L’épreuve des corps, Hôtel des collections, Montpellier
La dernière expo de l’ère Bourriaud est sans doute la plus convaincante, d’abord parce qu’elle est t remarquablement scénographiée, ensuite parce que les choix de Vincent Honoré sont pertinents et judicieux, enfin parce qu’elle permet de découvrir des œuvres majeures de certains artistes les plus en vue de ces dernières décennies. Et tout d’abord, elle prend la mesure du corps dans son rapport avec le monde, qu’il s’agisse de la société, de ses contraintes, ses jugements, ses valeurs, ses exclusions… Après le Japon, la Russie, le Brésil, l’Angleterre c’est l’Italie qui est à l’honneur avec la collection turinoise de Patrizia Sandretto et Re Rebadengo. Les pièces retenues nous plongent d’emblée, au premier étage, dans une conception dérangeante du corps, celle, photographique, de l’américaine Zoé Léonard avec ses ceinture de chasteté, calibreur de beauté et autre perruque, sans parler de l’effrayant modèle anatomique assis… Mais encore avec la femme sans tête en cire de la sculptrice belge Berlinde de Bruyckere, mise sous vitrine et comme emprisonnée. Au fil des trois étages, on croise d’autres œuvres majeures, à commencer par les deux assemblages hybrides de Sarah Lucas, l’un aux innombrables seins féminins aux matériaux improbables, l’autre en papier mâché, assorti d’une chaise. Evidemment l’autoportrait suspendu au porte manteau de Maurizio Cattelan, criant de vérité même si réduit, l’un des coups de cœur de la collectionneuse qui, et qui l’en blâmerait, privilégie les artistes de son pays. Plus loin, une salle est vouée à l’incontournable Cindy Sherman, ses petits formats en noir et blanc où elle joue les artistes de films de ses années de jeunesse, et de plus grands formats en couleur où elle joue la carte de la provocation d’ordre sexuel. Toujours au premier, menacé par des armes de Cady Noland, derrière une porte d’enclos, un gros plan géant d’un visage, de l’allemand Thomas Ruff, lequel semble un peu égaré, sous nos regards interrogateurs. Même s’il est moins connu que les grands noms sus-cités, Michele Rizzo marque les esprits avec une installation de corps au repos, dont un dédoublé et coupé en deux, baignant comme les autres dans une flaque de sueur suggérée. C’est rappeler les exigences que supposent la condition des danseurs ou des sportifs dans ce monde voué au spectacle. Au sous-sol, outre les grands tableaux de Barbara Kruger et ses compositions très médiatiques, on reste saisi d’effroi et de fascination devant les douze mannequins aux cheveux câblés, perforés et alignés dans une vitrine, associés à des images d’horreur et de violence à peine soutenables, de l’helvète Thomas Hirschhorn. Et puis c’est l’apothéose au sous sol avec le gigantesque diptyque du duo Douglas Gordon/Philippe Parenno (la France sauve ainsi l’honneur !) consacré à Zidane. Une manière éblouissante de détourner les codes du reportage sportif en se concentrant sur les gestes, le quasi ballet corporel et les jeux de physionomie du simple joueur durant un match. Toutefois, si ces grands noms éblouissent, bien des œuvres d’artistes plus discrets font de cette exposition une indéniable prétexte à découverte : la vidéo où Lina Bertucci se coupe les cheveux avant de se regarder dans une glace ; la sculpture animée, un duo de têtes parlantes, dite animatronique de Nathaniel Mellors ; l’ironique performance dite Egalité, filmée par la russe Elena Kovylina en pleine place rouge ; les tentatives de métamorphoses corporelles de Roberto Cuoghi ; l’énigmatique main gantée prise en photo N et B par Trisha Donnely, les corps de gens rejetés et emballés après usage par le système économique, de Josh Kline ; l’impressionnant film d’Et Atkins sur son propre corps devenu objet trafiqué de fiction… Et puis il y a les peintres Sanya Kantarovsky et sa quasi piéta, voire ce corps épuisé de mère à l’enfant dans une atmosphère étouffante. Lynette Viadom-Boakye et ses personnages sortis d’on ne sait où, sur un fond terriblement sombre. Certains leur préfèreront la réaliste sculpture de migrante modelée par la roumaine Andra Ursuta, sur roulettes. Ou les portraits photographiques des « pervers » sexuels de Catherine Opie. Toutes les œuvres nous parlent, nous qui sommes des corps contraints aussi, et soumis à, de multiples violences, telle celle qui se dégage de la lutte d’un bras contre l’autre filmée par Douglas Gordon. L’expo s’achève avec les jeux de marionnettes traditionnelles, enregistrées par l’égyptien Wael Shawky, à propos des croisades. Une expo bien ancrée dans notre époque et qui donne envie de faire un tour du côté de Turin même si l’on sait que ce n’est pas là que l’on pourra découvrir des artistes français. On se fait une raison. BTN
Jusqu’au 13-2, 13, rue république, 0499582800