Pour saluer les 30 ans de l’Espace G. BRASSENS
Brassens et sa pipe ! Brassens et sa moustache ! Brassens et sa guitare ! Sa sympathique corpulence ! Ses cheveux de zazou ! La mauvaise réputation ! Le pornographe du phonographe ! La truculence, gauloise, libératrice à l’époque ! Ses gros mots qui effrayaient sa mère (Et pas que…) ! La Jeanne ! L’auvergnat ! Les aspects tendres du Bonhomme ! La poupée pour qui, le costaud s’est fait tout petit ! Les femmes de ses chansons ! La vie de bohème dans une fameuse impasse, au sud-ouest de Paris ! La tentation libertaire ! Patachou ! Les récitals à succès, accompagné d’une fidèle contrebasse ! Les Trompettes de la renommée ! Mais toujours Les copains d’abord ! Puis le bel homme vieillissant que l’on savait malade, sans imaginer la gravité du mal ! Son rapport à la mort, souvent narguée ! La camarde qui jamais n’avait pardonné ! Tant d’images nous viennent à l’esprit lorsque l’on pense au créateur du Mauvais sujet repenti ! Et de quelle manière !
Et puis Sète, l’île singulière où l’on revient toujours ! Sa supplique pour y être enterré, même s’il prétendait que c’était pour rire ! Qu’il ne fallait pas trop le prendre au sérieux ! Il n’empêche ! C’est au cimetière de Py que l’on peut venir faire sur sa concession d’affectueuses révérences… Un cimetière plus humble que le littéraire marin cher à Paul Valéry… Mais cette humilité colle si bien au personnage ! Brassens : un homme du peuple ! Et qui roule les r…
Sète une ville d’artistes ! Soulages ! La figuration libre ! Une once de Supports-Surfaces ! Des nuées de plasticiens toutes générations confondues ! Certains natifs du terroir ! D’autres qui s’y installent, et pas des moindres ! Son Crac ! Son musée PV ! Son Miam ! Ses galeries, municipales, associatives ou privées ! Son école d’art ! Une petite capitale de la culture, ouverte sur le monde entier, avant la lettre. Et puis cet espace, muséal, Georges Brassens, à quelques pas de sa tombe. Sète sait honorer les enfants du pays ! On y entend la voix du poète ! En guide particulier, qui déroule le fil, de son existence! On y découvre des épisodes cruciaux de sa vie, de la France qu’il a connue et bien sûr, de sa ville natale !
Encore n’ai-je évoqué que les arts plastiques ! Peintres, Sculpteurs ! Performeurs ! Photographes ! Graffeurs… Mais il y a aussi Vilar et le théâtre ! Les voix vives de la Poésie ! La musique n’est pas en reste : La Fiest’a Sète, et le Jazz et Demi-Portion ! 22, v’là Georges et la craquante Fernande ! Les Images (photographiques) singulières ! K-Live et les arts urbains ce qui tend à prouver que les quatre zarts, dont parlait l’ami Georges, ont tendance à s’unifier ! Même les séries télévisées s’y sont laissé prendre ! Sète séduit les élites comme le peuple et entre les deux !
Avec cette initiative estivale, on verra se conjuguer les images que ce monument de la chanson française aura laissées auprès du grand public, à la façon dont les artistes, pour la plupart sétois, le perçoivent : ses aspects populaires et ses chansons à succès. Le lien se fait par le biais de cet art accessible au plus grand nombre, populaire lui aussi, au sens noble du terme c’est-à-dire alliant clarté et exigence : la sérigraphie. Sur Sète on la veut artisanale et manuelle, et cela sied mieux au personnage ! L’homme à la pipe n’aura connu ni les ordis ni les portables ! Sa pratique est encore manuelle, et d’ailleurs la guitare… L’atelier porte le joli nom de Brise-lames… Qui répare l’âme ! On s’est limité au noir et blanc : Brassens ne borna-t-il pas ses apparitions sur scène à la fameuse contrebasse du fidèle Pierre Nicolas ?
