Philippe Perrin et autres expos


DERNIERS COMPTES-RENDUS AVANT CONFINEMENT par BTN
Surprises par l’annonce brutale du re-confinement les galeries ont maintenu leur ouverture, ce fut le cas pour Samira Cambie et Iconoscope. Ces deux dernières rouvriront avec la même exposition dès que ce sera possible. Ce texte vise à donner un avant-goût de ce qui attend les éventuels visiteurs. Laa troisième, au Lieu Multiple, avait pris les devants mais elle sera prolongée jusqu’à l’été.
Commençons par Philippe Perrin chez Samira Cambie. On pouvait se demander comment un artiste connu pour ses objets géants (couronnes d’épines, rasoirs, armes de poing) allait s’accommoder d’un espace somme toute modeste et de plus en plus étroit dès lors qu’on le pénétrait. Le résultat est tout à fait convaincant. On y retrouve l’esprit de ce franc-tireur fasciné par la violence et la marge, le grand banditisme et les gens du voyage. En témoigne cette photographie d’un dos masculin, le sien évidemment, tatoué de divers noms féminins raturés, autant de conquêtes assurées, à l’exception de Rita, la sainte des gitans, patronne des désespérés. En amour comme à la guerre la volonté de puissance nous colle à la peau. Peau qui en l’occurrence devient champ de bataille et support à geste artistique. Dès le seuil de la galerie, l’appareil photographique, troué d’une balle réelle et récupéré sur quelque champ de la mort nous montre que, si tout peut devenir art, y compris le plus tragique, celui qui entre voir une expo de Perrin n’en ressort pas indemne. Une suite de sept pyrogravures, verticales ou horizontales, nous confronte à la réalité de la mort (crâne style vanité), de la destruction (Sacré cœur explosé, incendie NDP), du démantèlement (révolver démonté), de la souffrance (couronne d’épines) non sans ironie pourtant (les balles devenant gratte-ciels à l’ombre des tours fantômes du WTC). Le feu est lui-même un acte destructeur ainsi que le souligne la septième gravure qui a servi de support aux six autres. Juste en face, un étui de guitare posé au sol (pour camoufler un braquage ? Ou simple instrument du nomade, de l’artiste en saltimbanque ? ), sous un vrai sac bancaire brut, encadré et mis à plat, datant des années d’avant la grande guerre, autant dire celles des avant-gardes et notamment du ready-made, et appartenant à la Banque de France. On peut se raconter des faits divers du temps passé, de même que l’on peut toujours rêver aux anciens propriétaires des anciens blousons noirs, tout de cuir vêtus, aux connotations et références assez ciblées, qui composent d’une part quatre toiles recouvertes de ce matériau granuleux, rythmé de fermetures-éclair ou de poches, de l’autre surplombée d’un haut de col ouvert (qui se découvrirait au verso) un toile unique. Dans un recoin discret, trois clichés serrés des trois matériaux de l’attitude rebelle par excellence que revendique Philippe Perrin : cuir, camouflage et jeans. Enfin, un QR code pyrogravé qui renvoie au portrait et au site de l’artiste. C’est un peu comme si l’on emportait l’esprit de ce travail en repartant. Ceux qui connaissaient mal ou peu cet artiste majeur de la scène contemporaine française auront en effet de quoi se faire une idée de son univers et de ses thèmes, ses obsessions et ses passions. L’art n’est pas que pur divertissement. Il lui arrive de déranger, de provoquer, de heurter les préjugés. La galerie joue alors son rôle de point d’impact pour une virtuelle expansion. Qui a dit déjà que ce sont les marges qui faisaient tenir les feuilles ? 16, rue St Firmin 0680641222
Iconoscope a choisi de montrer un jeune artiste, un ancien des B.A de Montpellier, Benoît Pype, fasciné par les rapports étroits que peuvent entretenir Art et Science, notamment dans une réflexion sur la forme. Aussi travaille-t-il dans des laboratoires voué aux expériences de physique avec des instruments d’une précision microscopique incroyable, à même de nous ouvrir au monde fabuleux de la genèse des formes. Ainsi peut-on assister en trois vidéos en nano projection aux ballets de deux gouttes d’eau en voie de se désagréger. Entre temps les photogrammes numériques de certains instants, démesurément agrandis, s’avèrent d’une indéniable beauté formelle, qui peut rappeler des chorégraphies organiques en noir et blanc. On peut également apprécier les divers états que prend la forme décomposée sur la même planche. De sorte que la technologie, loin de s’opposer à l’art, peut s’avérer une précieuse alliée d’une part car toutes deux relèvent au bout du compte d’une quête (du nouveau, de la vérité, de l’infini, de ce que l’on veut), d’autre part car la science ouvre à l’art de nouvelles perspectives insoupçonnées (en images, dans l’univers des formes, dans son aspect cosmogonique). Mais Benoit Pype ne s’intéresse pas seulement aux gouttes. Il s’est aussi penché sur la modélisation des portraits telle qu’elle se pratique aujourd’hui dans la technologie audio-visuelle et numérique. Il a ainsi reproduit avec de la ficelle et des clous de laiton, dans leurs grandes lignes, ceux de Durer, Duchamp et Goya, faisant un large détour par la technique de pointe pour ramener de l’humanité, du travail manuel, dans sa production. Le résultat est d’autant plus impressionnant qu’un seul bout de ficelle sur panneau de chêne suffit à produire un portrait aux lignes complexes, suggérées par la machine. Ailleurs, dans l’espace cette fois, sur un socle, un plan de Paris, découpé au laser avec une précision extrême, dans des feuilles de ricin, très fines, est également posé, de forme végétale. Enfin, Benoit Pype a imaginé un sablier en verre soufflé, très épais, dans lequel il a introduit de la poix, laquelle ne coule qu’à raison d’une goutte tous les trois lustres. Un beau pied de nez à notre monde toujours avide de vitesse et de changements rapides, Une expo fascinante et qui parfois nous donne l’impression de plonger dans l’extrêmement petit pour y éprouver le vertige de l’infini. 1, rue général Maureilhan, 0620365747
Enfin Le lieu multiple a choisi de monter une sculptrice ou plasticienne originale : Karine Debouzie. Celle-ci recourt essentiellement aux matériaux industriels, PVC ou métal, pour les propositions dans l’espace ou les compositions murales, à la peinture aussi quand elle développe une logique de l’empreinte sur papier, à plat. En l’occurrence elle a suspendu une curieuse forme organique, où le vide joue le plein, et qui se ramifie dans le sens de l’horizontalité, occupant ainsi l’espace central, tel un mobile complexe, ajouré et dynamique. Au mur tantôt le matériau semble s’émanciper de son support vertical, tantôt au contraire il se fond à celui-ci sous forme de signature complexe. Dans tous les cas, le matériau, habituellement voué à d’autres fins, respire, vit et s’émancipe un peu comme ces êtres à qui il ne manque que la parole. De même ses formes inspirent le mouvement, prennent l’œil en défaut de paresse et prouvent que l’on n’a pas besoin de matériaux nobles pour se livrer à une activité artistique. Au contraire, même l’usuel, le fonctionnel, le courant, bien manœuvré, peut accéder au royaume des yeux. 3, rue de Moissac, 0607401016.
A bientôt pour les réouvertures… BTN (Je dédie cet article à l’artiste des reportages dessinés, Gérard Depralon, qui vient de nous quitter brutalement, tout comme l’écrivain Antoine Martin, qui vivait à Nîmes et publiait Au diable Vauvert).

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