LIBRES, Collectionneurs d’Arts Modestes au MIAM (Sète)
L’exposition proposée cet hiver par le Miam a largement de quoi surprendre. Elle se divise en deux parties sur deux niveaux, faisant penser à ces sombres boutiques, évoquées dans quelque roman ou au cinéma, abritant un bric-à-brac de vieilles choses où dénicher la pièce rare et interdite par excellence. Elle mêle nombre d’objets de toutes sortes à des tableaux ou dessins modernes et contemporains, dont beaucoup de tableaux figuratifs au rez de chaussée, à un surréalisme insolite à l’étage. Dès l’accueil, les plats en céramique de Vallauris, rappellent que nous sommes dans un musée d’art modeste. Avec plus d’attention on repère une pilule de Jeanne Susplugas, une œuvre virtuelle de Miguel Chevalier. Dans le couloir, des photographies de pièces intimes dévoilent les œuvres telles que nous ne les verrons jamais de visu chez les hôtes temporaires : les deux couples de collectionneurs sollicités. Ceux-ci sont limités à des initiales, preuves de leur modestie s’il en est. On se promène ainsi dans leur univers, parmi les fleurons de leur passion intime, comme échappés de leur espace familier et se revitalisant de leurs retrouvailles avec le public. Les premiers, FB/DL, apprécient essentiellement la Figuration libre. Outre le carré magique (Blanchard, Boisrond, Combas et surtout Di Rosa, omniprésent – ce qui constitue comme une petite collection dans la Collection), et la fine fleur de la Figure sétoise (Topolino, Cervera, Duran…), on découvrira avec plaisir les petits dessins des quatre saisons de Vincent Bioulès, un Mao au rouge de Yan Pei Ming, des motifs floraux au gris de Manuel Ocampos, les amoureux des bancs public croqués par le dernier Hélion, une invite chez Fernand affichée par Jean-Charles Blais, des céramiques de Christine Viennet… Un blanc Jeff Koons au sol passerait presque inaperçu. On pénètre les lieux grâce à un très beau tableau illuminé, quasi mystique, de Benchamma d’un côté, flanqué d’une sculpture en bois de Marc Le Bris, et une hiératique toile libre, figurative, de Cyprien Tokoudagba, de l’autre côté, juste devant un escalier de figurines diverses dont l’ombre se projette habilement sur les murs. On termine par un modeste tissu de Viallat qui jouxte et semble tirer la langue à un Courrèges souriant. Entre temps, on va de surprise en surprise : on papillonne avec Dezeuze, on butine les fleurs géantes d’Argie Bandoy, on se meut avec le poulpe de Marie Hugo, on pavoise avec Aldo, on croise un très viral Fabrice Hyber, une star croquée par Chuckie Williams, une série d’architectures peintes en sépia par Jean Denant, un oiseau goudronné de Boitard… Mais la vraie surprise, amusante, c’est ce cabinet d’amateur, espace d’aisance intime, que l’on ne pénètre pas, mais en lequel on peut toujours jeter un œil comme dans le film d’Eustache (Une sale affaire): sur un portrait de Keith Harring, une peinture de Kwame Akoto, des tableautins par dizaines, un nain de jardin, des tam-tams, des tissus rutilants, des sculptures… Grâce aux chaussures à haut talons de Bendine-Boucar nous changeons de niveau. Car, c’est à l’étage, dans l’espace dévolue à MB/JB, que l’on est le plus agréablement surpris : cela tient à la présence abondante de deux artistes du temps jadis quelque peu négligés par l’Histoire de l’Art : Félix Labisse et Lucien Coutaud. Labisse, c’est une peinture léchée, inquiétante, dérangeante, occulte, avec beaucoup de portraits hybrides mais aussi des livres d’artistes (dont un avec Desnos), des costumes de théâtre (dont le démoniaque Faust), des portraits de célébrités (dont Picasso) le tout voisinant avec d’immenses tablées de moules de cuisine, de figurines brésiliennes, de sièges surprenants, d’une table surréaliste, d’un mannequin, d’une reine haute en couleurs et d’une Ste Odile (trois aspects de la femme sublimée), et des sculptures du même acabit. Le gardois Coutaud, c’est d’abord une tapisserie en triptyque, dont les personnages conjuguent l’hédonisme de la Renaissance avec une surcharge décorative et végétale, dans un hymne sobre à la jeunesse et à la beauté. Ce sont aussi des tableaux plus macabres sur des champs de bataille dévastés. On est très proche d’un certain surréalisme, celui de l’occultisme et de la magie noire. On repère au demeurant une gravure de Max Ernst, un tableau très représentatif d’Hérold, l’inévitable Dali, la féminine et féline Léonor Fini. Avec plus d’attention Kermarrec ou Collin Thiébaut nous ramènent à notre époque. La cohabitation fonctionne. L’un déteint sur l’autre. Ainsi le moderne devient modeste et le modeste moderne, ou contemporain. De même le privé se fait public et l’intime muséal. Comme souvent au Miam, les codes et repères sont brouillés pour une (re)définition élargie de l’Art. Ainsi le collectionneur devient une personne modeste par excellence puisqu’il renonce à créer pour servir la création des autres. Voilà qui se nomme : manier le paradoxe. BTN
Jusqu’au 26 mai.