D’où l’intérêt de ces images que j’évoquais plus haut et qui forgent les éléments d’une légende. Brassens ne défrayait pas la chronique… Mais on le connaissait par les pochettes de disques, les affiches, plus tard par ses passages à la télévision, aujourd’hui on les retrouve sur le Net. Les artistes ne se sont pas privés de puiser dans cette importante iconographie de quoi offrir leur vision suggestive, et subjective, de ce parolier exceptionnel, au timbre de voix unique et lui aussi singulier, à la diction si typique, et à la culture indéniable (celle des poètes notamment : Aragon, Hugo, Verlaine, Villon, Paul Fort…).
L’Espace Georges Brassens fête en effet ses 30 ans, ce que nous rappelle une estampe d’Alain Zarouati, où l’on voit un couple adamite y faire escale, muni d’une indispensable guitare. 30 artistes ont ainsi été sollicités : d’abord ceux de la génération qui aura connu Brassens de son vivant, et ayant fait leur preuve : celle de Combas (auteur de coffrets déjà « collectors »), de Di Rosa et pas mal d’autres, légèrement plus jeunes, comme Cervera, Biascamano, Cosentino, Duran, Zarouati, Clôdius et le précieux Topolino, inventif chroniqueur de l’actualité sétoise, voire de leur trop méconnu aîné, Pierre François, son frère J.J François, et le boulimique (et génial) Jean-Luc Parant. Mais aussi des générations suivantes : celle de Maxime Lhermet ou de Lucas Mancione, d’Anna Novika Sobierajski…, Celle enfin qui aura fait ses premières armes du côté du Street art… Maye, Tony Bosc, Depose, ou de la figuration actuelle inspirée par le rap, la BD, les séries, le tatouage, la customisation et autre… : Boris Jouanno, Rebels Muge, Reka.
30 points de vue, dont on tâchera de résumer la variété et la richesse de manière à donner une idée des diversités d’attaques du thème conçues par les artistes. La Femme, tant célébrée par l’interprète de Brave Margot ou de Comme une sœur, ne manque pas à l’appel : on note la présence d’Eve Laroche-Joubert (qui s’est penchée, avec le sens de l’humour, parodique, qu’on lui connaît, sur la gent animale présente dans l’univers de ce compositeur – dont les airs se retiennent instantanément, à l’instar du sautillant et tragique Petit cheval), d’Anna Novika Sobierajski, qui l’habille en jeune des banlieues, conservant sa moustache mais le regard caché derrière une casquette doublée d’un capuchon (et apportera sa fine sensibilité slave à cette expo à dominante méditerranéenne), de Laure Della Flora qui nimbe Brassens de cernes vibratoires ou pleines d’énergie positive, ou de Karine Barrandon qui l’angélise avec une douce ironie, enfin de l’Alice, d’Amon et Alice lesquels s’intéressent à ses signes zodiacaux…
Pour en revenir à nos 30 et quelque artistes, beaucoup ont choisi le portrait en gros plan, de face ou de profil, sur fond plu ou moins dépouillé, parfois rehaussé de lignes ondulée (à la manière d’un halo, ou d’une aura) ou au contraire extrêmement complexe, au point que s’y dissout parfois la figure (Duran). Chacun s’approprie le visage si caractéristique de l’artiste. On le transforme en punk (Mancione), en disque solaire rayonnant (Di Rosa), Hugues Chargnot en outlaw « libre d’être et de pensée » malgré les tours rayonnantes qui le guettent; on l’imagine entouré de têtes de chats (Della Flora); on le réduit à un regard, à l’œil de l’artiste, son regard noir, à une tache à partir de laquelle l’esprit peut vagabonder (tel un spectre de Rorschach – Dombres). Lucie Lith le façonne au pochoir, de mots qui collent au personnage. Combas, à son accoutumée, a dynamisé le fond en cloisonnant la surface : on repère aisément des allusions aux textes, au chat de Margot ou à la cane de Jeanne. Un couple d’artistes, Amon et Alice, décale son légendaire profil en bas à gauche du tableau contemplant un disque solaire et les signes du zodiaque, ceux de Brassens lui-même, dans le coin droit…
