En regard Nazanin Pouyandeh et Brigitte Aubignac, Sète

Brigitte Aubignac, Nazanin Pouyandeh, Musée Paul Valéry, Sète
Le musée voué au poète se met à l’heure féminine avec cette double expo temporaire et ma foi, nul ne songerait à s’en offusquer. Les deux artistes invitées semblent partager une même revendication à un tant soit peu de parité, partant de lisibilité, pour les artistes de sexe féminin notamment dans les musées. D’autant que les œuvres de chacune, d’une génération différente, d’une origine différente (Nazanin est iranienne), font du modèle féminin la majeure partie de leur source d’inspiration, un sujet inépuisable et si je puis dire, qui demeure largement à découvrir, le Nu n’étant ni tabou ni traité avec gêne ou honte. Je n’en donnerai pour preuve que les séries de portraits anonymes, discrets et intimistes, de Brigitte Aubignac, celle consacrée aux maquillages, en plan rapprochée, et sans concession aux critères de beauté, ou encore ses Insomnies où se dévoile ce que d’autres ont nommé « le continent noir » de la féminité (à éclairer justement, par les femmes elles-mêmes). Chez Nazanin Pouyandeh, la femme peut s’avérer Déesse de miséricorde, héroïne historique (La mort de Cléopâtre) ou mythique (la série troublante des Lucrèce en passe de mettre fin à ses jours), faisant partie du cercle d’amies (Marina à trois têtes, Carla l’amoureuse) ou se déclinant en autoportraits. L’Histoire de l’art est à ce propos sollicitée puisque tous ces personnages y ont été mis en exergue. On se rend compte dans le Nu au mimosa qui met en en abyme Gauguin, Matisse ou les Nabis ou encore dans les Deux amis où l’on reconnaît entre autres, dans des tableaux dans le tableau, Caravage ou Fragonard, les Lucrèce se nourrissant de Cranach ou Guido Reni. La statuaire africaine, l’art et l’érotisme d’extrême orient ne sont pas oubliés dans ces compositions extrêmement soignées, théâtrales, jouant beaucoup avec les masques et les effets de distanciation. Car nous sommes dans un univers d’images. Brigitte Aubignac, de son côté fait la part belle aux statues antiques ou renaissantes, qui peuplent parcs et jardins, auxquelles elle adjoint ici une sculpture africaine, là une petite danseuse de Degas, ailleurs un homme qui marche de Giacometti ou un moaï de l’île de Pâques. Hommage émouvant est rendu au Cri de Munch couplé au Désespéré de Courbet. Les deux artistes parviennent, avec des moyens différents, léchés et soucieux du détail chez Nazanin pour qui le dessin bien net prime avant tout, plus indécis chez Brigitte qui aime les arrière-plans neutres ou nuancés, les espaces esquissés, à suggérer un univers onirique en lequel époques et cultures cohabitent. C’est évident chez Brigitte qui sollicite les faunes (à la bassine), où les statues s’accommodent de la complicité des humains, de la mode des selfies, des jeunes gens facétieux, des enfants égarés et même d’un chien fou. Chez Nazanin le passé et le présent cohabitent comme on le voit dans Le bain Turc où le chef d’œuvre d’Ingres sert de décor à un gros plan sur une étreinte au tatouage de dragons. On repère, outre la déesse, une jeune géante ou une femme à bras de branches, une autre a tête de loup, ou un visage sans corps… L’imagination est au pouvoir et le moins que l’on puisse dire c’est qu’elle n’a pas froid aux yeux. L’érotisme s’affiche sans vergogne mais avec délicatesse (Tendresse printanière), allégresse (Victoire) ou consentement (Oviri). La violence n’est pas niée car elle fait partie de la nature et de notre manière de la gérer. La question de la beauté est primordiale chez cette artiste qui n’entend pas se laisser priver de liberté par ses homologues masculins. Elle l’assimile à la jeunesse, partant à l’espérance. Celle d’un accord, d’une réconciliation, d’une Alliance. Elle se sait fragile et dégradable chez Brigitte, impitoyable envers les ravages du temps, les souffrances et angoisses nocturnes, les grimaces et non conformités aux canons dominants. Les deux artistes ne s’opposent pas. L’une se sert des images comme quelqu’une qui en aurait été sevrée, ou aurait pu l’être, et comme une arme de combat contre toutes les formes de coercition, l’autre tentée par le quotidien et ses travers mais aussi par les surprises que réserve l’hybridation inattendue, non dépourvue d’humour, entre la chair et ses faiblesse face à la plasticité pérenne mais modulable des statues. Nazanin pousse à l’extrême son goût très oriental pour le décoratif, Brigitte demeure fidèle à une peinture plus classique en ce sens qu’elle s’appuie sur la tradition qui remonte à l’antique et à ses divers modes de déclinaison en cours d’histoire. Toujours est-il que cette double vision féminine du monde, réel ou imaginaire, nous amène à réviser nos conceptions réductrices et à les mesurer à d’autres, masculines, que l’on peut admirer près de là, relevant de la figuration libre ou sètoise par exemple, ou du groupe Montpellier-Sète, un peu plus tôt dans le temps. BTN
Jusqu’au 2-03

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