Michel Cadière à la Médiathèque d’Uzès
Les œuvres de Michel Cadière se déchiffrent, à l’instar de notre inconscient. Approcher ses dessins, c’est aborder un monde de signes divers relevant d’une culture universelle intériorisée et devenue à présent une petite cosmogonie intime et de surcroît portative. Il se sent d’ailleurs foncièrement nomade. Chez Cadière les figures sont parfaitement identifiables comme telles mais leur saturation par surcharge extrême en surface aboutit à une perte de repère. Si le vide des espaces infinis, dont parlait l’auteur des Pensées, effraie, le plein produit le même effet, celui de vertige. Dans nos sociétés pragmatiques, on cherche un sens immédiat aux phénomènes. Cadière nous force à prendre notre temps, à changer nos modes de lecture et de communication, à admettre une fois pour toutes la faillite de l’intelligence face à un certain nombre de données qui la dépassent.
Toujours est-il que l’exposition en la médiathèque d’Uzès donne la possibilité au public de s’initier à cette œuvre qui peut sembler ésotérique aux entendements cartésiens que nous sommes mais qui parle aux enfants et à ceux qui ont su garder, dans leur esprit, une part des capacités d’émerveillement qui caractérise l’enfance. On y trouve des pop’up dans des colonnes vitrées et un long codex inspiré des arcanes du tarot déroulé à l’horizontale, des collages en couleur, des œuvres en collaboration, des illustrations de livres d’artistes, des caissons en guise d’écrins protecteurs et un nombre impressionnant de dessins et noir et blanc, la base du travail de Cadière. Noir et blanc qui nous rappelle l’écriture, mais une écriture de l’image, après tout nous sommes dans un lieu voué aux livres. C’est la raison pour laquelle ses dessins ne recourent point à la perspective traditionnelle. Au demeurant, la feuille fonctionne comme un écran où viendraient se poser les images, les unes à côté des autres, dans une occupation de l’espace qui rappelle la compossibilité spatiale dévolue au rêve. Et pas seulement spatiale : temporelle et culturelle. Joëlle Busca, disparue au moment même où débutait cette exposition, s’est ingéniée à énumérer les divers éléments du contenu : « chats, étoiles, carreaux, tours, vaisseaux spatiaux, livres, personnages géants ou minuscules, labyrinthes, cartes à jouer, escaliers, caméras, pellicule cinématographique, serpents, couples, fourmillement de cellules ou de fibres végétales, roues, instruments de vision, coiffures de toutes nature, moyens de locomotion, tables, temples, symboles maçonniques, caducées, signes héraldiques, figures géométriques, motifs ornementaux et religieux… Spirales, cordes, nœuds, frises, rosaces, ruban de Moebius… physique quantique, suite de Fibonacci… ». Excusez du peu… Et la liste n’est pas exhaustive… Et pas si naïve qu’on pourrait le supposer. On est dans le foisonnement, le pléthore, dans un univers, plein comme un œuf, où l’œil s’égare à la Piranèse, qui se suffit à lui-même et comporte ses propres lois. Les figures sont ainsi dans un certain ordre assemblées selon une composition trop rigoureuse pour s’avérer fortuite. Ceci dit, même l’hétérogénéité a sa logique. Elle est propice au voyage, à l’imaginaire, à la narration…
Ce qui frappe aussi, c’est l’extrême minutie du dessin, sur lequel l’artiste conserve le contrôle. On n’est pas ici dans le déploiement de gestualité expressionniste : au contraire, on est sur le seuil d’un lieu clos où se révèle une intimité sacrée. Chez Cadière, le monde est à portée de main, un monde fantastique, les jeunes diraient délirants sans nuance péjorative. Certains cherchent depuis des générations à franchir les portes d’ivoire du songe, et elles sont là, plus modestement, sur la feuille de dessin, prodiguant son mystère et donnant ordre au chaos. La musique savante manque à notre désir, écrivait le poète. Nul doute que les dessins inspirés de Cadière nous la font entendre. Et c’est à chaque visiteur de l’interpréter. BTN
Jusqu’au 27 février au moins, Médiathèque d’Uzès. 14, Le Portalet, 0466030203