Reverse Universe au Crac de Sète

Reverse universe, Crac, Sète
Depuis quelques temps, au Crac de Sète, on s’est habitués à voir deux expositions pour le prix, gratuit, on ne le rappelle jamais assez, d’une. Assez contrastées au demeurant mais pouvant sans doute se rejoindre. Un britannique, un italien. Mme de Stael en eût extrait ces deux visions de la culture, romantique et latine sauf qu’ici la première, celle du britannique Than Hussein Clark (et de son ami le poète James Loop pour la dimension sonore, et sa petite musique de nuit façon cut-up) nous plonge dans le port marocain de Tanger, si prisé des poètes, artistes et de la communauté homosexuelle en général. Ainsi le parcours qu’il nous propose s’apparente à un voyage en résumé dont nous seraient rapportés les moments clés. L’arrivée aérienne de la milliardaire américaine Barbara Hutton sur le sol marocain, aujourd’hui rattrapée par la camarde, les décors intimes privilégiés par le couple Bergé/St Laurent, des tableaux de Delacroix réinterprétés à la lumière de motifs décoratifs de nature florale. Si l’installation initiale est spectaculaire, les 365 horloges, toutes plus exubérantes les unes que les autres, récupérées dans la ville, ne le sont pas moins, dont l’heure rappelle l’année de l’indépendance. Au fil des salles et couloirs on croise Renaud Camus, l’auteur de Buena Vista park et de Tricks, ou le film Casablanca, et surtout Jean Genet, dont plusieurs photos du compagnon de voyage sont prises devant la tombe, accompagnées de bidons de lait contenant des images de poètes. Than Hussen Clark a également fait tisser sur des tapis de lin des dessins caricaturaux de courses de coca, à portée revendicative, ou transformé très habilement un piano à queue en dromadaire, histoire de nous rappeler que, pour être également un port méditerranéen, Tanger est tout de même une ville exotique. Une doucke est là pour nous rappeler que la douche est indispensable dans ces pays chauds, et pas seulement en raison de la chaleur. Une salle présente des fenêtres aux verres bleus, comme la mer que l’on ne saurait oublier et qui rapproche Sète et Tanger.
Avec Luigi Stefanini, tout en demeurant dans Sète dont il s’est inspiré, on est davantage dans la peinture, le dessin et l’écriture même si cette dernière relève davantage de l’universel que du spécifiquement méditerranéen. L’artiste italien s’est en effet offert le luxe de créer son codex personnel, baptisé de son propre nom, seraphinianus, dont on pourra voir diverses pages dans l’une des immenses salles de l’ancien entrepôt. L’inventivité, le mélange des espèces, l’humour y règnent en maître, le contraste s’avérant frappant entre l’alignement sage des dessins en couleurs ou des planches et leur contenu le plus souvent déroutant. On peut d’ailleurs y déceler l’un des enjeux de cette production à savoir qu’elle parodie la science dite sérieuse pour lui substituer un savoir empirique et singulier, à l’instar de notre île, tout en imaginaire et en onirisme, tourné vers le Lointain intérieur que vers les vérités universelles. L’écriture est graphique et conserve pieusement ses secrets. On est davantage dans le mystère, parfois même dans l’ésotérisme tandis que chez Hans Hussein Clark se veut davantage ouvert sur le monde réel, orienté dans ses choix et propositions, puisant manifestement dans l’Histoire et une culture de la marge. Stéfanini s’exprime d’une part par le biais du tableau, lequel renvoie d’un côté à un surréalisme non figuratif dans l’idée de privilégier l’éternel état de métamorphose, des règnes ou des choses, de l’autre à une sorte de collage d’images inattendues, souvent inspirées de peintures anciennes. Toutefois ce sont surtout deux installations qui sollicitent l’imagination : l’une rendant hommage au thon (en l’occurrence scié en deux), poisson culte du bassin méditerranéen, auquel un Dali par ex a puissamment rendu jadis hommage, dans un environnement voulu énigmatique et rituel ; l’autre à une sorte de femme potagère et nue, aux jambes de carotte, géante, faisant office de sirène terrienne ou chtonienne puisque la référence à Perséphone semble pleinement assumée. Des objets hybrides, des écritures murales, des céramiques grotesques et rayonnantes, force signes complètent ces présentations hautes en couleur.
Deux approches donc, inspirées des ports de notre mer et de l’animation qui les caractérise : l’une tournée vers l’épaisseur de l’histoire réelle, l’autre vers les profondeurs du rêve et de la mythologie singulière, à l’instar d’une île, entre terre et mer. BTN
Jusqu’au 24 mai, 26, quai aspirant Herber, 0467749437

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