Postproduction Frac Languedoc + WE Frac Fabien Boitard

COMPTE RENDU DE VISITE AU FRAC
Quatre jeunes artistes, diplômés des Ecoles d’art de la région, se partagent donc l’espace, toujours remodelé du Frac, ouvert aux scolaires et à quelques privilégiés, en attendant la fin du confinement. Le premier Hugo Bel recourt en l’occurrence à un matériau peu usité, le sucre liquide, mais aussi à du verre et de la filasse pour délimiter en quelque sorte l’espace d’exposition sous forme de grille moulée sur quelque lycée montpelliérain tout proche. Avec ce matériau coulant et plastique mais fragile pour ne point dire éphémère, Hugo Bel illustre le thème qui réunit les quatre artistes autour de la fugacité des choses humaines ainsi que des apparences telles que l’ombre et la lumière. Beau pied de nez à toutes les œuvres qui tirent « vanité » de leur pérennité. Une installation suspendue, toujours en sucre non raffiné et filasse, rend hommage au tournesol, cette plante qui comme son nom l’indique, n’existe que grâce à la lumière solaire, laquelle disparaît dans ce lieu d’exposition. Le sucre pleure, l’homme ne se remettra jamais de son incomplétude, essentiellement temporelle. Isabelle Rodriguez nous fait pénétrer dans un espace intime moins voué à la matière qu’à la légèreté des mots littéraires. Et pourtant. Son héroïne : une princesse se prenant pour l’écrin d’un vulnérable piano, et vouée pour cette raison à un véritable confinement. Son installation est donc composée d’objets (deux minuscules pianos de verre), de documents et bien sûr de textes. On peut également lire sur place cette histoire un peu étrange mais vraie. Une robe blanche d’époque donne corps à cette créature au destin si vite brisé et dont le sort ne peut que toucher par son inquiétante étrangeté, si poétique pourtant. Vir Andrea Hera nous fait pénétrer, par le moyen de deux vidéos géantes, dans un domaine audio-visuel qui sollicité la part d’ombre, en voie de disparition des cultures minoritaires. On est dans le rituel, l’ancestral, le mystérieux et pourtant si proche de nous, inscrit en nous. Ce que l’on pourrait appeler l’autre. Au mur il a réalisé une sorte de triptyque en palimpseste, recourant à des langages disparus, en voie de disparition etc. tel l’aztèque ou le vaudou. L’appeau, pour sa dimension communicative, est mis en exergue, brisé et reconstitué. Son travail flirte avec l’archéologie ou la paléontologie mais témoigne de la survivance toute relative des cultures. Il nous fait franchir un degré de plus dans l’Histoire. Enfin Rebecca Brueder réalise une installation murale in situ tout à fait remarquable sur l’immense mur du fond. Ce dernier est couvert de trois couches de terre de plus en plus claire où viennent se déposer des fragments stellaires de verre et miroir censés figurer les éclats d’une météorite tombée sur terre. La terre est donc illuminée par la lumière mais en même temps notre planète est à la merci d’une destruction venue du ciel ou du cosmos. On se sent tout petit face à cette œuvre qui rappelle le peu de lumière d’un univers infini voué aux forces obscures. Un très méticuleux dessin à l’encre d’une éruption volcanique termine cette exposition qui au fond nous fait voyager dans le temps, ce temps qui nous est compté et qui se donne à lire à nous quotidiennement, sous forme de successions d’ombres et de lumières. Ce qu’illustre bien cette exposition. BTN
Jusqu’au 15 mai environ, ‘, Frac rue Rambaud, 04 11 93 11 60

WE FRAC LE MECENE ET LE PAON 17 et 18 avril (par BTN)
Si les lieux voués à l’art sont fermés, rien n’interdit que les œuvres occupent l’espace public le temps d’une promenade essentielle. C’est ce qu’a bien compris Emmanuel Latreille en invitant Fabien Boitard à occuper, de ses œuvres s’entend, la façade et donc l’extérieur des locaux du Frac Occitanie. La Pandémie aura eu au moins le mérite de solliciter la faculté d’adaptation, jamais prise en défaut, caractéristique de l’esprit humain. Cette initiative en témoigne.
Ainsi que l’analyse le directeur du Frac dans son texte de présentation, trois des quatre toiles (deux obturant l’entrée, un peu comme pour une occupation subversive, une dans la niche latérale), traitent, selon la technique figurative de l’artiste héraultais, des puissants du milieu de l’art, ceux que l’on nomme les mécènes, censés faire la pluie et le beau temps, favoriser l’essor des carrières et acheter ceux dont on parle plutôt que ceux qu’il faudrait aider. Les deux premiers, suspendus devant la porte vitrée, sont ainsi des portraits de riches, le premier, je n’ose pas dire larron, dont l’image provient d’une recherche d’anonymes sur le Net (comme quoi la peinture peut s’approprier la technologie la plus actuelle) exhibant ses signes contemporains de puissance ainsi qu’ont pu les exhiber jadis les Ambassadeurs de Holbein. Le second, plus dérangeant (le mauvais larron ?) ayant subi partiellement l’assaut du cutter révélant l’envers du décor, les symboles de la vanité humaine (crânes, têtes de mort), comme pour traduire la négativité de ce que ce puissant-là s’est préalablement envoyé derrière la cravate… Ainsi la peinture de Fabien Boitard se veut-elle engagée. Le capitaliste n’est guère son ami. Lui baiser les mains il n’en est pas question, ni lui lécher les bottes, pas plus que le célébrer en peinture. Boitard ne mange pas de ce peint-là… La troisième œuvre, dans la niche, dévoile le portrait du grand collectionneur Bernard Arnault, selon le même principe iconoclaste. Le portrait en effet est souvent une commande effectuée à la demande de l’acheteur censé se considérer comme suffisamment puissant pour passer à la postérité. On est bien dans la vanité des choses humaines. En l’occurrence, ce n’est point le mécène qui sollicite l’artiste mais ce dernier qui l’interpelle. Il ne s’agit plus de célébrer sur commande mais de démystifier, de dénoncer un mode économique fondé sur la superficialité, comme le dit Emmanuel Latreille, de « démasquer ».
Or il n’y a pas que des mécènes en cette exposition de rue, ouverte aux passants, aux chiens et chats munis de leurs justificatifs de domicile. Dans une autre niche, en demi-cercle au dessus de la porte, viendra se loger un paon, ailes déployées. Un paon sur un pan en quelque sorte. Deux lectures sont possibles selon que l’on aborde l’œuvre d’un point de vue positif ou négatif. Soit ce qu’incarne et coiffe cet oiseau qui aime à se pavaner, c’est cette fameuse vanité qui surplombe les tableaux de mécènes, et leur déteint un peu dessus – orientant l’interprétation ; soit c’est la peinture, qu’incarne l’oiseau de couleurs, rayonnant de tous ses yeux, qui reprend ses droits et clame sa supériorité : elle est éternelle tandis que les mécènes passent.
Ajoutons que cette expérience menée par Fabien Boitard renouvelle notre vision étroite et caricaturale du street art. Autrement dit d’un art populaire, ce qui ne l’empêche pas d’être ouvert sur le présent, pertinent et profond. A admirer 4, rue Rambaud les 17 et 18 avril. 0499742035 BTN

 

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