Articles Février 2022

Suspensions, Post Performance etc., Carré d’art, Nîmes

Carré d’art se met à l’heure de la chorégraphie et de ce que la commissaire Marie de Brugerolle définit comme Post-Performance mais le musée n’en oublie pas pour autant la peinture ni la sculpture qui auront marqué le XXème siècle – dans sa composante féminine toutefois, sujet ô combien sensible par les temps qui courent. La vidéo envahit toute une aile du deuxième étage, sous forme de triptyque ou de polyptyque intermittents, différenciant les divers espaces et temps qui contextualisent des interventions corporelles en des lieux emblématiques de la ville de New York. Et aussi dans l’industrieux port de St Nazaire, flanqué de son majestueux pont. La chorégraphe y improvise des exercices, des rondes et des mouvements fortuits introduisant un art vivant, en mouvement dans des architectures gigantesques mais statiques, parfois en des décors plus intimistes. La troisième salle toutefois est consacrée à l’image murale issue de divers gestes fixés, en quasi noir et blanc, envahissant les murs. Ils jouxtent quelques concepts gravés dans le métal, dont les mots et lignes semblent danser sur leur support, devant quelques assemblages de bois récupérés et de feutre, se prêtant à interprétation, déplacement physique ou aire de repos. La caméra de Jocelyn Cottencin a ainsi suivi les pas et gestes orchestiques d’Emmanuelle Huynh, lui prêtant parfois main forte. La vidéo grand format se prête bien à cette confrontation des corps au gigantisme urbain ou à l’animation industrielle. La plupart des plans sont utilisés, du plus lointain au plus proche, de sorte que tous nos rapports corporels au monde environnat soient mis en scène et en espace. Un chauffeur de taxi et un architecte prêtent leur concours à l’intervention new yorkaise. Pour Post-Performance, où il s’agit d’étudier l’impact des Happening  sur les arts visuels, quatre artistes se partagent les espaces distincts du premier étage. La vidéo est ainsi associée, au dessin de rue, à la sculpture en buste avec pailles suçant le cerveau, à des images numériques, à des objets inattendus, issus du décor filmique et comme sortis de l’écran,  telle cette improbable chaise sur laquelle repose un pantin de buches ou à des pieds carrés. On a le choix entre le théâtre de marionnettes en campagne électorale (Rodney Mc Millian), l’animation angélique de personnages asexués et de couleur noire (Coleman Collins), le monde des pantins animés associé à celui de l’œil de l’animal porcin et à des chaussures trop lourdes (Anna Wittenberg), le voyage parmi nos ancêtres de la Préhistoire enfin, sur fond de scatologie voire de cannibalisme consentis (Nathaniel Mellors). Avec l’impression d’être inclus dans une histoire mise en images mais aussi en volume autour de nous. Des histoires de masques aussi car on est ici dans la représentation et la fiction. Et ceci jusqu’au 17 avril.

Changement radical d’ambiance pour l’autre aile du dernier étage où nous attend l’expo féminine intitulée Suspension, de plus en plus réduite en œuvre au fil du parcours. L’art contemporain n’en finit plus de réviser son Histoire à la lumière des oubliés, qu’il s’agisse des artistes femmes, des victimes de la colonisation ou simplement des pays émergents. Cela permet de réparer quelques injustices et parfois de relancer une production occidentale qui tend à s’essouffler. Les trois grandes salles dévolues à la Suspension étonnent par leur sobriété. Nous sommes accueillis par des œuvres minimales de l’allemande Charlotte Posenenske, matériaux et couleurs industrielles, modulables et même « complétables » à souhait. Certaines sont murales, en diptyques, car c’est le début d’une série. Mais la plus grande est installée au milieu de la salle, telle une sorte de conduit ou de cheminée de métal que l’on pourrait prolonger à son idée. Leur sont opposées trois sérigraphies de nues intimistes de la belge Lili Dujourie, sans doute une critique du voyeurisme patriarcal. Entre mur et sol une œuvre dénonçant l’impérialisme américain en matière de minimal art en y ajoutant une  touche personnelle de subjectivité poétique ou de sensibilité. La deuxième salle voit se confronter les grandes toiles aux formes souples, abstraites et sourdes, de l’américaine Suzan Frecon opposés aux minuscules paysages d’Etel Adnan, riches en harmonie de couleurs et pleins de spontanéité. Enfin dans la dernière salle une projection de Trisha Donnelly, toujours une américaine, occupe intégralement la salle plongée dans la pénombre et fonctionne telle une apparition. Elle est source de bien des interrogations quant aux enjeux formels, référentiels et visuels qui s’y déploient. On aura compris que ces artistes sont des sortes de pionnières auxquelles il fallait faire une petite place dans une Histoire déjà bien saturée de démarches et réalisations mais dominée par l’impérialisme mâle et occidental. Quant aux françaises… BTN