D’autres prennent un peu de recul et l’imaginent guitare à la main : Accompagné de sa Muse, la femme nue de ses rêves, sujet omniprésent dans son répertoire (dont témoigne J.J. François), ou fumant dans l’ombre son éternelle pipe, simplement, tout en optant pour la modeste chanson plutôt que pour la philo trop cérébrale (Laou). Le portrait en pied de Brassens sur scène, avec sa chaise et sa guitare aura également tenté pas mal de participants, qui chacun lui ont apporté leur touche d’originalité : prêtant à l’instrument un foisonnement de manches (comme si la guitare s’animait, se faisait électrique, devenait prolixe… : Topolino se déchaîne) ; la tête (de guitare) métamorphosée en tête fantastique (de l’artiste) : Pierre François ; le corps du chanteur incliné à la manière d’une danse orientale (Cervera) et donc plus léger que nature, humour élégant oblige ; ou dans une attitude hiératique, simple et traditionnelle, sur fond bleu comme la mer et son théâtre tout proche. L’une des artistes, Karine Barrandon, préfère l’imaginer en lévitation, à la manière d’un ange déployant ses ailes protectrices, ou nous surveillant avec bienveillance. Lhermet se concentre plutôt sur les objets emblématiques, dont il sature la surface, et se limite à une simple allusion stylisée du visage, à la manière d’une estampille.
La pipe (proliférant sur une boule de Jean-Luc Parant tout comme jadis dans tel portrait de Combas) et la guitare sont omniprésentes mais aussi les chats, très souvent sollicités (Reka, Rebes Muge, Della Flora…) sans doute par allusion au côté casanier du personnage, plus familier de sa table d’écriture que de voyages dans le monde non francophone. Zarouati accorde une place non négligeable au populaire et émouvant Petit Cheval.
Enfin, on l’insère dans un paysage, dans un environnement plus large : on le fait naviguer à l’instar de l’éternel estivant (Dépose) sauf qu’au pédalo on a substitué une barque chargée d’objets familiers ; on le change en géant longiligne qui dominerait le mont St Clair, la tête dans le firmament tandis que grouille la vie festive à ses pieds démesurés (Maye); on en fait un héros de bande dessinée, ancré dans son univers intime, le cœur de Sète vibrant sur le ventre (Bosc).
Mais Brassens n’est pas seulement une image ou si l’on préfère une icône. Il est avant tout un magicien des mots, un auteur de chansons ciselées à la manière d’un orfèvre. Bien des artistes ont choisi de faire des références à celles qui résument le mieux l’apport décisif du sétois d’origine à la culture française en général. Ici c’est la Supplique, là c’est Les copains d’abord (En fait Un copain d’abord ! nous dit Clôdius)… Ailleurs : Je me suis fait tout petit (grâce à laquelle on s’aperçoit que tous les hommes ne sont pas seulement des mâles dominants), choisi par J.J. François… Un ancien graffeur, Tony Bosc, fait rimer Putain de toi et Pauvre de moi ! Un autre, Christopher Dépose, imagine judicieusement un cadre de titres à une fameuse promenade en barque (peut-être posthume ?); celui-ci, Reka, les énumère, de manière manuscrite, sous le portrait du poète, souriant comme satisfait du travail accompli… Eve Laroche-Joubert, parodie le texte du célèbre Gorille : « C’est à travers une large prairie que le gorille et compagnie vivent en harmonie sans soucis du qu’en-dira-t-on. » Et d’imaginer un Eden (normal quand on se prénomme Eve) où la cane de Jeanne jouxte le bel animal entouré de papillons en attendant son copain le petit cheval blanc, devant un arbre fleuri. Celle-là, Karine Barrandon, a même imaginé un rébus, où chacun décryptera les références suggérées… Cet autre, Rebelsmuge, se sert des vagues de la mer, que l’on voit danser, afin d’énumérer des passages de ses vers préférés (empruntés aux Sabots d’Hélène, à L’orage ou La Mauvaise réputation, dont on reconnait, en redondance du cadre, la fameuse corde à « mon » cou). Un dernier, Lhermet, peint sur les objets de multiples références à La jolie fleur, aux Bancs publics, et aux célèbres « croquantes et croquants » de L’Auvergnat. En regardant de plus près le méticuleux graphisme figuratif de Maye, on aperçoit la Gare au Gorille, ce qui prouve que les artistes ont su conserver cet humour, ce sens de la provocation, cette truculence rabelaisienne (mais pas que…) que l’on associe à bon nombre des succès d’un auteur capable de concevoir La ronde des jurons, le roi des cons ou qui sait trouver une rime active à Fernande.
