Ancrage ancestral, exposition éphèmere d’Alessia Galassi, au Centre des Récollets, Résidence Internationale des Récollets, Paris, Décembre 2021-Janvier 2022.
Pains de terre
Des lieux de sa vie, Majorata, Sienne – son enfance, puis Paris et Rochechouart où elle s’enracine, Alessia Galassi rapporte des mottes de terre. L’artiste lave ces mélanges hétérogènes pour en recueillir l’argile pure. Pendant plusieurs mois, elle la suspend dans un tissu afin qu’elle sèche. Le poids et le temps modèlent la forme qu’elle cuit afin de la pérenniser.
Ce geste de suspension rappelle le voile enroulé au-dessus du baldaquin de l’« Annonciation » de Roger van der Weyden : métaphore de notre incarnation. Les empreintes des plis sur la sculpture finale révèlent les forces qui ont modelé telles des mains ces formes pleines. Leurs simplicité évoque autant le pain qu’elle pétrit en famille, qu’un corps organique, végétale ou minérale : une parcelle de vie.
Tapis du temps
Les tapis témoignent d’un métissage entre papiers et objets qu’elle trouve sur son chemin. Elle recycle ces déchets en les transformant en fils multicolores. Sur un métier à tisser rudimentaire, elle fait s’entrecroiser les fibres de son existence et celle des autres en trames multiples. La navette donne le tempo d’un dialogue intérieur, parfois espacé, puis serré, régulier ou troué. Ces entrelacements de petits fragments d’objets et des paroles parfois politiques s’apparentent à un palimpseste.
Ces tapis qui dégagent une aura archaïque sont suspendus comme des banderoles. Ils renvoient autant à l’arte povera qu’aux épouvantails des civilisations anciennes et contemporaines.
Pour créer ces présences, elle renoue avec un savoir-faire ancestral. La simplicité inhérente de son geste consiste à transformer chaque résidu en objet énigmatique. Ce rien détient les lambeaux de son destin ainsi que ceux d’autres passants anonymes. La fabrication de ces étoffes s’apparente à une méditation qui parle de la mémoire urbaine et collective.
Livres témoignages
Ses livres sont réalisés à partir de journaux, ramassés dans la rue, qu’elle transforme en papier artisanal. Ce geste lui rappelle le papier Fabriano de son enfance. À l’envers de ce papier de luxe, elle fabrique des pages colorées à la cuve, feuille par feuille, parsemées de fragments d’images et de bribes de mots. Lors de la fabrication, les lambeaux de lettres disparates, signes et traces, se révèlent d’une manière aléatoire. Ils évoquent les décollages et les lacérations d’affiches des nouveaux réalistes. L’épaisseur comprimée des feuilles d’Alessia Galassi rappelle en revanche les couches sédimentaires des bouts de vie laissés sur le sol et qui parlent d’elles-même. Les multiples strates créent une condensation, métaphore de notre passage.
Jeanette Zwingenberger Paris, décembre 2021
Commissaire de l’exposition