Exposition personnelle de Geörgette Power. Galerie des Tables, EBABX, École des Beaux-arts de Bordeaux. Du 7 au 25 janvier 2020.
Devenir passe-muraille
Au jardin public, les arbres sont ébouriffés, les troncs décoiffés. Les plantes hirsutes exultent et s’esclaffent. Elles rampent peu à peu et traversent les barrières, transpercent les frontières et se répandent dans la ville.
Cette nuit-là, le calme ordonné a laissé place au joyeux tumulte. Alors, les racines se libèrent et fomentent un espace vert illimité. Elles reprennent leurs marques autour du fleuve et ses marécages. Sans un bruit, la rumeur murmure une nouvelle cartographie des souches et des arbustes.
Si la ville a colonisé les plantes, elles sont partout en nous : un espace vert est volatile, omniprésent dans nos vêtements et plastiques. Ici, à la Galerie des Tables, Geörgette Power saisit le caractère imperceptible de ces espaces publics : leur spatialité. Les écrans vidéos sont sectionnés par de grandes grilles disséminées dans l’exposition. De part et d’autre, s’échappent les plantes de toutes tailles et provenances. Ici, on aperçoit un travelling dans une carte, un poumon vert qui répond à la tendance officielle. Là, le tramway, jardin humain quotidien, devient jardin végétal.
Les plantes déploient un autre récit anthropomorphique et contemplent interloquées un mur de briques se dresser. Dissimulées sous les pierres de taille jaunes et fabriquées avec les glaises de la Garonne, les briques sont les matériaux invisibles du bâti bordelais. Elles incarnent les cicatrices bouchées. Ici, le mur ne monte pas jusqu’en haut, l’évasion devient possible. Une série de photographies en débordent. Des mains présentent des plantes : on distingue un vernis, de larges phalanges. Les images glanées sur des forum de botanique révèlent une relation entre l’humain et le végétal. Les doigts suggèrent l’échelle, soutiennent ou désignent. Alors, un nouveau langage des signes se dessine, une typologie de présentation. Chaque geste pourrait contenir un verbe : écrire, tenir, tendre, soulever, soupeser, débroussailler… Quelle est cette plante, quel est cet humain, quel rapport les lie ?
Geörgette Power creuse une pensée du langage initiée il y a une dizaine d’années. Dans la vidéo Réagir, il ré-interprète les consignes vigipirate qui nous proposent de « réagir en cas d’attaque terroriste ». L’image source est découpée et chaque élément est animé par le mouvement. Ces coutures numériques sont caractéristiques de la pratique de l’artiste. Par le collage et le dessin, il décortique la chorégraphie de gestes sécuritaires qui n’ont de cesse aujourd’hui de redéfinir la notion de seuil.
Élise Girardot, 2020.