60, ces découpes prenaient la forme rectangulaire de la toile perdue. Depuis la fin des années ’70, elles se modèlent sur les espaces que nous habitons.

Nos deux artistes mettent ainsi en question le type de toile sur lequel on peint, les modes de coloration, le rôle des pigments, les types d’outils, la variété des manipulations allant jusqu’au pliage, à la découpe, à l’assemblage, la possibilité de montrer l’envers et l’endroit, le rapport avec le vide (l’absence ou la perte d’une partie de la toile) à l’intérieur même de l’œuvre, diversification des relations du corps avec l’objet en cours de création, diversité des postures et des gestes.

Et leur travail d’artistes se développe bien au-delà des pièces qui figurent dans cette exposition. Travail sur des objets, diversification des rapports avec les espaces que nous habitons par exemple, pour Charvolen. Travail à l’encre de chine, exploration de la gestuelle, utilisation d’objets utilitaires chez Pouletaut. Dans tous les cas, l’esprit de la démarche est présent.

Voilà ce que partagent profondément Pouletaut et Charvolen: l’exigence d’une démarche, d’une approche réfléchie et rationnelle de la peinture. Un art dont émergent une sensibilité nouvelle, des zones nouvelles d’émotion.

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