Métamorphose, La photo en France, 68-89, Pavillon populaire, Montpellier
Que la photo soit devenu un Art à part entière est à présent une évidence, qu’elle soit documentaire, esthétique ou plasticienne. Certains artistes majeurs de notre temps, pensons à Sophie Calle, présente dans cette sélection prestigieuse, y recourent pour étayer leur narration (ici deux tombes fraternelles), ou à Orlan qui témoigne de la transformation du corps féminin dans ses autoportraits mystiques (au sein généreux) ou même Michel Journiac qui n’a jamais reculé face au travestissement. Le Pavillon populaire aura grandement contribué à assurer son rayonnement sur le plan local et régional en rendant hommage à des créateurs aussi originaux et prolifiques que Bernard Plossu (et son baiser en gros plan de la mère à l’enfant, flou et dé-contextualisé) ou Patrick Tosani (et son énigmatique talon disproportionné en couleur), et bien sûr Raymond Depardon (divulguant ses Notes de voyage) également présents dans cette exposition. Celle-ci dresse un bilan assez éclectique de la métamorphose (du documentaire en Art et du journal aux cimaises) de cette activité. Elle a beaucoup évolué depuis les promenades urbaines de Cartier-Bresson ou de Brassaï, que l’on retrouve néanmoins dans le Val de Marne de Sabine Weiss, sans doute aussi dans les chômeurs de Gilles Favier, qui perpétuent ainsi la tradition d’un art humaniste, social, en plus dérangeant. Soixante noms ont été retenus, en noir et blanc ou en couleur, parmi lesquels on reconnaîtra les écrivains Denis Roche (et ces appareils à retardement saisissant l’intimité du couple en voyage) ou Hervé Guibert (chroniqueur impitoyable de sa maladie : le sida). On retrouve un peu tous les genres, actualisés : le portrait d’abord, lequel a ses farouches partisans, qu’il s’agisse des gros plans anonymes et sobres de Suzanne Lafont, originaire de la région, ou des kitch et clinquants Pierre et Gilles. Il se fait sophistiqué et glamour, voire davantage, chez Bettina Rheims. Etrange et nostalgique chez Sarah Moon. Quasi surréaliste chez Guy Bourdin. La mode est un puissant consommateur d’images. Mais le paysage n’est pas en reste. Jean-Marc Bustamante a longtemps posé son objectif sur les constructions en lisière des grandes cités, à l’encontre d’une végétation sacrifiée. Un Pierre de Fenoyl penche au contraire pour le reportage en milieu rural, dans la nature tarnaise. Inversement, Dominique Auerbacher a fondé sa production sur la place de l’humain dans la ville (Lyon). Bernard Faigenbaum se penche sur les statues romaines que personne ne regardait plus. Le franco brésilien Sebastiao Salgado aura voué sa production à la cause de l’Amazonie et des peuples en voie de disparition. La photo, plus que tout autre art, parle ainsi des préoccupations, conflits, phénomènes sociaux de notre temps (Mais 68, vu par Gilles Caron), ainsi que le prouve l’œuvre entier de Yan Morvan et ses blousons noirs. Entre les deux, une Florence Paradeis compose des scènes de la vie quotidienne, dans un cadre intimiste et domestique, avec personnages. François Hers préfère supposer la pièce vide et laisser imaginer l’identité de l’occupant consumériste. Bernard Faucon organise des banquets adolescents, ou revisite le clair obscur dans une chambre aux amours absentes. L’objet aussi est un sujet crucial pour les photographes. Alain Fleischer fait des focus sur des couverts élevés au rang de sujets, telle sa cuiller en étain qui réfléchit un Nu traditionnel. Réinterprétant l’Histoire de l’Art, Florence Chevalier imagine des Corps à corps qui ne lésinent pas avec l’érotisme déchaîné. On reconnaît la relecture de Bellini effectuée par Jacqueline Salmon (cf. Musée Reattu). Par ailleurs, la photo, comme la peinture se prête à la dramatisation, présente dans les propositions d’Alix Cléo Roubaud, laquelle ne dédaigne pas la présence d’image dans l’image. Plus sagement, on retrouve de la mise en abyme grâce à l’Eponge, révélée, dans la salle de bains conceptuelle de Claude Batho tandis que John Batho décline des parasols plus faux que nature. Je suis loin d’avoir épuisé la liste des 60 invités (Georges Rousse et ses anamorphoses dans les ruines, Les femmes au travail de Janine Niepce, la Goutte d’or de Martine Barrat…), mais la richesse et variété de cette sélection ne peut que forcer l’intérêt et prouver que la France, est loin d’être, ici comme ailleurs, à la ramasse. D’autant que l’expo est divisée en thèmes qui facilitent les déambulations des visiteurs entre les séries de Nouvelles écritures (Philippe Chancel…), de Corps en liberté (Yves Trémorin), de Présence des choses (Bernard Descamp), d’Espace dévolu à l’image ((Jean-Luc Moulène…), de Crise à vivre (Luc Choquer…), ou encore de Paysages contemporains (Alain Bublex). Une exposition très pensée en tout cas, avec une intention didactique non déguisée, qui ne peut qu’éclairer le public. BTN
Jusqu’au 15 janvier, Esplanade, 0467661346