Daniel Dezeuze Musée Paul Valéry, Sète

Daniel Dezeuze, Musée Paul Valéry, Sète
On dit souvent que nul n’est prophète en son pays. Ce n’est jamais vrai à Sète où tout semble fait afin d’afficher la lisibilité des artistes aux yeux du grand public. C’est le cas pour, sinon le plus connu, du moins le plus ancien, le plus respectable et respecté de ceux qui vivent en l’île singulière, Daniel Dezeuze, patriarche du mont St Clair, à quelques encablures du musée dont il sera l’hôte pour la saison d’hiver. Dezeuze, c’est la composante Support, de Supports-Surfaces, que l’on a bien fait de décliner au pluriel, en plein épanouissement du mouvement, tant les avatars de châssis explorés par l’artiste sont nombreux et variés (d’autant qu’ils s’enrichissent de préoccupations ethnoculturelles qui empruntent au monde rural, militaire et religieux). On s’en apercevra lors de cette exposition qui n’est pas rétrospective mais se présente en diverses sections plus ou moins récentes. Peintures qui perlent et « cabochonnent », Diptyques d’échelles contrastées, lattes de bois entrelacées dans la série TsimTsoum, Tableaux écrans, Les grandes calligraphies à base de planches de ski, Tableaux valises et donc posés au sol sur le modèle d’un volume, quelques Icônes, sortes de dessins géométriques géants et en volume, au bois et à la feuille d’or… Enfin des Boucliers et blasons, papiers marouflés sur bois, en référence à nos glorieux et honorables signes emblématiques du passé, sortes d’ancêtres du tableau alignés le long des murs. Une place prépondérante est offerte aux éléments matériels constitutifs de la peinture : le cadre, l’orthogonalité souvent battue en brèche, la couleur maintenue à petite dose, diffuse et fluide, ou compacte et industrielle. En outre, Dezeuze ne dédaigne point les objets et simples outils du monde du travail, ainsi que le prouve l’œuvre intitulée Le bon niveau, ou le recours à des clous dans ses Blasons. Il lui arrive de recycler des choses laissées pour compte, telles les planches de ski récupérées. Car il demeure fidèle à la main qui fabrique et concrétise l’idée. En ce sens, il s’inscrit dans la résistance à la suprématie des écrans numériques (d’où le titre Tableaux-écrans, souvent encaissés, de petits formats et réalisés à partir de bois récupérés, au cadre épais) et maintient sa confiance au tableau en tant qu’espace où se projette et focalise le regard, partant la pensée. Pour qui a suivi la carrière de cet incontestable pilier de Supports-Surfaces, le cadre habituel du tableau s’est allégé, démultiplié, transformé, s’est offert une ironique ouverture vers la 3 D et enfin vers la sculpture au sol. Cela donne dans le premier cas les rhombes ajourés des Peintures qui perlent. Pour le second, les séries en Diptyques d’échelles en bois (épais/fin). Pour le troisième, la forme peut se faire arrondie ou ogivale (romane ou gothique) comme c’est le cas dans les Boucliers, osier et résille peinte, ou prendre la forme d’un Blason, irrégulière par rapport à la structure habituelle, orthonormée, d’un tableau. Elle tend vers le volume tout en dépendant du mural dans les Peintures qui perlent avec ces fils de fer qui jaillissent de la surface ou ces cabochons colorés qui se déploient sur les articulations de la structure pleine. Enfin, le cap du volume est franchi avec les séries de Tableaux-valises. La valise connote bien évidemment le voyage (dans l’espace et le temps) ou le déplacement, celui que l’on peut faire ou effectuer à partir d’un port comme Sète. De même les Blasons ne sont pas sans rappeler les pavois, si populaires en cette ville. Pourtant, par-dessus tout, et notamment dans la référence cabalistique au TsimTsoum, cette œuvre se sustente aussi du vide, auquel il nous arrive d’aspirer, à l’instar des orientaux. On le retrouve dans bien des œuvres, qui jouent sur une sorte de binarité vide-plein, tout comme elles sollicitent, la dualité fragilité/solidité. Toute dualité trouve son dépassement dialectique. C’est l’art, et la confiance qu’on lui accorde, qui transforme la fragilité existentielle en un au-delà matériel qui se nomme durabilité ou immortalité. C’est l’apanage des plus grands. Et ce n’est point Vanité que ce passage de relais naturel aux générations qui nous succèdent et qui peut-être s’étonneront de voir l’esprit naître du manuel. Pour terminer, signalons la dernière œuvre conçue : Contenir la guerre, en deux panneaux, qui prouve que l’artiste est sensible à l’actualité la plus brûlante. Telle un Janus, celle-là regarde le passé afin d’envisager l’avenir. On réalise en observant la constitution de cette œuvre le caractère populaire des agencements récupérés par l’artiste et qui le placent non dans une tour d’ivoire mais à côté des petites gens. On peut ainsi toucher le peuple sans recourir forcément aux stupéfiantes images. BTN
Du 27-11 au 08-03

Posts created 180

Articles similaires

Commencez à saisir votre recherche ci-dessus et pressez Entrée pour rechercher. ESC pour annuler.

Retour en haut
error: Content is protected !!