Double Hommage à Jean-Luc Parant

HOMMAGE A JEAN-LUC PARANT par BTN
La nouvelle est tombée, brutale, au cœur de cet été torride : Jean-Luc Parant nous a quittés. Tandis que s’achevait à peine cette exposition parisienne, dans le Marais, pour laquelle il s’était tellement investi tout comme sa compagne Kristell Loquet, et à laquelle il tenait beaucoup : Comme un fleuve qui déborde, allusion au Bout des Bordes, nom de la somptueuse revue qu’il avait créée dans les années 70, et à laquelle ont participé les meilleurs artistes et écrivains de notre temps. Topographie de l’art, cet espace d’exposition, où il présentait, une Ferrari débordante de boules, en cire ou en papier (Il en existe une version au Mam de Marseille). On y retrouvait, en tout, 24 artistes, comme le cycle du temps quotidien, dont bon nombre de sétois : Cervera ou Lise Chevalier, Agnès Rosse ou Pierre Tilman, de nouveaux amis, depuis qu’il avait acquis un pied à terre, sur l’île singulière. Et bien évidemment Robert Combas en particulier, avec lequel il aura beaucoup œuvré, pour des réalisations à quatre mains, et aussi pour des concerts-lectures publiques, autre activité qu’il aimait tant pratiquer. Ils avaient tous deux une grande complicité artistique mais également intellectuelle et amicale. On imagine tout ce qu’il aurait pu réaliser si le sort lui avait été plus clément. Dans notre région, on avait pu le voir récemment en la Pop galerie de Pascal Saumade, au musée Paul Valéry, à la Chapelle du Quartier Haut, en la grotte du Mas d’Azil, ou aux Beaux-Arts de Montpellier quand elle ne se nommait pas encore Moco. Et actuellement à l’Espace Brassens pour les 30 ans du lieu, où l’on peut découvrir une de ses œuvres en hommage au célèbre chanteur-poète. Il avait déposé, également, comme un clin d’œil, une boule dans un coin de la galerie Al/ma. En France ne citons que Beaubourg, ou le Mam, le Palais des papes en Avignon, ou la Fondation Maeght, les Augustins de Toulouse. Il n’était pas seulement sculpteur. Il était écrivain (L’exigeant Fata Morgana ne s’y était pas trompé !) et bien sûr performer. Sa production s’était diversifiée au cours des années, passant par des œuvres murales, des dessins sur matériaux récupérés, des textes intégrés aux supports de cire ou de pierre, des livres-objets… Difficile de le classer tant son œuvre est hors-norme. Certains le rapprochent de l’art brut ou de l’art singulier. Lui-même ne se définissait pas à partir d’un mouvement mais en tant que fabricant de boules et de textes sur les yeux… Disons qu’il est apparu à une époque où l’on avait compris qu’une forme, une attitude, un référent, suffisait bien à occuper toute une vie, comme chacun de nous l’occupe, selon ses différences et spécificités. Mais il s’agissait pour lui moins de concept que d’évidence…

Jean-Luc Parant était l’un des créateurs les plus singuliers, les plus inventifs, les plus prolifiques de ces dernières décennies. Et qui ne se voulait pas seulement sculpteur même s’il aura modelé inlassablement des boules en cire, noires le plus souvent, mais aussi en terre ou en papier, boules dont le nombre, la dimension, la texture dépendaient du lieu où il les exposait. Il se voulait aussi écrivain et quel écrivain !, d’une fécondité inouïe, dans des livres ou sur ses œuvres, improvisant infiniment sur les deux organes indissociables de sa production plastique : les yeux et les mains dans leur rapport à la matière, à l’espace, à l’infini. Il s’était inventé une philosophie à son usage, personnelle, et en même temps cosmique, autant dire une mythologie voire une épopée. Son œuvre apparaît en effet telle une production unique, d’un seul et même texte assorti d’une action manuelle, c’est bien assez pour justifier une existence. Certes la répétition ne signifie pas la simple reproduction du même : chaque boule, chaque texte, fonctionne comme une variation sur un thème à chaque fois différencié, nuancé et enrichi de nouvelles possibilités. Chaque boule a son autonomie, sa spécificité, sa texture à l’instar des êtres humains. Dans l’unicité de son obsession, chaque occurrence est unique à son tour. La prolifération était pour lui un principe de production. Ainsi ses boules se présentaient en tas, en empilement ou mieux en éboulement. Certaines étaient impressionnantes, d’autres de la grosseur d’un pois-chiche. La rotondité résout le problème formel de l’envers et de l’endroit mais elle entre surtout en cohérence avec l’œil qui nous permet de la voir, la terre qui nous supporte et nous accueille, le soleil qui nous éclaire. Elle est la forme primitive qui surgit de nos mains dès lors que l’on se mêle quelque peu de pétrir la terre, ou la matière en général. Jean-Luc Parant s’était créé un système d’une cohésion exceptionnelle et qui se caractérise par son expansion, à l’instar de notre univers. Une expansion qui s’est brutalement interrompue, nous rappelant, au cœur de l’infinitude, notre finitude, dont chacune de ses œuvres ressuscitait mine de rien la présence masquée. S’ouvre toutefois une nouvelle expansion, celle de la découverte de son œuvre, par le grand public, par les exégètes des temps futurs, et les Historiens de l’art qui ne manqueront pas de lui accorder une place de choix.
Ceux qui ont eu la chance de le connaître pourront dans un premier temps les y aider… Tout comme les membres de sa famille, ses proches et intimes, qui sont déjà dans la filiation (artistique, s’entend). BTN (pour L’art-vues)

