
Silence, Chartreuse Villeneuve les Avignon, 30
Il est des zones d’ombre ou plutôt de silence, dans nos sociétés « validistes », comme on le dit aujourd’hui. Ainsi, nous qui parlons d’art, nous préoccupons peu de la manière dont il peut-être perçu, ou pratiqué, par une personne dite handicapée et plus particulièrement du monde des sourds et malentendants. De fait, nos normes orales n’ont peut-être pas toute l’efficacité qu’on leur prêtre et gagneraient grandement à être révisées au vu d’autres façons d’aborder la communication. La Chartreuse de Villeneuve les Avignon (30) a bien voulu abriter une proposition qui aille en ce sens, en collaboration avec l’indispensable Echangeur 22, de St Laurent des arbres. Plus précisément en sa « bugade » ou ancienne buanderie, lieu monastique de soin mais aussi de punition et de silence.
Geoffrey Badel (Frac, Ursulines…), petit-fils d’une personne atteinte de surdité (Il en fait le portrait, Grotesque) mais entendant lui-même (CODA), s’est saisi de ce problème avec la complicité d’artistes CODA, Arthur Gillet et Estelle Labes. Et de leurs invités, atteints de surdité, dont la mère d’Arthur, Danièle le Moenner, laquelle commente en vidéo sa présence sur la fresque filiale qui nous accueille aux abords de ladite bugade. Gillet occupe tout un long pan de mur percé d’ouvertures romanes avec sa peinture sur soie, rétro-éclairée, très colorée, bien dans l’esprit religieux des temps glorieux de la Chartreuse (où l’oreille, souvent percée d’une flèche, a son mot à dire !) mais actualisé sans souci d’anachronisme. Il récapitule, à la façon de la tapisserie de Bayeux, l’Histoire de sa vie et de ses rapports avec sa mère et de celle-ci avec la surdité et les autres. L’expo s’intitule Silence mais le mot est barré de telle sorte qu’il soit imprononçable, pour un être verbal. Chaque artiste y exprime les vertus de sa singularité et ses qualités d’artiste à part entière. Elle est constituée de vidéos performatives (les 8 autoportraits au bas déformant le visage de Sylvaine Tandron, une couronne inattendue sur la tête dans sa série Icones, ou sa déclinaison des différentes façons de dire Non !) ou les éditions et publications de la toute jeune Fleur Mantuit, dont un vinyle, un adagio sur le Silence. Les chaises des habituelles salles de classe sont également criblées de flèches, histoire de cibler l’échec et l’exclusion que subissent les sourds. Gillet propose aussi trois petites peintures d’annonciation ou de passe-muraille, et une série de documents familiaux, assez édifiants. Les statuettes en céramique de Geoffrey Badel, pour qui les mains sont comme douées de la parole, sont juchées sur des niches, et nous font des signes d’en haut. Elles fournissent une touche d’hybridité thème qui caractérise sa production (qui sollicite les chauves-souris) et que l’on retrouve dans un grand portrait de couple sous étreinte. Estelle Labes a filmé l’état de déchéance de sa mère atteinte d’une maladie de la mémoire ou encore un ciel nocturne sur le thème du mur qui sépare les êtres. Ses dessins au feutre forment un abécédaire brut des gestes utilisés dans ses performances Nous sont aussi présentées les Conversations sans titre accumulées et agencées par le vétéran Joseph Grigely, au fil de ses rencontres et qui révèlent les moyens ingénieux imaginés afin de se faire livrer une simple pizza par ex. Enfin, on appréciera deux des interventions de Max Taguet : la conversation sous-terraine de corps renversés dont émergent, sur une terrasse arborée, trois paires de jambes. Et un mécanisme horloger complexe qui fait entendre un son de cloche comme un appel à la communion (du public avec les artistes). Une réussite collective qui sollicite la peinture, la sculpture, le dessin, l’installation, l’image fixe et en mouvement (beaucoup de vidéos à déguster), le texte ou la performance, les archives et même l’interactivité. Et c’est un joli paradoxe d’avoir l’impression que le monde du silence et son mot à dire aux entendant(s) : Entende qui a des oreilles (comme disait Lacan). BTN
Jusqu’au 04-01











