Deux expos automnales au Crac de Sète et au Mrac de Sérignan

En-dehors, CRAC de Sète

On peut aborder l’expo automnale du Crac, selon deux aspects : d’un côté le thème (les artistes et le handicap), le discours qui s’y associe (militant, revendicatif, innovant et par là même dérangeant pour un public validiste), des images troublantes, et de l’autre la stratégie de l’accrochage des œuvres ou si l’on préfère l’occupation de l’espace par les huit artistes présentés, et qui s’avère, comme souvent au Crac, pertinente et réussie. On est ainsi à la fois dérangés dans nos habitudes et rassurés par la qualité. Chacun d’eux occupe une salle ou deux, et propose des œuvres fortes, en photo ou en installation, en suspension ou au sol, en impression murale ou en vidéo. Même si l’orientation d’ensemble les concerne tous (modifier le regard que le validisme porte sur le handicap), l’exposition dans son ensemble n’a rien de répétitif. Chaque artiste a sa spécificité et les œuvres sont toutes d’une grande puissance suggestive, plastique et esthétique, contrastant avec la fragilité des corps concernés. Parmi les réussites évidentes, Lou Chavepayre met en exergue, dès l’entrée, grâce à un bronze mural, l’Absence de cul qui caractérise la personne en fauteuil roulant. Même référent dans l’installation sonore Cosmo où il est question d’une conversation sidérante avec une astrologue. En outre, la problématique du regard insistant des passants, filmés dans la rue, donne le ton. 4 tirages en noir et blanc montrent l’osmose entre l’artiste et sa mère qui l’aide à esquisser quelques pas de danse. Dans cette même salle, une colonne morcelée en faïence cuite de Marguerite Maréchal, inspirée de quelque référent architectural, découvert à Rome. La même artiste a conçu un escalier inversé, en ficelle de jute, face à celui qui mène à l’étage, et qui évoque l’inaccessibilité car il ne descend pas jusqu’au sol. Vers la sortie, une forme molle en laine feutrée, reliée à des dossiers de chaise, est une autre réussite à la fois plastique et conceptuelle (symbolisant les composantes antagonistes du corps). La peinture n’est pas absente grâce à Laurie Charles qui  nous offre une série colorée, à l’aquarelle, de salles d’attente selon ses goûts, et surtout grâce à une immense fresque murale qui clôt l’exposition par une série, médiévale, d’espaces de repos idéaux. L’œuvre de Benoit Piron évolue dans des tonalités pastel assez proches, lui qui récupère des draps d’hôpitaux afin de confectionner des fauteuils, lampadaires, patchworks et autres Bedridders plus attrayants, dans une ambiance chaleureuse et douce. Dans un esprit bien plus perturbant, le triptyque de Kamel Guenatri conjugue l’autoportrait à la nature morte, privée ou publique. Ailleurs, on peut voir tout l’appareillage l’ayant amené à prendre une douche performante de pigments. L’un des deux commissaires d’expo, No Anger (avec Lucie Camous) s’est servi de son dossier médical normatif pour fabriquer des armoires à partir desquelles pénétrer dans son intimité à l’aide de documents divers et de vidéos. Dans un polyptyque filmé, Mélanie Joseph s’inquiète de la disparition de la langue des signes au profit des normes « entendantes ». Enfin, la salle 4 projette une rétrospective du cinéaste Rémi Gendarme-Cerquetti et distribue des fanzines militants. On en ressort pas tout à fait comme on était entrés…

A l’étage, nous attendent deux installations vidéo d’Alice Brygo, dont l’une, en triptyque, suit l’ascension d’une montagne aussi fascinante que dangereuse mais dont on guérit, grâce à la présence providentielle d’un ermite. On y repère un distributeur de boisson, un peu l’équivalent du parallélépipède de 2001, Odyssée de l’espace, que l’on retrouve dans le réel, à l’entrée de la salle de projection. La seconde filme les spectateurs de l’incendie qui ravagea Notre-Dame, immobiles, ne donnant plus l’impression d’exister (autrement que par leur regard résigné). C’est très beau et nous place hors du temps. Presque hors de l’actualité. BTN

Jusqu’au 05-01

 

Renaud Dezoteux, Vidya Gastaldon, Mrac de Sérignan (34)

