La distance ardente/La vie dans l’espace, au Mrac de Sérignan (34).
Ces deux expos hivernales sont reliées d’une part par le dialogue, avec un continent pour la première, avec les œuvres du musées de l’autre. L’une parle de distance, sans doute à réduire, entre deux continents, l’autre d’espace, à travers une scénographie qui choisit, associe et classe en compartiments spécifiques.
La première sollicite surtout le Maroc, sans doute plus à la pointe que les autres, de par sa proximité, de son passé et son avancée culturelle de notre pays mais aussi l’Egypte et l’Afrique noire. Cinq thèmes, à l’instar d’une main de fatma, structurent l’espace : l’oralité augmentée, Economie et fabulation, Archivage d’histoires imaginaires, Fiction et mouvements non autorisés, Système de désobéissance enfin. A y regarder de plus près, on s’aperçoit que trois fils conducteurs traversent les œuvres de ces artistes : le corps, les migrations, la mixité possible malgré l’identité. Le corps des ouvriers pour Mustapha Akrim, celui des militaires pour Mohamed Aredjal, celui des anciens soldats de la mémoire coloniale pour Diadji Diop. Zainab Andalibe reproduit au fil de laiton le parcours des migrants tandis que Hassan Bourkia réserve tout un espace à sa représentation du camp de Rivesaltes, à quelques encablures de Sérignan. Fatiha Zemmouri célèbre les vertus du désert, miniaturisé, et ce qu’il nous apprend sur la condition humaine et esthétique quand Khalil Nemmaoui réfléchit sur la notion ancestrale de transhumance. Enfin, Mariam Abouzid Souala recourt à la grande peinture, très réaliste, afin de dédramatiser le supposé choc des civilisations, au nom d’un destin commun, tandis que Moataz Nasr se veut observateur des transformations du monde tout en conservant des références traditionnelles. De ce point de vue, Simohammed Fettaka se réapproprie les objets et symboles de la culture marocaine, Hicham Ayouch se lançant dans une quête de son passé marqué par une identité.
La deuxième enrichit notre perception du fond muséal par sa mise en perspective liée au thème spatial., d’une part, de la confrontation des œuvres face à un vis-à-vis inédit de l’autre. On peut dès lors parler de recréation, opérée par la commissaire, Jill Gasparina. L’expo consiste en une série de compartiments évolutifs : de la gravité zéro avec des œuvres en apesanteur (Nicolas Chardon, Marion Barush)… à l’Exoplanète (tapissée de mots muraux d’Huz et Bosshard, servant d’acrin à un monolithe de Didier Marcel ou au géant en alu peint de Sarah Tritz) en passant par le lab (le cabinet d’art graphique transformé en labo et ses Mac Callum, Flexner, Fontcuberta, Susplugas, Dietman, Holler etc.) ou la Cabine de l’astronaute et ses dizaines d’images souvenirs, (d’El Hanani à Pencréac’h, Di Rosa, Messagier…). A chaque visiteur de chercher le rapport au thème, qu’il s’agisse de la solitude du Rover sur Mars ((extraordinaire installation de Jessica Stockholder) ou du Souvenir de la bonne terre, (et la bonne vieille mer bleue, monochrome, signée des Gâchons, entourée de avec ses images du cru de Depardon ou Claire Tenu). Comment par ex peuvent cohabiter, lors d’une Sortie Extra véhiculaire (EVA), les œuvres antagonistes de Vera Molnar, évolutives et simples, les petits monochromes d’Aurelie Nemours et la figuration narrative, très habitée, de Fromanger. Ou un volume de Mosset voire un tableau de Spescha, très minimalistes et radicaux, à proximité d’un tableau pneumatique de Stampfli, relatives à l’architecture interne du vaisseau spatial. La Cabine de l’astronaute, un véritable cabinet d’amateurs, permet de jouxter de nombreuses pièces dont certaines avaient été peu montrées : on est un peu dans l’hétéroclite mais après tout il faut de tout pour faire un monde, a fortiori un microcosme. Ainsi Crumb et Topor voisinent-ils avec Messagier et même avec notre Frédéric Khodja, jusqu’à présent peu montré. Au bout du compte, on revisite ainsi bien des artistes ayant eu l’honneur d’occuper temporairement les lieux (Isabelle Cornaro, Tatiana Trouvé, Erro) tels qu’ils sont aujourd’hui ou tels qu’ils étaient hier (Erik Dietman) et tels qu’ils demeureront pour longtemps (Bruno Peinado sur la façade) ou dans notre souvenir (Dado, Piet Moget). Il serait fastidieux de répertorier tous les artistes dés-inhumés et prêts pour ce voyage dans une seconde vie (de Carsten Holler et ses oiseaux manipulés, aux chats figurés par Séchas en passant par des figures internationales – Turell, Morellet, Fischli et Weiss – ou plus nationales voire régionales – Dezeuze , Di Rosa, Viallat – mais aussi la très prometteuse Mimosa Echard, ou la médicamenteuse Jeanne Susplugas (cf. article dans ce numéro). Un voyage donc dans l’espace mai aussi dans le temps passé, les œuvres conservées et retrouvant leur vie dans l’espace du lieu remodelé. BTN
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