L’année commence bien, du côté de Montpellier, avec la série d’autoportraits que Jacques Fournel a confiée, jusqu’au 2-03, à la galerie Boîte noire, quelques décennies après sa dernière exposition en ces lieux mythiques. Cet artiste aura été un infatigable animateur de la vie artistique, montpelliéraine puis sètoise. Sa pratique de l’autoportrait ne date pas d’hier mais de la fin des seventies, quand il se faisait photographier, de manière performative, au polaroïd à New York, anticipant sur le tourisme de masse et la vogue actuelle de « selfies ». Dépassant le formalisme abstrait, répétitif, dominant à l’époque, il se polarise sur son propre visage, motif inépuisable s’il en est et se prêtant non seulement à un jeu infini de physionomies mais se soumettant inexorablement aux assauts du temps. Bien des peintures, vidéos et photographies plus tard, il nous revient avec plusieurs centaines de dessins au crayon, au brou de noix, au fusain, au lavis, à l’encre, à la craie et même à l’aquarelle, épuisant toutes les techniques graphiques ayant fait leur preuve et toujours en pratique en notre temps. Jacques Fournel choisit un angle de vue rapproché, le plus souvent frontal ou légèrement de profil, ce qui favorise le face à face avec le regardeur à qui il tend en quelque sorte un miroir à moins qu’il ne s’agisse de l’inverse : un miroir lui serait tendu. Le format, à peine plus grand que l’échelle 1, exclusivement sur format A3, favorise l’identification. Si tout homme porte en soi la forme entière de l’humaine condition, il va de soi que Jacques Fournel, tout autant qu’il offre au visiteur l’occasion de reconnaître en l’autre une part de lui-même, emprunte lui-même aux autres à qui, en dernière instance, il offre un peu de son intimité, croqué avec patience et méticulosité. Diderot disait qu’il adoptait mille physionomies en un jour. Jacques Fournel, indique soigneusement la date quotidienne. Dans la galerie, il propose différents assemblages liés à des protocoles, thématiques ou techniques : une suite temporelle, les portraits à l’eau, le hasard, les choix du galeriste, la couleur, les plus soulignés ou sombres… La moindre nouveauté, qu’elle soit physique (apparition de poils de barbe, cernes, rides, empâtement, fatigue…) ou morale (contrariété, satisfaction, hilarité, doute et égarement, étonnement…) se prête ainsi à une expérience de la différence dans la répétition. Telle une improvisation à chaque fois nouvelle à partir du même thème. Ainsi le visage offre-t-il une perpétuelle nouveauté, multipliée par les techniques utilisées : le regard est scrutateur, interrogatif… Car le Secret dessin, évoqué dans le titre, que l’on pourrait tout aussi bien orthographier dessein, consiste à réactiver le mystère de l’être. Il fut un temps où l’on réservait l’art du portrait aux personnes illustres. Si l’artiste se choisit lui-même ce n’est pas par pure vanité mais au contraire afin de témoigner du reste d’humanité qu’il nous est loisible de pérenniser, encore pour quelques temps. BTN