Le Mrac surprend toujours en alternant les artistes de renommée internationale et ceux que l’on a plaisir à découvrir, qui ont suffisamment de ressources et d’ingéniosité pour affronter un lieu qui peut s’honorer de ses grands espaces. Renaud Dezoteux occupe le rez-de-chaussée, dans le noir ou la pénombre, de ses films et objets. Les 3 vidéos, plutôt immersives, recourent au même procédé : des incrustations animales en animation sur un fond emprunté au réel, à des décors de lieux de spectacles, ou de passage tantôt en activité tantôt en sommeil. La première projection se nomme justement Somme et joue avec humour sur le contraste Activités Humaines/Relâchement animal sous la forme de rats plutôt gras, burlesques et fictifs, et manifestement pas enclins à quitter le navire quand la marée humaine s’agite et se divertit. Dans la niche, ce sont des chauves-souris qui, si l’on peut dire, se taillent la part du lion. Mais aussi les vers qui envahissent les distributeurs. Le Philharmonique est alors filmé durant le confinement. Enfin la place du Tertre grouille certes de passants et de supposés artistes, mais surtout d’une faune aviaire, narquoise et encombrante. L’imaginaire, le dessin d’animation, se mêle aux images découpées dans le réel si bien que l’on ne sait plus très bien où se situe la frontière. C’est d’autant plus marquant lorsque l’artiste fait tomber une pluie de son invention qui se mêle à la réelle. Quant aux trois 3 objets, ils sont formés de projections dynamiques sur des supports de boîtes en carton agencées en cuisine en kit, ou inspirés d’un documentaire pub sur le jogging, ou d’un jeu pour gagner des bonbonnes de gaz. En les projetant sur des objets qui rappellent des machines à sous et autres merveilles modernistes, Renaud Dezoteux se démarque de la mode envahissante des mappings. Ainsi l’image se fait plus intimiste tout en multipliant les ambiguïtés sur la nature du réel.

L’étage est dévolu à la franco-suisse Vidya Gastaldon, plus encline à pratiquer la peinture, toutes techniques confondues mais pas seulement pour une galerie de tableaux, même s’il s’en trouve bon nombre plus ou moins alignés le long des murs. Toutefois, les cadres sont démesurés, ils sont souvent eux-mêmes peints et s’accommodent, en début d’expo, d’un wall drawing sous-jacent représentant, à grands traits et à grandes plages de couleurs, un paysage moitié maritime (avec baigneuse loufoque), moitié montagneux, à l’image de la situation géographique du musée ainsi mis en abyme. On a le sentiment que paysage et portrait se mêlent ce qui donne aux tableaux un aspect onirique, avec une omniprésence du regard, sans doute à l’origine de ce sentiment océanique dont parlait Freud et que l’artiste reprend à son compte. La première salle s’inspire de la maison sans murs (Demeure sans murs, tel est le titre). On y trouve des chaussons roses qui glissent le long des murs, une réunion d’objets domestiques tout trouvés comme disait Duchamp, mais que l’artiste s’est approprié, un assemblage d’yeux libres sur assiettes peintes et vernies disposées en pendentif, un escabeau customisé, deux horloges et surtout des cubes, beaucoup de cubes peints parce qu’ils sont à la base, enfantine, de toute construction ou reconstruction. Dans deux autres salles, plus spirituelles, les tableaux déclinent les lettres de l’alphabet tandis qu’au centre se font face deux planches transformées en instrument original de musique, à manipuler. On est à l’origine de toutes choses, dans la genèse du pré-verbal, du pré-visuel et de l’acte créatif en général. Un peu à l’écart, une vidéo hypnotique décline de multiples variations colorées à partir de quelques figures de géométrie élémentaire. La maison n’est pas seulement lieu de formation ou d’origine, elle peut également se faire jardin, où l’on se sent plus proche de la nature, voire en osmose avec elle. D’où cette hybridation portrait/paysage dans le style si particulier de Vidya Gastaldon, aux couleurs généreuses, modérées mais justes sur des tableaux récupérés et re-définis. Le centre nous renvoie au jeu, avec ces petits cubes de bois peints, et donc à l’esprit de l’enfance, ce paradis perdu. Et si c’était l’éden, la demeure sans murs ? BTN

Jusqu’au 09-03

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