Jusqu’au 13 mars, Place de la maison carrée, 0466763570

 

Artiste Artisan, La Déconniatrie etc., aux Abattoirs de Toulouse

L’art que l’on dit de contemporain n’a de cesse que d’interroger sa légitimité, ses spécificités et ses marges à l’instar de la rédemption généralisée qui caractérise nos sociétés imparfaites et coupables. Ainsi s’enrichit-il de son autocritique ou de ses contradictions, et ses définitions s’en trouvent-elles élargies. Cette exposition qui rend hommage au galeriste et collectionneur,  récemment décédé, Daniel Cordier, en apporte une nouvelle preuve, qui rapproche, sans intention hiérarchique, des œuvres d’artistes célèbres ou en devenir, et des singularités surprenantes empruntés à l’artisanat de divers pays, qu’il s’agisse de l’extrême Orient, de l’Afrique noire ou de quelques contrées européennes dont la nôtre. A ceci s’ajoute les merveilles que nous fournit la nature si l’on sait la regarder d’un peu plus près. Voilà qui fustige quelque peu la vanité des divers egos surdimensionnés sévissant en général dans le milieu de l’art. Pour Cordier en effet l’art était en quelque sorte indivisible. Tout est affaire d’intention et- de conception. Un exemple parmi d’autres : une crémaillère japonaise de foyer ou une racine chinoise de rêve peuvent très bien jouxter des compositions savantes, davantage géométriques, toujours en bois, internationalement honorées, de Louise Nevelson. Une demi-gangue d’argile, fendue par les injures du temps trouver sa place entre la bicyclette arborant sa floraison de métaux récupérés de Richard Stankiewicz, les bottes de bois du Brésil de rivière de Nicolas Valabrègue ou les nœuds et épissures primitifs collectés naguère par Claude Viallat, entre ses filets à trame large ou ses assemblages de bois flottés. Dans les années 70, l’ancien conservateur François Mathey avait une première fois engagé ce genre de rapprochement fructueux et troublant et c’est Edith Raymond qui s’était chargée de l’affiche. On retrouve deux de ses patchworks, mêlant formes et lettres ,dans une tonalité rouge, pour cette nouvelle présentation qui sollicite divers artistes reconnus : le régional Jean-Michel Meurice, spécialiste des lignes inlassablement répétées, ou la protéiforme Sabine-Anne Deshais, l’allemande Katinka Bock dans une série sur des blocs de charbon, les pierres rêvées de Yolande Fièvre, les volumes en fil de bronze et cuivre signés Claire Falkenstein, ou un tirage argentique objectal de la sculptrice anglaise Becky Beasley. Tout cela partageant l’espace avec de multiples Anonymes composant une partie généreuse de la collection Cordier (de ballons en sièges d’accouchement, de meules dormantes en simples pinces, de portes en molettes, de nombreux pilons préhistoriques en bec d’espadon, de champignons en gouttières, ou de cloches en échelles…) et déposés aux Abattoirs… Louis cordier était sans doute un visionnaire, qui subodorait l’évolution de l’art tel qu’il nous apparaît aujourd’hui, moins élitiste et plus ouvert.

