Peter Fischli, Wael Shawky, Ho Tzu Nyen etc. LUMA, Arles
Il faut compter une bonne journée pour écumer les divers espaces de Luma cet été. Dominée par sa tour, en passe de devenir l’une des plus célèbres de France d’autant qu’elle se voit de loin, Luma, c’est un immense espace composé d’anciens entrepôts (Grande halle, Mécanique générale, Forges, Magasin électrique), un parc paysager conçu par l’architecte belge Bas Smet, comprenant un lac et des tas d’œuvres d’art (Parreno, West…). Nous avons déjà vu, dans le dernier numéro, la collective Danse avec les démons (nouvelle façon originale de présenter peintures et photographies sur un mur, association de sculptures), la peinture figurative de l’autrichienne Maria Lassnig, et une plongée dans les années 60-70 avec les premières expériences associant Art et Technologie. Le deuxième volet se détoure surtout dans les anciens ateliers, à l’exception des portraits N et B de new-yorkais aux rebelles et décalés, réalisés dans les années 90, par David Amstrong, lequel s’est également penché, comme par contraste, sur des paysages vaporeux. De même aussi pour la Sibylle de Toni Oursler, à même de nous prédire l’avenir à partir d’un programme géré par IA (on peut acquérir le poster de notre profil personnalisé). Enfin on y découvre les peintures étoilées, plongées dans le noir et olfactives de la coréenne Koo Jeong A, une série de ses dessins dépouillées dans une pièce peinte en rose et une sorte d’Alien odorant qui nous accueille dès l’entrée. Aux Ateliers, l’espace est immense et se prête à l’immersion et à la démesure des projets d’artistes. Aux Forges, Peter Fischli nous invite à piétiner des dizaines de photos prises au mobile et témoignant de la circulation permanente que nous impose la société capitaliste. Des feux de signalisation nous incitent à nous arrêter. A l’étage une installation de couvertures de revues sur miroir, disposées selon des règles mathématiques invitent à méditer après avoir pris le petit train de l’évasion. A la Grande Halle, l’égyptien Wael Shawky reconstitue une rue de Pompéi qu’il s’approprie, sur fond de Vésuve, grâce à ses propres reliques (bronze et verre), disposées dans des boutiques colorées et sablées. Sa vidéo relate la cosmologie grecque grâce à des marionnettes : l’histoire de Gaïa, la mère des titans, ses fidèles, ses prêtres, les rituels qui l’honorent dans un esprit évident de syncrétisme religieux. Il s’agit en effet de repenser l’Histoire et Shawky le fait de manière spectaculaire. A La Mécanique générale, on est immergé dans l’œuvre essentiellement vidéographique du malais Hoo Tzu Nyen, lequel lui aussi a maille à partir avec l’Histoire. On est dépaysés par les problématiques liées à l’extrême orient que semble incarner pour lui la figure du Tigre. Phantom of Endless day, revient sur la fin de la guerre mondiale vécue par le Japon et recourt à l’IA pour reconfigurer diverses versions d’un film d’action (et d’amour). Les effets spéciaux sont spectaculaires et impressionnants. Enfin, au Magasin électrique, on suit les projets de Bas Smet, à propos de notre Dame de Paris ou d’Anvers dans un esprit de résilience écologique et d’usage intelligent des plantes et de la Nature en général. On peut passer des heures à consulter les photos, regarder les vidéos, s’étonner des accrochages, interroger la pertinence des installations, se plonger dans le passé, s’inquiéter du futur, interroger l’IA, s’imprégner de sculptures olfactives ou tout simplement admirer de la peinture. Sans doute, en sortant en sait-on un peu plus sur ce qui préoccupe les artistes du monde entier de nos jours. Bon… Pour les français, à part Parreno, on patientera. BTN
Jusqu’en Janvier 2026
Rappel : Danse avec les Démons, Maria Lassnig, Luma, Arles
Premier volet de la prolifique saison estivale, cette triple expo, à laquelle s’ajoutent les œuvres pérennes, se déploie surtout dans la fameuse Tour. Les miracles ne résultent pas d’un vœu pieux : il faut y mettre et s’en donner les moyens. Sensing the future nous replonge dans les années 60 et de ces artistes visionnaires qui s’essayaient à l’apport en art des nouvelles technologies (E.A.T). Elle est composée de documents d’époque et de vidéos en grand format mais aussi d’une expérience cardiaque de Jean Dupuy (cocorico !), des nuages d’argent de Warhol, d’une programmation électrique de Haake… Plus proche de nous, les peintures de l’autrichienne Maria Lassnig en font l’une des artistes majeures du XXème siècle (Archives Obrist 5). Si la 1ère salle familiarise avec sa production, son féminisme avant la lettre, son humour décapant (l’oreille de Van Gogh servie pour un diner, autoportrait à la casserolle), la seconde illustre, sur toile ou sur papier, son rapport à la mythologie, celle des dieux et des animaux fabuleux. On découvre son exploration du cinéma d’animation et son ironique self-portrait, ou sa ballade auto-fictionnelle. Enfin une salle documentaire lui est réservée. Pourtant, c’est Danse avec les Démons qui constitue le clou de ce programme estival à voir absolument car elle déroge aux conventions de l’accrochage et fait montre d’une audace incroyable. Les œuvres murales (peinture et photos, lithos… surtout mais aussi miroirs de Jeff Koons) sont en effet disposées selon un parcours en domino, par association d’idées, de couleurs ou de formes. Les photos et impressions de Horn, Gordon, Tillmans, Struth etc. alternent ici avec un nu de Marlène Dumas, là une toile abstraite de Tobey, un paysage d’Ernst, un portrait (Beuys) de Warhol ou deux monochromes contrastés de Kelly. Côté volumes, deux Rondinone ou Schutte se font face plutôt que de nous faire face. Arp voisine avec Angela Bulloch, Giacometti avec Cattelan, un jeu d’échecs du même avec un Mac Carthy parodique… Fischli et Weiss ont droit à un atelier. Carsten Höller a installé une chambre de navire planante et robotisée d’où émerge un champignon dansant (nous sommes accueillis par ses pilules en tas, tombant du plafond). Des masques inter-réagissent avec nos mouvements et une bibliothèque circulaire est reconstituée (Campagna et Kanu). Il faut ajouter, dans le parc, la cabane au papillon et surprise oursine, de Precious Okomoyon, l’immense tour cybernétique de Parreno et les buses à brouillard de Fujiko Nakaya sur le Lac. A Luma, on fait (ou refait) les choses en grand. En l’occurrence dans la riche continuité de la Fondation Beyeler, en Suisse… Et on dit, chapeau ! BTN