Cristine Guinamand, Chapelle du Quartier Haut, Sète

Cristine Guinamand, Chapelle du Quartier Haut, Sète

Cette Chapelle désaffectée, nichée dans un quartier populaire, est toute maculée encore d’un noir volcanique (de sœurs noires l’ont occupé) dont les artistes ont su s’accommoder, en particulier Cristine Guinamand, Enfer et contre tous. Cette dernière, qui incarne ce qui s’est produit de meilleur depuis que la Peinture est revenue en France au premier plan, a besoin de formats monumentaux pour s’exprimer. Ainsi le corps est-il certes ramené à ses limites foncières mais nous montre-t-il également combien il est capable de se surpasser et de marquer un territoire qui outrepasse sa zone de confort. D’une certaine façon, les œuvres de Cristine nous apprennent à nous dépasser, à dépasser notre condition humaine. De plus, on peut à la fois considérer le tout et la partie tout en évaluant la relativité de notre perception selon qu’elle vise l’ensemble ou le détail. Au demeurant, les motifs qu’elle aborde, je pense à celui de la forêt, avec ses aspects labyrinthiques et ses dangers ne s’accommoderaient pas de discrets tableautins donnant l’impression que l’être humain domine son sujet. Si l’acte de peindre suppose la pleine expansion d’une expérience mettant en scène l’expression d’une liberté totale, il va de soi que le grand, voire le très grand, format s’en trouve justifié (Liberté qui s’exprime dans cette Forêt renversée par ex, ou dans l’abandon du h de Christine, trop connoté). Tel est le cas, dans la Chapelle où Sous le soleil exactement dépasse largement les 6 mètres de long sur plus de 2 de hauteur, Perturbation aux chiens 6 m, L’Enfer 5 m, La Grande fougère 3 m, etc. La nef est donc fournie de quelques formats démesurés sachant que, pour parodier Matisse, 600 cm de peinture font plus d’effets sur nos sens que 25. Cette démesure a pour conséquence que le champ visuel s’égare, un peu comme l’enfant dans une forêt trop grande (tout paraît plus grand aux enfants). Sans doute cela permet-il à l’artiste de retrouver cette période enfouie en nous-mêmes où tout semblait à même de nous émerveiller (une fleur, un arbre, un animal, le soleil) ou au contraire de nous effrayer (Un œil géant, un hélicoptère – la taille y contribue). Sans parler de la proximité enfantine avec la terre, que retrouve l’artiste en peignant au sol. Car le monde est complexe, inquiétant, on s’y sent constamment surveillés, oppressés, et l’on peut s’y perdre aisément. L’aspect labyrinthique des grandes toiles de Cristine nous plonge dans ces inquiétudes primitives qui ne vont pas sans susciter quelque mystère existentiel. La genèse se fait dans la douleur du paradis perdu. Chaque toile, mêlant des éléments en apparence disparates (du concret et de l’abstrait, du gestuel et du figural, du précis et de l’indécis…) renvoie à l’univers du rêve, également envahi d’énigmes dont on sent bien qu’elles cachent des clés qui fourniraient un ordre rassurant. En la chapelle, c’est le chœur, avec sa mosaïque vouée à la paix au sol,  qui nous oriente vers l’une de ces clés. Il y est question d’yeux. Un tableau y suggère la présence de L’œil. C’est en effet cet organe, somme toute modeste, qui peut attribuer un ordre, et donc de la Beauté, à ce qui paraît chaotique et, tantôt édénique tantôt infernal, les deux d’ailleurs pouvant se combiner – toujours dans le gestuel. La forêt des suicidés, au pastel sec sur papier, de part et d’autres de L’œil central  fonctionne comme ces Jugements derniers que l’on trouve dans le chœur de certaines cathédrales. Dante et son Enfer y sont d’ailleurs sollicités. La kafkaïenne Colonie Pénitentaire apporte une précision qui résout, à la manière des surréalistes, les contraires. L’horreur s’y mêle à la Beauté, l’image de la mort à la vivacité de la Nature. La peinture de Cristine, d’origine rurale et pourtant si savante, témoigne de sa volonté de re-susciter la nature et de la réorganiser telle que l’imagine l’artiste : libre, dépendant d’un ordre caché mais réel, sauvage si possible tout en demeurant accessible aux êtres de bonne volonté qui savent la mériter, et ne demandant qu’à être domestiquée (la peinture montre la voie) pour peu qu’on la traite avec respect. Le recours à la toile libre, aux formes approximatives et aux couleurs franches et variées concourt à cette vision utopique et voyante, mais pas naïve, il s’en faut, d’un paradis peut-être perdu mais à retrouver. Vision lucide, au sens où la lumière peut y pénétrer. Sous le soleil exactement. Telle est la véritable clé de sa, de la, peinture qu’elle soumet à nos regards. Avec un petit clin d’œil à Sète, empreint de luxe, calme et volupté et qui invite au voyage Là-bas. Titre de l’expo. BTN

Du 14-02 au 16-03

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