Picabia pique à Ingres, Musée Ingres-Bourdelle, Montauban (82000)
Qui connaît l’œuvre de Francis Picabia sait que ce trouble-fête inventif et anticonformiste ne dédaignait pas la ligne impeccable et les sujets d’inspiration de celui qui disait : Le dessin est la probité de l’art, j’ai nommé Ingres. Cette exposition très riche et documentée en témoigne, qui présente aussi bien des toiles que des dessins des deux artistes, dont le premier s’avère l’une de fiertés de la ville de Montauban (laquelle a fini par lui attribuer le nom de son Musée, à égalité avec le fameux sculpteur d’Héraclès en archer, Antoine Bourdelle). Par le jeu de mot autour du verbe « piquer », on a voulu montrer que ces deux œuvres qui semblent a priori antithétiques, l’une représentant le classicisme le plus élégant, l’autre l’avant-garde la plus turbulente, n’étaient point sans rapport. Et que le second ne s’était point privé de se référer à l’autre, dans un esprit sans doute de dérision mais qui sonne également comme un hommage. On ne cite que les gens importants, les incontournables, dont Ingres fait évidemment partie (Feu Godard, le savait bien, qui lui a consacré son film Passion, lequel a inspiré ensuite Boisrond…). Parmi les dizaines de pièces sélectionnées, on retiendra les plus imposantes, des toiles peintes au Ripolin, renvoyant à des chefs d’œuvre d’Ingres, ou de David mais parce qu’il fut copié par son disciple, Ingres. Par exemple, Le Feuille de vigne s’appuie sur la position d’Œdipe dans sa confrontation avec le sphinx. Un d’Eric Satie qui sert de Frontispice au ballet et sollicité une Muse d’Ingres. A chaque fois les références à Ingres sont explicites et l’on pourrait aisément citer le titre des œuvres ? Des extraits du ballet Relâche restauré récemment entrecoupé d’images de René Clair dévoilent un autre aspect de la créativité de Picabia, qui ne néglige pas les habits de danseurs qu’il dessine avec finesse, toujours se référant au maître. On peut s’amuser aussi de la fameuse page de revue où Picabia oppose deux écoles et donc deux manières de peindre la Ste Vierge : celle d’Ingres et la sienne (une tache vaguement suggestive et renvoyant probablement au sang !). Un Octophone où l’artiste mêle habilement visuel et sonore. Un Nu des dernières années, opposé à l’esthétique ingrienne. Et des portraits de femmes où se repèrent aisément les différences évidentes et les emprunts plus ou moins conscients car Picabia est toujours resté fidèle à la ligne. On pourrait trouver d’autres références plus subtiles dans le reste de l’exposition qui révèle : Un portrait de Tzara et donc une référence explicité à l’esprit Dada, un portrait assez drôle d’André Breton, le pape du surréalisme, en bagnard. Un de Rimbaud transformé en pot de chambre. Les documents graphiques ne manquent pas, au-delà des tableaux peints, notamment de fameuses « Transparences », sans doute ce que Picabia a fait de meilleur.
Au sous-sol, dans la salle du Prince Noir, une intervention de Speedy Graphito qui revisite une Odalisque, devant un décor de frondaisons, sous des sons de violon… d’Ingres. Mais l’artiste s’est surtout ingénié à fournir les salles d’exposition de fantômes d’œuvres du Maître, soit par le biais de la photographie, soit par celui plus ancien du dessin, soit par celui plus contemporain des pixels et du portable. Une occasion de visiter ce Musée en pleine renaissance. Pour les profanes de découvrir Ingres (et, à y être, Bourdelle !). Et pour ceux qui veulent comprendre la modernité de voir des œuvres rares de l’un de ses tenants les plus prestigieux et sans doute des plus méconnus. En s’amusant de surcroît car Picabia ne manquait pas d’humour, et que l’on a toujours envie de s’amuser avec des fantômes. BTN
Jusqu’au 30 oct, 19, rue Hôtel de ville, 0563221291