Art numérique au Pont du Gard

Sous les pixels, la matière, Pont du Gard

Un ouvrage spectaculaire tel que le Pont du Gard se prête admirablement à des mapping et autres projections. Il donne envie de se mesurer à lui, à sa robuste pérennité ou plus humblement de laisser une trace passagère sur le site. 4 artistes ont donc répondu à l’invitation d’intervenir sur le site, dans la salle d’expo comme à l’accueil, en extérieur ou intérieur, sur le monument même, celui-ci offrant sa solide matérialité comme support à des interventions numériques, autrement dit des créations plastiques. Chaque artiste appartient à une génération différente. La doyenne Régina Silvera (cf. Luma), originaire du Brésil, s’est ingéniée à traiter, avec discrétion, dès l’accueil, du thème du temps en fixant quelques objets sur 7 photogravures sur papier. Sa compatriote Ana Maria Tavares est reconnue pour sa remise en question du modernisme architectural, qu’elle entend faire fonctionner autrement et sans doute humaniser. L’ardennais Nicolas Tourte a beaucoup travaillé sur le thème de l’eau (qui, comme on le sait, coule sous le Pont) ou sur le minéral en relief grâce à des demi-cercles sculpturaux répondant aux arcades. Enfin, la jeune coréenne Mona Young-Eum Kim (cf. Al/ma) crée une signalétique ironique et recourt à la réalité augmentée à partir d’enseignes colorées. L’accueil nous donne un avant-goût de ce qui nous attend grâce à deux modélisations digitales et photomontages d’Ana Maria Tavares, ou à la Fin de carrière de Nicolas Tourte, en marbre, inspirée d’arènes au recto et d’un météorite au verso. C’est le début d’un parcours rythmé d’œuvres interactives de Mona Young-Eum Kim, laquelle incite à jouer avec des totems jusqu’au Pont où seront projetés les mapping du quatuor. S’y adjoignent deux artistes de la jeune génération, Won-Jy et Philip Berg. Le premier nous promenant dans le Fantôme virtuel d’un immeuble nîmois détruit récemment, le second s’appropriant poétiquement un match de football numérique. La salle d’exposition temporaire se réserve toutefois la part du lion. La plupart des œuvres sont plongées dans le noir ce qui met en exergue leur qualité lumineuse. C’est le cas pour Nicolas Tourte, véritable révélation de cet illustre panel, avec ses installations qui nous font Divaguer (vague suggérée dans l’espace avec projections marines en boucle continue, comme un morceau d’espace-temps saisi pour l’éternité), qui s’inquiètent d’une Fondation ayant amorcé son processus de fonte (Lettres du mot penchées sur un fond d’eau, et se reflétant en ombres portées vers l’arrière), ou encore une extraordinaire vidéo en relief et anamorphose montrant une cascade sur fond hétérogène de verdure, jeu enfin comme digestif de respiration organique par le biais de nuages dans une poche intestinale projetée (Entrailles). Des œuvres qui se voient, s’entendent mais aussi vous frappent et, bien évidemment, interpellent sur des problèmes climatiques, traités pourtant à l’aide de la technologie de pointe. On passe d’une salle à l’autre et ainsi d’un univers plastique et de pensée au suivant. L’expo commence avec la benjamine Mona Young-Eum Kim qui s’inquiète de l’usage des barrettes de mémoire pour la future gestion de nos souvenirs. Deux installations sous plexiglas, projetant des bribes de souvenirs, en rendent compte. Les 1001 jours de Regina Silvera sont une incontestable réussite. Ils nous font passer graduellement, suivant en accéléré le rythme du temps, du jour limpide à la nuit étoilée et vice-versa, assortis de sons d’écoliers et de grillons. Ana Maria Tavares réserve deux surprises : Son invention pour Piranèse, grâce à laquelle l’écran se fait plastique, mouvant, d’une complexité infinie (à l’instar de l’œuvre à laquelle il est fait référence) et surtout le diptyque sonore en noir et blanc, La dynamique de la chute, où le fameux bâtiment brésilien en forme de coupole, de Niemeyer, subit les affres d’une destruction dynamique, non sans s’être émancipé de son enracinement réel. Les vidéos sont projetées grand format ce qui les rend d’autant plus impressionnantes et immersives. Un voyage donc au cœur de la création numérique qui nous amène à reconsidérer notre relation au monde, aux réalités qui le composent, parmi lesquelles ces œuvres pérennes que sont le Pont du Gard, les créations de Piranèse ou Niemeyer, mais aussi notre expérience du temps ou de la mémoire. BTN

Jusqu’au 05-01

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