Gérard Titus-Carmel, Musée Paul Valéry, Sète (34200)
Si le Musée Paul Valéry peut s’honorer de la qualité de ses collections et de ses expositions temporaires, il ne faut point oublier que la figure tutélaire du grand poète sétois, et donc universel, hante les salles, à quelques encablures du cimetière marin où il repose dans la paix des colombes. C’est dire si la poésie plane sur les lieux et il était naturel qu’un grand artiste, ouvert à la pratique poétique d’une part, aux collaborations diverses avec de grands poètes de l’autre, y fût invité. Cela permet de rappeler les liens étroits qui unissent les deux activités par le biais du livre d’artiste notamment, et cela permet au public régional de découvrir un autre style de dessin, une autre conception de la peinture que celle qui lui est habituellement présentée. Il est bien loin le temps où Gérard Titus-Carmel défrayait les chroniques en proposant aux visiteurs une exposition olfactive (la forêt amazonienne) ou incluait une vraie banane soumise aux injures du temps parmi sa série du même fruit réalisé en plastique. La Nature joue déjà un rôle important, que l’on retrouvera tout au long des diverses séries qui parsèment l’œuvre, de Ramures en Frondaisons, de Feuillées en Forêts de Jungles en Sables, de Viornes et lichens à l’Herbier (du Seul), en passant par des Orées, la Jonchaie, des Fragments de saison, et d’Espace du paysage, ou par le calembour Steppes par Steppes. Attention toutefois le végétal est toujours stylisé, jamais réaliste. Le titre de l’expo sétoise se trouve dans la continuité de ces thématiques : Forestières et autres arpents, et il suffit d’avoir vu quelques-unes de ces œuvres récentes pour constater combien les arborescences tranchées, les rangements de bâtons hachés les ramures qui sont autant de traits et de lignes, ou simplement les troncs d’oliviers, y jouent un rôle prépondérant. Mais le rôle du temps est aussi capital : dans les années 60, on voit l’artiste amorcer de superbes dessins sur l’art de détériorer des encoignures de volumes parfaits. C’est la dégradation de la forme qui l’intéresse alors, ou la décomposition. Ce sont eux, et aussi la série des épissures, ou de nœuds, qui assurent sa notoriété, sa reconnaissance non seulement parmi ses pairs mais par de nombreux écrivains et surtout poètes qui le sollicitent. Titus Carmel a ainsi illustré bon nombre d’auteurs majeurs (Bonnefoy, Quignard, Noel, Jaccottet, Sacré), et s’est pris petit à petit au jeu, exploitant à son tour une veine poétique, riche aujourd’hui de dizaines de volumes, depuis ses premières tentatives chez notre grand éditeur, Fata Morgana. Le thème de la bibliothèque, compartimentée en dix fois dix papiers marouflés, l’a également inspiré comme tout ce qui s’accumule, prolifère et s’organise. Car c’est la mission de l’artiste que de mettre de l’ordre dans le désordre du réel. Mais Titus Carmel se veut également peintre : On l’a vu relire à sa façon le fameux retable de Grunewald qui lui permet de traiter des formes incurvées, ogivales, rondes. Il aime avec évidence la couleur qu’il dispose en gestes réguliers et précis. On est loin du dripping. On peut même se demander si ces alignements ne sont pas davantage inspirés des possibilités gestuelles du bras qui peint que du référent (végétal, livresque, fragmentaire) proprement dit. Les Herses en particulier n’ont rien de réaliste. Titus-Carmel recourt souvent aux collages de papiers préparés qui peut faire penser à Matisse. On pourra le constater à Sète où l’exposition est essentiellement végétale : Ramures, Forêts, Brisées, des Plans de coupe (variations sur l’olivier mais sans racines ni cime comme si seule la torture du tronc l’interpellait) ; Viornes et lichens, une immense Jungle…. De grandes Feuillées… Cela lui permet de jouer non seulement sur des variations de formats mais aussi sur des formes différentes, parfois déployées en palmes d’autres fois ramassées en bâtons. Et également de densité. Pourquoi le végétal ? Parce que par ses aspects décoratifs, mais aussi par son obstination à se développer, il incarne la peinture dans ce qu’elle a de plus humain. On pourra voir ainsi, dans des formats plus modestes, des notes de voyage, où Titus Carmel sublime l’art d’accommoder les restes. Le voyage n’au d’ailleurs pas besoin de s’avérer effectif. La Peinture suffit à déployer le rêve. Et la poésie d’en accompagner l’essor. BTN
Jusqu’au 12 Février, 148, rue F. Desnoyer, 0499047616