Gaëlle Choisne à Lattara Lattes (34970)
Le musée archéologique de Lattes nous offre chaque année un temps de modernité et de créativité avec l’invitation d’artistes venues s’insérer ou se confronter au cœur des collections. Normande mais d’origine haïtienne Gaëlle Choise, s’avère tout à fait dans son élément en cette édition 2020 : elle incarne, par sa personne et par ses réalisations, cette notion d’hybridité qui caractérise une telle cohabitation, que l’on espère symbiotique, entre le passé lointain, ici antique, et une actualité qui elle-même ne peut se distinguer radicalement des origines, de l’histoire et d’une culture duelle. Non seulement Gaëlle Choisne a fait entrer un peu de la luxuriance exotique dans les objets sous vitrines, sagement alignés, mais elle a maculé toutes les parties vitrées de jaculations siliconées, reliques de mégots coloniaux et de pièces de monnaie qui sont comme des façons de oindre lesdits lieux, temporairement, d’une présence envoutante. Cette exposition, Défixion, se place en effet sous le signe de l’envoutement, pas de celui que l’on prête à des gourous réduisant leurs victimes en esclavage, plutôt une incitation à retrouver le respect de la nature et l’acceptation du métissage comme une donnée naturelle, imprescriptible. Le parcours que nous offre l’artiste est ainsi empreint de maintes surprises : il suffit de lever la tête pour passer sous une espèce de végétation, ou encore de filet en caoutchouc, qui pourrait vite nous capturer/captiver en situation réelle (heureusement l’art favorise la donnée fictionnelle, ainsi que le suggère le titre par homophonie) ; de baisser les yeux vers le sol pour reconnaître des huitres géantes, reconstituées en bronze blanc, desquelles surgit une perle d’espoir, de celle dont les humains font leur parure, sans savoir qu’elles rejoindront un musée de type archéologique (l’huitre est, en sus de son caractère accueillant, sans doute un symbole féminin très ritualisé); ou encore des fruits exotiques en bronze devenus symboles de l’écologie dé-coloniale ; de regarder du côté d’une baie vitrée pour apercevoir une sculpture vaguement anthropomorphique, incarnant manifestement la fécondité mamellaire, laquelle désigne l’extérieur cad justement le site antique et le port qu’il recouvre à présent; de jeter un œil du côté des murs pour y repérer un quadrilatère en ciment posé vericalement au sol et sur lequel des photographies de ruines anciennes ont été imprimées, grâce à une étrange alchimie saline. Pourtant, ce sont les suspensions à force de chaines renvoyant sans doute à l’esclavage et la colonisation, voire la dictature, qui frappent l’attention. Ils entourent des éléments naturels tels des bois récupérés ou des coquillages reconvertis, des artefacts donc, souvent assortis d’un verrou à clé et font penser à des ex-votos censés nous ramener au droit chemin de l’équilibre et du respect des choses et des êtres, des cultures et des mélanges bénéfiques. Une sculpture tranchée, multipliant les clous, exhibe sa partie concave et sa partie convexe, le clou renvoyant au supplice ou à la coercition évoquée par le titre. Bien des objets jouxtent, dans les vitrines, les anciens : cette main aux ongles bleutées et qui signifie le don. En fait Gaëlle Choisne a multiplié les interventions, de grand, de moyenne mais surtout de modestes dimensions, et même les gestes minimaux (les jaculations) de telle sorte que l’hybridité ne soit point vain artifice mais que la symbiose demeure évidente entre les Collections et ses interventions objectales, qu’elle qualifie elle-même d’archéologie du futur. L’occasion de surcroît de découvrir une artiste que nous avions déjà repérée pour 100 artistes dans la ville et lors de la dernière biennale de Lyon. Terminons par cette bouteille de rhum, cassée et reconstituée comme on se constitue une identité nouvelle des débris du passé. Manière aussi de montrer que malgré les distances, spatiale et temporelle, les chemins du rhum peuvent faire escale à Rome et apparenté… BTN
Jusqu’au 1er mars, 390, route de Pérols, 0467997720