Au demeurant, ce ne sont pas toujours les mots de Brassens qui apparaissent en ces estampes : Jean-Luc Parant y va de son petit texte manuscrit, dans son style linéaire si caractéristique et dont il a le secret ; Zarouati célèbre les 30 ans en l’espace tout en rappelant l’année de sa disparition, Mancione s’amuse d’un Brassens « sans pattes » (dans la chevelure), CharlElie, invité de dernière minute (et de prestige), salue L’ami Georges (« C’est à Sète que naquit.. »), devenu l’ami de tous. Lucie Lith se sert des mots connotés qui signalent le mieux ce gai libertaire pour confectionner son image, aussi bien sur une surface plane qu’en relief, dans un entremêlement de lettres qui forment des mots et ces mots un visage. De la planéité de la photo d’origine on en vient à l’impression 3 D, quasiment au tactile, en passant par l’intervention de l’artiste au pochoir, dans l’épaisseur de multiples couches.
Comme on le voit, la diversité d’approche est large. Aucune œuvre ne ressemble à une autre. A la variété de motifs offerts par le répertoire du chanteur-éponyme, correspond une variété d’illustrations effectives. On évolue de la figuration la plus franche (que l’on a pu dire libre dans les années 80) à l’abstraction absolue (la tache, noire dans l’œil, du bien nommé Dombres), en passant par des signes (Amon et Alice), des rébus (Barrandon), de mots dans la peinture, aurait-dit Michel Butor… Entre les deux, des modes de stylisation divers… Grâce à eux, le sexagénaire qui nous a quittés, il y a plus de 40 ans, est encore et toujours parmi nous… A fortiori si l’on suit le parcours vocal proposé dans l’Espace, où prendront place ces sérigraphies (ou gravure, ou photomontage).
Un jeu qui pourrait amuser le public : Repérer quels artistes ont le mieux illustré les thèmes et sentiments majeurs présents dans l’œuvre du maître : la provocation, la religion, la mort, l’amitié, l’amour, la Nature, l’animal ou tout bonnement… Sète…
Mais la distribution des œuvres au sein d’un parcours bien balisé, et remarquablement scénographié, devrait les y aider…
Tout n’est pas dit dans ce texte. L’événement pourrait réserver maintes surprises. Déjà le peintre CharlElie rend hommage à son confrère chanteur, sur fond bleu comme la mer toujours recommencée. Combas pourrait nous réserver une série dont il a le secret, lui qui a travaillé, par le passé, sur les chansons du maître : Les bancs publics, Pauvre Martin, Dans l’eau de la claire fontaine…
Trente ans ça se fête. C’est la maturité, le début de la sagesse, et on a toujours la vie devant soi. C’est le moment de souhaiter longue vie à l’Espace Geoges Brassens, et éternelle survie à celui qui l’a inspiré…
BTN mai 2022