DANS MA BIBLIOTHEQUE, de Jean-Luc Parant
Jean-Luc Parant doit être le seul écrivain au monde dont l’œuvre est impossible à résumer. Le texte vous glisse entre les mains comme une boule ruisselant d’une pluie drue de mots précis et l’on ne sait trop par quel bout le prendre tant l’on craint de le réduire en le commentant. Il ne raconte pas une histoire à l’instar des différents genres du Récit, ne fait pas intervenir le dialogue comme l’art dramatique et s’il se rapprocherait davantage de la poésie, il ne recourt ni au système strophique ni à la prosodie. La poésie en prose serait ce qui le définit le mieux même s’il faudrait inventer un nouveau genre pour l’écriture parantienne, un peu comme Roger Laporte avait avancé le terme de « biographie » pour cet espèce de ressassement universel qui caractérisait son œuvre littéraire et qui semble plus proche qu’on ne le croit de ce que cherche à faire, depuis plusieurs décennies, et dans ce dernier ouvrage encore, Jean-Luc Parant, auteur de textes sur les yeux. Mais en plus brut : Jean-Luc Parant ne cherche pas à se référer aux grands philosophes de l’existence, de l’absence ou de la déconstruction. Il se comporte en poète de la philosophie, embrasse les grands thèmes universels ce qui fait que l’on se sent « embarqué » avec lui dans les abysses et vertiges de l’infiniment grand et, disons le tout net, dans une démarche à portée ou à finalité cosmogonique. C’est vrai de tous ses ouvrages, c’est d’autant plus vrai du dernier, Dans ma bibliothèque, paru chez Fata Morgana, même si son animateur Bruno Roy, récemment disparu, n’aura pas eu l’heur de le lire. Jean-Luc Parant ne cite pas de titres (de livres), il travaille a minima à partir de quelques concepts (ce sont eux les véritables personnages de sa narration infinie) qui ont la particularité de s’appuyer sur le réel, sur ce que Bonnefoy appelait la présence : la terre, bien sûr sans laquelle il n’est point d’assise, le soleil sans lequel nulle lumière ne vient éclairer notre lecture du monde, les yeux pour lire le monde, et l’univers si particulier des livres, les mains qui tournent les pages comme tourne la terre elle-même, et celle-ci autour du soleil et de sans doute de bien d’autres mondes encore. Car Jean-Luc Parant se fait visionnaire. On a l’impression, à le lire, qu’il a réussi à déceler, par l’écriture, les secrets de l’univers. Mieux, on dirait que la fluidité de son texte, laquelle ne se dément jamais, concrétise le fameux son, continu et issu du Big Bang, que les scientifiques ont découvert, et auquel l’artiste prête une voix, sa voix au fond. Parant parvient à établir entre le micro et le macrocosme tout un système de correspondances qui nous emporte dans un mouvement infini, dans un tourbillon cosmique. Dont les textes, suscitent les étincelles volées au feu du ciel. Seuls les dessins de Jean-Marie Queneau nous ramènent sur terre, aux boules qui ont rendu l’artiste célèbre, et qui renvoient aussi bien à la forme des yeux, qu’à celle de la planète Terre, ou à la rotondité du soleil, on voit la cohérence du système. Ou aux livres, grâce auxquels nos yeux semblent munis de jambes pour traverser l’espace et le temps infinis. Toutefois, un livre de Parant ne se commente pas. Il s’éprouve par la lecture. Plus que tout autre il a besoin du travail de nos yeux dans cette lumière qui nous révèle le monde sur terre, notre seul bien et notre seule certitude… Dans la continuité de notre finitude au sein de l’infini. Dans ma bibliothèque nous aide à y voir plus clair même si toute clarté porte nécessairement sa part d’ombre. C’est même à cette condition que l’on peut y voir. Et lire. Et déchiffrer les arcanes de l’univers. La bibliothèque de l’univers. BTN
Ed Fata Morgana, 100 pages. 2022

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