La Contemporaine, Triennale, Nîmes
En initiant cette triennale dévolue à une Nouvelle Jeunesse comme à une jeunesse nouvelle, la ville romaine de Nîmes a mis les petits plats dans les grands. Tous les lieux d’art sont, à plus ou moins grande échelle, mobilisés, (des nombreux Musées au CACN, du Spot à Negpos, des Beaux-Arts à Pamela, Étant donné…), le parcours divisé en cinq secteurs clés (Gare, Arènes, Chapitre, Carré, Jardins), le public, les nîmois et les Maisons de quartier se voyant impliqués dans le projet. L’idée de la transmission est suggérée d’une part grâce à la participation des scolaires de l’autre, à travers la composition, pour les expositions, de binômes, la Fleur et la Force, le plus jeune et son modèle, l’émergent et son mentor, parfois disparu. Les commissaires en proposent douze parmi lesquels on voit apparaître les noms illustres de Soulages (associé à Jeanne Vicerial et ses robes noires de modiste plasticienne au Musée du vieux Nîmes), l’iconique algérienne Baya (associée à Neïla Czermak et ses acryliques, ou bic, figuratifs sur supports divers, au Musée des Beaux Arts) ou encore le japonais Taduchi Kawamata (cf. Hélénis), génial architecte-constructeur in situ, associé au non moins inventif franco- afghan Feda Wardak, pour des réalisations temporaires aux Jardins de la Fontaine. L’une des rares femmes ayant représenté la France à la Biennale de Venise, la polyvalente pieuvre, Laure Prouvost, est associée à Caroline Mesquita, magicienne du métal et de drôles d’oiseaux, place du chapitre. Comme on le voit, le panel est international. Les expositions se déploient en Centre ville, mais aussi ailleurs (kermesse pilotée par Mohamed Bourouissa au Cacn par ex), et s’accommodent d’un parcours musical imaginé par Uele Lamore…) avec pour vecteur l’idée de transmission ou d’héritage, d’où son caractère intergénérationnel. Si Nîmes vit depuis quelques décennies une belle histoire d’amour avec l’art contemporain, on voudrait ce dernier plus proche des gens, populaire et généreux, ce qui ne signifie pas qu’il s’agit de renoncer à l’exigence. A tout seigneur tout honneur, Carré d’art se taille la part du lion en divisant, par deux, son dernier niveau. Les photographes Alassan Diawara (belge originaire d’Afrique) et son ainée la franco-algérienne Zineb Sedira réalisent des reportages sur les communautés peu représentées, et donc exclues, du domaine artistique. Diawara s’est plongé dans certaines familles nîmoises et restitue le charme et la beauté de certains moments de grâce. La seconde met en exergue les relations de cette transmission qui sert de fil conducteur à cette Contemporaine. Zineb Zedira sollicite davantage les objets, les technologies nouvelles, l’IA, l’hybridité, comme pour prévenir d’un futur qui n’a rien de fatal. On découvre aussi un ancien nîmois, Hugo Laporte, et l’estonienne Katja Novitkova, d’un lustre à peine plus âgée. A la Bibliothèque, Prune Phi met en scène sa double culture américaine et vietnamienne, tandis que SMITH, plus jeune qu’elle, développe une poétique de la transformation et remet en question les codes de l’identité. La Triennale n’échappe point en effet aux problèmes actuels auxquels sont sensibles les artistes : urgence écologique, reconnaissance des différences et marges, antiracisme et colonialisme, féminisme et critique des abus de pouvoir, de la mondialisation y compris culturelle… Ainsi les films de Rayane Mrcidi, de manière intimiste, ou de Virgil Vernier, de façon plus inquiétante, explorent-ils le quotidien ou les travers des banlieues et quartiers périphériques (Sémaphore). A la Chapelle des Jésuites, June Balthazard met en images la résistance d’enfants protégeant en vain la forêt tandis que Suzanne Husky s’interroge sur les castors et les alarmantes modifications par l’humain du cours des rivières. Les incroyables tapisseries de Delphine Dénéréaz sont le fruit d’un patient recyclage de tissus usés (Feuchères)… Le féminisme hante l’œuvre de Judy Chicago qui a laissé des traces sur la franco-malienne Aïda Bruyère (Musée Culture Taurines). Les titans du libanais Ali Cherri s’insèrent avec fluidité dans le Musée de la Romanité tandis que son cadet Valentin Noujaïm explore en images les territoires de la mémoire et de l’espoir enfantin. On revient à la jeunesse nouvelle, synonyme non seulement d’héritage mais également d’espérance. Cette triennale aide à en maintenir la flamme. BTN
Jusqu’au 23-06
NB : Carré d’art présente, sur son deuxième niveau, d’une part la Donation Lena Vandrey, artiste d’origine allemande ayant choisi les Cévennes pour y établir son « Paradis », titre de ses toiles intimistes, tout en nudité végétale. Du paradis au thème des anges, il n’y a qu’un pas que cette féministe convaincue a allégrement franchi. L’artiste, aujourd’hui disparue, s’est illustrée dans ses découpages (fruits, légumes, cœurs, humains) de carton, sur châssis très aéré, dans un style qui peur rappeler l’enfance ou un certain art brut, notamment dans ses Boîtes de Pandore. D’autre part, le nouvel accrochage de la collection, qui nous replonge dans les œuvres des artistes ayant exposé récemment à Carré d’art : l’égyptienne Anna Boghigian et sa voile de felouque du Nil, cousue, associée à du jeans denim (de Nîmes), une série d’affiches d’artistes célèbres commandités par Wolgang Tillmans, les 7 panneaux qui rendent visibles les verdicts de détecteurs de mensonge, par le jordanien Lawrence Abu Hamdan, une installation vidéo de Martine Syms dénonçant les brutalités policières en Amérique, un petite pièce murale en laiton et argent, de Tarik Kiswanson, ou des broderies narratives de la libanaise Mounira al Sohl. Une incroyable film de l’allemand Clemens von Wedemeyer reconstituant, sous forme d’animation numérique, des manifestations décisives dans l’Histoire de la RDA, une surprenante installation en céramique sur étagères en métal de Jumana Manna, à base de silos et de mues, une série d’arbres photographiés en Afrique du sud par Uriel Orlow, des portraits féminins sur papier de Sylvain Fraysse et plusieurs œuvres de Guillaume Leblon qui recourent au sable, au plâtre aux matériaux organiques et même… à l’animal. D’autres œuvres encore de noms célèbres (Bustamante, Muniz, Murphy…), ou à découvrir. BTN