Deux expos automnales : Le Moco et la Panacée

Parade, une scène française, Mo.Co
Pourquoi le milieu de l’art en France dédaigne nos artistes et va chercher ailleurs ce qui ne demanderait qu’à s’épanouir sur le plan national comme international ? Laurent Dumas fait partie de ses collectionneurs largement ouverts à la scène artistique de son pays. Sa collection, même si l’on n’en voit qu’une partie sélectionnée par Eric de Chassey, est sur ce point exemplaire. Au-delà de l’amitié qui lie les deux hommes, on appréciera le caractère tribal des choix initiaux du premier. Nous y repérons des notions plus humaines que celles associées à la mondialisation, notamment l’idée que, sur un territoire donné, vivent des individus, les artistes, avec lesquels lier des relations plus directes et plus étroites. Simple bon sens et non nationalisme militant. On trouve dans ces choix des figures historiques, dès l’entrée, bon moyen de se rafraîchir la mémoire, puis au fur et à mesure des jeunes en devenir (Dora Jéridi, Paul Mignard, Rayan Yasmineh). On s’immerge ainsi dans des ensembles significatifs consacrés à Alain Jacquet (dont Le célèbre Déjeuner sur l’herbe), à Jean Michel Albérola figure-phare des années 80 (dont un portrait de Fred Astaire), au nouveau-réaliste Daniel Spoerri qui vient de nous quitter (dont une tapisserie enrichie d’un rostre de poisson-scie), d’un transfuge de Supports-Surfaces Jean-Pierre Pincemin (un flamboyant Arbre au tombeau !). Boltanski, Messager, Dietman, l’affichiste Hains… Les goûts sont manifestement éclectiques. Renaud Auguste-Dormeuil assure la transition avant la réapparition générale de la Peinture, laquelle justifie le choix de cette Collection par le Moco : d’où l’amusante enseigne lumineuse JUSQU’ICI TOUT VA BIEN et surtout grâce à un portrait tronqué du collectionneur, dépourvu dès lors d’égo. Une Vanité détournée en quelque sorte. Les trois immenses salles qui suivent, à chaque étage, alternent aussi des florilèges conséquents (Bruno Perramant et son Lazare semblant ressusciter la peinture, Claire Tabouret et sa photo de classe, Nina Childress…), plus modérés (deux à trois toiles pour François Deroubaix, Agnès Thurnauer, George Tony Stoll, Romain Bernini..), ou un seul tableau mais imposant pour Djamel Tatah, Christian Bonnefoi, le regretté Elliott Dubail, Anne-Marie Schneider. Certains frappent par leur monumentalité (La Parade d’Assan Smati dépasse largement les 5 m, le collage imprimé de Thomas Hirschhorn les avoisine, La Fureur d’Hélène Delprat frôle les 10 m…), d’autres par leur discrétion (les deux collages de feutre sur les Fauteuils, de Tatiana Trouvé, l’hyperréaliste femme qui se balance au-dessus de la ville par Loulou Picasso). D’un point de vue thématique bon nombre d’œuvres sont empreintes de cette violence qui caractérise l’histoire ou l’actualité (les revendications de Kiki Picasso, les œuvres au noir de Loris Gréaud, la danse macabre de Deroubaix, le sacrifice d’Isaac revu en sculpture par Abdessemed). D’autres paraissent plus apaisées (les Sunflowers, de Dove Allouche). La sculpture montre de temps à autre le bout de son nez (Colère néo-réaliste d’Arman, bustes encaustiqués de Raphaël Denis, Gueule cassée et masque de Kader Attia, Acropole en équilibre d’Edgar Sarin…). Les artistes issus de l’étranger, résidant en France, ne sont pas ignorés et ouvrent sur l’international (le camerounais Barthélémy Toguo, concepteur du futur tram, l’allemande Ulla Von Brandenburg). L’expo s’achève sur un diptyque dessiné de Célia Muller, représentant une énorme vague. Celle, nouvelle, qui enrichira le fonds déjà si conséquent du collectionneur ? On l’espère pour la scène française, soutenue par les galeries du moins… BTN
Jusqu’au 12-01

Laura Garcia-Karras, Aurélien Potier, Mo.Co. Panacée
Concomitante de l’expo Parade au Moco, celle de la Panacée se recentre sur la relève : deux jeunes artistes, confrontés à la spécificité d’un lieu imposant, et plus enclins à la création In situ. Aurélien Potier a ainsi rempli l’espace de 5 installations, horizontales ou verticales, en forme de table d’un côté, de mobilier quotidien de l’autre, rendue méconnaissable par les transformations qu’il leur fait subir. Il érige en effet des constructions à base de bois usinés, laissés pour compte, souillés de mortier et enrichis de cire, à travers lesquels il multiplie des prolongements graphiques dans l’espace, grâce à des tiges de métal incurvées. On pense à un objet échevelé, à un poème qui transgresserait ses règles, à un morceau de jazz ou à des improvisations chorégraphiques. Au mur, se profilent d’étranges écritures, beaucoup plus discrètes, soit ramassées sur elles-mêmes, à base d’acier déformé, soit ébouriffées et foisonnantes comme un dripping sculptural. Une grande plaque de métal est traversée de gestes rouillés. Le mur est parfois maculé de mortier comme si l’artiste, après être passé du plan au volume, passait du volume à l’architecture. De petites plaques métalliques viennent rythmer le parcours mural qui se veut économe de moyens, et pragmatique dans l’art du recyclage. Le désir comme remède à la défaillance et la recomposition à la destruction.
Laura Garcia-Karras, dont la démarche paraît plus traditionnelle, puisqu’elle peint des tableaux, n’a point hésité à s’approprier la voute de l’un des salles mises à sa disposition et à couvrir ainsi le plafond d’une longue peinture bien dans l’esprit de ses toiles. Celles-ci, le plus souvent all over, semblent flirter, c’est le cas de le dire, avec des formes, tant anatomiques que végétales, renvoyant aussi bien à l’infiniment petit qu’aux grands espaces infinis. Ainsi les motifs que certains associeront à une flore étrange relèvent-ils autant de l’imaginaire que du réel d’où ils prennent leur source. Sauf qu’ils jouent sur l’ambiguïté de leur identification verbale et sur l’hybridité qui les définit. L’artiste alterne les grands et les petits formats. Les premiers effectuent des très gros plans frontaux sur des motifs démesurés. Les seconds isolent, de manière plus intimiste, les référents chers à la peintre, au fond les éléments présents dans sa recherche. Car il s’agit d’une quête au cœur des choses, avec sa part de mystère. Le travail est bien léché, la lumière en est une composante maîtresse, les couleurs ne font pas dans la grisaille mais exploitent au contraire toute la gamme charnelle. On suit bien, au fil du parcours, l’évolution vers une intimité plus profonde encore, envers le motif dominant. Une façon de préciser la confiance en la peinture et de croire à son éternel retour. Pérennial. BTN
Jusqu’au 12-01

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