Christian Jaccard, Musée Fabre 1
Arnal, Bioulès (première manière…), Meurice, Dezeuze, Viallat et bientôt Toni Grand… Décidément le Musée Fabre s’est acquis une jolie petite collection des artistes de notre région plus ou moins apparentés à Supports-Surfaces. Christian Jaccard vient compléter ce florilège, lui qui a passé sa vie à interroger la matérialité du support tout en revisitant des pratiques immémoriales. On sait que son œuvre pourrait en gros se constituer de deux axes : l’un qui l’amène à explorer toutes les traces et empreintes que l’élément feu peut laisser sur la surface investie de la toile ou du papier, parfois du bois (- et dans l’architecture des lieux); un autre, parallèle, et qui le conduit à l’élaboration d’un « concept supranodal », à savoir l’accumulation de nœuds, sur le modèle de la constitution même de notre univers. Dans l’infiniment grand l’énergie serait nouée de façon à susciter le temps sidéral. Les œuvres rendent matérielles, et à échelle humaine, ce qui se trame en l’espace infini. Ces deux activités qui peuvent se combiner, brûler et nouer, ainsi que le montre tel couple de Nœuds sauvages sur toile calcinée, relèvent non seulement d’inventions relatives à l’enfance de l’Humanité, mais font partie également des jeux, plus ou moins autorisés, pratiqués durant l’enfance tout court. L’adulte perpétue ainsi l’esprit d’expérimentation ludique qui définit son histoire. Le feu en particulier fascine en raison de sa brièveté et symbolise notre existence, tout en perpétuant des traces visibles, à l’instar de l’art. Dans l’Atrium Richier, on voit ainsi un diptyque bipolaire de très grand format, disons-le surhumain, témoignage de l’ambition de se dépasser afin d’accéder un tant soit peu à l’infini. Des formes méandreuses produites par la combustion nous font dériver vers des effets d’onirisme. Dans le même espace d’accueil, outre un autre diptyque plus modeste et tout de rose vêtu, deux œuvres étonnantes : Le délassement du peintre : des alignements quasi-scripturaux, au sol, de brosses et pinceaux, assortis de coton peints… Et cette blanche Garden-party, où des objets de jardinage, plantoir, brouette, râteau… sont reconstitués à partir des fameux nœuds qui auront tant fasciné, tout au long de sa vie, l’artiste. Un Anonyme Calciné, ressuscite une vieille et sombre toile chinée dans quelque brocante, à coups de barres enfantines. 4 salles à l’étage abritent par ailleurs toiles et dessins, témoignant de plus de cinquante ans de pratique. Ainsi se familiarise-t-on avec les débuts du peintre : des empreintes polychromes sur toile apprêtée ; les premiers essais de calcination dans une juxtaposition d’une toile stigmatisée avec l’outil ayant permis l’expérimentation. Un polyptyque sur toile écrue prouve que la répétition loin de s’avérer un système austère peut s’accommoder d’effets imprévisibles. Parmi les œuvres remarquables, un tondo en rouge et noir où l’artiste recourt au gel thermique sur acrylique et bois tout en soulignant son vif intérêt pour l’activité volcanique. Enfin les deux dernières salles sont consacrées aux dessins sur papier, déformé par la combustion à mèche lente. Dans les tons bruns de l’ignition en général mais aussi sur gouache ou aquarelle à dominante rouge. Car dans les deux cas, nouage et calcination, il s’agit d’activités manuelles, dont l’origine se perd dans la nuit des temps, autant dire ce qu’il y a de plus concret, de plus humain. Il fallait le montrer : Le feu ça crée. BTN
Jusqu’au 21-04
Toni Grand, Musée Fabre 2 (version inédite)
Bois, acier ou plomb (métal), résine… Tels sont les 3 matériaux principaux qui désignent ce sculpteur associé à Supports-Surfaces, originaire du Gard de surcroît, prématurément disparu au début su siècle et qui méritait bien une rétrospective, Morceaux d’une chose possible. A ces 3 matériaux il convient d’ajouter la pierre et les plus inattendus ossements ou poissons, congres et anguilles au formol. Le bois, il le décline en colonnes, en pièces tranchées semblant émerger des plinthes, ou en ligne courbe fermée, parfois en ligne serpentine. Le bois flotté rampe au sol. Les titres, au tout début, désignent le processus : Sec équarri abouté ligne courbe. Le champ d’investigation de la forme semble infini. Le geste est minimal : fendu, scié, équarri… mais l’intervention humaine nous éloigne de la neutralité de l’art minimal pour rejoindre l’artisanat. Moins le concept que la vie. La peinture, en noir ou aux couleurs, est également fréquente. Toni Grand cherchait la simplicité de la forme, celle du geste qui la produit, en accord avec les possibilités autorisées par le matériau. Le métal, on a pu le voir à Salses ou à St Trophime (Arles) : 20 éléments de plomb superposés en demi-cercle, s’ouvrant à l’espace d’un côté mais marquant la résistance à l’assaut de l’autre. De petites pièces d’acier découpé et forgé, posées au sol, combinaison de plaques et de barres tordues, prennent l’allure d’énormes insectes. Enfin la résine, matériau synthétique qui enveloppe et contient la pierre, les os, les poissons et leur donne forme transparente. Comme si un corps laissait voir le squelette. On ne compte plus les formes expérimentées, des plus sobres aux plus fantasques, les plus notables prenant la forme approximative d’un cube ajouré, aux attaches fines, pied de nez à la radicalité minimale, ou encore celles d’épingles à cheveux géantes, la courbure étant favorisée par le recours à la mollesse du poisson, rehaussées d’aluminium et se glissant le long des murs. Car Toni Grand utilisait tous les points de l’espace, le sol évidemment, le mur grâce à des sculptures murales, mais aussi le long du mur, en équilibre ou carrément le long des plinthes. Le poisson impose sa configuration : elle se prête à la multiplication dans différentes direction et peut même se conjuguer au bois ou au métal. Certaines œuvres prennent la forme de bobines, d’autres de plateaux, accumulés dans l’espace, ou associés ainsi qu’il l’avait fait autrefois grâce à des assemblages de tréteaux. Parfois, il recourt à des racines, énormes, dont il pérennise la forme. Salses s’en souvient. Un cheval majeur est constitué d’os dans une gaine informelle de polyester stratifié, matière à laquelle il recourt abondamment. Bois, métal, résine : l’évolution est facile à résumer : le bois vient de la nature, le métal de l’industrie, la résine synthétique des miracles de la chimie. On retrouve ces trois périodes du cursus de Toni Grand, dans cette rétrospective qui nous enchante car elle prouve si besoin était une fois encore que la région aura pullulé d’artistes de renom, à l’inventivité assurée. Le Musée Fabre est en train de faire mentir l’adage : Nul n’est prophète en son pays. Malheureusement Toni Grand n’est plus là pour s’en satisfaire. Il reste ceux qui l’ont connu et apprécié ou aimé de son vivant. BTN
Jusqu’au 5-05