Compte-rendu des Rencontres aléatoires #1

Qui a (encore) peur de la critique ?

Le premier volet des « Rencontres aléatoires » de l’AICA-France a réuni le mardi 16 avril 2019 au Onzième Lieu, à Paris, une multiplicité de profils. Critiques, pigistes, rédacteurs en chef, artistes, galeristes, collectionneurs et simples curieux ont échangé autour de la question : qui a (encore) peur de la critique ?

Dans une atmosphère conviviale et ouverte à tous, cette discussion a permis de réfléchir, avec une grande liberté de ton, au statut, au rôle, et à la place de la critique dans l’écosystème de l’art et de la culture, en France et à l’international.  

Du texte d’exposition à l’essai de catalogue, en passant par la revue, c’est en réalité une multitude de formats qui ont leurs propres challenges en termes d’écriture et de lectorat. La critique s’y loge par conséquent de manières différentes, elle peut être frontale ou implicite. Plutôt que de se percevoir comme une pratique du jugement, elle est un réservoir pour la pensée, un observateur de notre époque. C’est pourquoi, elle tend à s’éloigner de son rôle de législateur, n’ayant plus vocation-à, ni le désir-de, valider ou invalider les œuvres et les artistes du label « Art Contemporain ».

Paradoxalement, « c’est donc la critique qui semble avoir peur de la critique », et cela pour plusieurs raisons. Après avoir brossé les causes et les conséquences de ce qui apparaissait comme les symptômes d’une critique désabusée, la discussion a soulevé les enjeux à venir de la profession.

Si les artistes et les galeries ont besoin de la critique pour tenter de « légitimer » et de « valoriser » leurs œuvres auprès du marché, des collectionneurs et des institutions, les critiques serviraient à évaluer les œuvres, et à s’en faire le « traducteur » auprès d’un plus large public. Essentiellement positive, la critique serait ainsi devenue complaisante et se réduirait à un « outil de communication » ou de « promotion » (quel que soit son contenu ou la valeur de son jugement) venant gonfler les revues de presse.

La visée de la critique pose problème : peut-elle se contenter d’être la caisse de résonance des événements que relaient les agences de communication ? Doit-elle se limiter à la course aux actus ? Ou doit-elle tenter de mettre en lumière des artistes, des courants et des pratiques restés jusque-là « invisibles », restés à la marge du marché et des institutions ?

La critique ne saurait se limiter à ce rôle traditionnel de prescripteur ou de « passeur » de la culture. Il apparait chez certains critiques un sentiment de lassitude du format revue d’expositions, et le désir d’inventer autre chose, mais aussi de s’éloigner du calendrier des galeries pour revenir vers l’atelier.

Des liens de « compagnonnage » peuvent se tisser avec les artistes, afin de suivre l’évolution d’une carrière. Le critique peut aider l’artiste à faire accoucher, développer et préciser sa pensée, sa sensibilité, sa pratique… Ou à l’enrichir de points de vue et d’éléments de réflexion qui lui auraient échappé.

La question étant : à quel stade de maturation de son projet l’artiste ose-t-il s’ouvrir au point de vue d’un critique ? Quelle relation de confiance (et non de « crainte » ou de défiance) peut se nouer ?

La critique semble s’essouffler… Comme si la critique, censée détenir une autorité ou un jugement respecté, était devenue « désuète », voire inappropriée dans le contexte clivant dans lequel nous sommes

Mais quelles causes pourraient expliquer un tel « déclin de l’aura » de la critique ?

Elles sont multiples et attestent d’une crise profonde de notre société, du financement de la culture, ainsi que de la santé de la presse et de l’édition.

Des lignes éditoriales frileuses « censurent » les articles trop critiques, et les auteurs « s’autocensurent » dans leur jugement.

Le fonctionnement en « vase clos » de l’art contemporain pose problème : les annonceurs qui achètent de la publicité dans les revues (et leur permettent de survivre financièrement) sont les mêmes institutions qui verront leur programmation traitée dans les colonnes de ces publications, par des critiques qui ne se retrouvent plus libres de s’exprimer franchement.

On ne peut que se désoler de ce cercle vicieux enfreignant la liberté de la critique.

« L’indépendance du financement » des publications se situe au cœur du problème.

Les rémunérations trop faibles, les retards de paiement (plusieurs mois de délai), voire la gratuité des piges, ont été interrogés pour les supports papier et internet. Face à cette situation alarmante, l’AICA a revalorisé les recommandations tarifaires sur son site, afin de défendre le travail des critiques.

Le poids grandissant des agences de communication étouffe également la liberté de ton de la critique. Certaines agences n’hésitant pas à « faire pression », de façon tout à fait scandaleuse, pour obtenir des articles élogieux. Ainsi, la critique se fait le « relai » des stratégies de communication. Elle devient de plus en plus docile et « descriptive ».

Avec l’avènement des réseaux sociaux, des commentaires, des likes, et des fils d’actualités devenant des vitrines en ligne de l’art, la critique a-t-elle perdu de sa pertinence ? Tout le monde peut-il se revendiquer critique aujourd’hui, et partager son jugement ? Les influenceurs ont-ils remplacé les critiques ?

L’objet de la critique varie aussi : il semble se déplacer de l’œuvre et de l’exposition vers les modalités de fonctionnement et de gestion des institutions.

Le format même de la critique interroge : peut-elle se satisfaire de n’être qu’un « compte-rendu » ? Ou un simple « outil de visibilité » pour les artistes ?

Le dilemme se cristallise notamment autour des termes anglo-saxons « criticism » et « critique », oscillant entre journalisme culturel généraliste, et analyse critique à proprement parler.

Une issue (et un espoir ?) possible pour la critique reviendrait à créer elle-même le format de ses publications ; à renouveler son écriture, sa parole, sa manière d’appréciation d’une œuvre ou d’une exposition ; ou à revitaliser son rapport aux artistes. Toute une économie étant à repenser, il a été aussi question de trouver des mécènes ou résidences pour les critiques.

Les discussions se sont pour lors terminées en rappelant que la critique est également une question d’écriture, où la voix de l’auteur à toute son importance. Pour choisir ce métier, il faut ressentir une sorte d’élan vital comparable à ceux des artistes. Les mots ont leur prétexte que l’art que nous abordons n’a pas forcément. Ce n’est pas juste au service de l’art ou de l’artiste, ni même juste de l’accompagnement, ni même juste de la traduction, c’est créatif en soi.

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