Dans un autre ordre d’idées mais toujours dans la volonté de brouiller les contours et frontières, les Abattoirs présentent jusqu’au 6 mars une exposition décapante baptisée la Déconniatrie, selon la définition du fameux psychiatre de St Alban Lumignole (Lozère), François Tosquelles, artisan de la création sans discrimination également. L’art brut des malades s’y mêle à l’art moderne ou plus récent, dans une volonté d’interroger le sentiment de l’exil lié à quelque  différence ou à l’impression d’être exclu de la vie sociale. A tous ces travaux, issus de la souffrance et de l’exutoire artistique, sont mêlés des œuvres de grands noms de l’Histoire : de Karen Appel à Yayoi Kasuma (obsédée par les ronds blancs sur fond rouge) en passant par Miro ou Brassaï, Dubuffet ou Fautrier, Agnès Martin ou le plus jeune Raphaël Barontini (cf. Musée de Lattes). Les écrivains ne sont pas en reste, dadaïstes ou surréalistes (Tzara, Eluard), inclassables inventeurs (Artaud dit le momo, Henri Michaux), sulfureux explorateurs des limites (Bataille), éminence grise hanté par le phénomène littéraire (Paulhan), théoricien de la décolonisation (Fanon), philosophe de l’exclusion (Foucault).

Rappelons aussi que, sur la Mezzanine sud, on peut encore découvrir 3 lauréats 2021 du prix des Amis des Abattoirs, que nous connaissons bien du côté de Montpellier : Maxime Sanchez (Vasistas, Panacée, Frac), Jimmy Richer (Boite noire, Frac, Panacée) et Naomie Maury (Biennale de Lyon…), laquelle vit à Sète mais est originaire de Montpellier. Le premier parvient à mêler techniques modernes de décoration à des activités ancestrales dans des sculptures empreintes d’étrange hybridité. Le second pratique plutôt le dessin mais conjugue la bande dessinée à des gravures ou illustrations bien antérieures dans des œuvres immersives et murales. La 3ème s’intéresse au phénomène prothétique et aux interdépendances des règnes ou espèces par rapport à l’humaine. Les trois sont bien dans l’air du temps dans leur questionnement sur un présent qui se nourrit des fictions du passé. BTN

Jusqu’au 5 mai, 7, allée Ch.de Fittes, 0534511060

 

Nouvel accrochage Collection, et autres expos, au Mrac de Sérignan (34)

Que le Mrac soit devenu le musée d’art contemporain le plus attachant de la région, nous sommes pas mal à le penser. Outre ses expos temporaires, il peut d’enorgueillir de sa fresque « Erroïque » externe, de ses Peinado en enseignes, et de ses Buren in vitro, si je puis dire. Mais surtout de ses collections, régulièrement enrichies (je pense récemment à Audrey Martin) et se rapprochant de 500 pièces et dont divers commissariats renouvèlent la présentation. C’est le cas pour cette année entière où il s’est agi de choisir diverses pièces de différentes générations et de les assortir afin d’en tirer un maximum d’effets de sens. Ainsi le vétéran Daniel Dezeuze, l’un des piliers de Supports-Surfaces, polarisé sur les ultimes et subtils avatars du châssis, se voit-il associé, à une artiste d’origine syrienne, Farah Attassi. Celle-ci est de deux générations plus jeune, et davantage tournée vers une figuration originale, qui n’exclut pas une géométrisation stylisée, sur toile, avec une économie évidente de couleurs et une division calculée de la surface. Des rapprochements audacieux assurent un dialogue entre les toiles pleines de sérénité gestuelle du dernier Messagier et la production mystique de l’allemande Andréa Buttner tournant en dérision, en gravure,  nos sales manipulations des nos sophistiqués I-phones, nec plus ultra de la technologie. Les sculptures en jambages héritières de toute une tradition moderniste de Come Mosta-Heirt se confrontent aux expériences plus « arte povera », sur la ruine ou l’archéologie, de Guillaume Leblon. On retrouve au passage des exposants récents du Mrac : Ulla Von Brandebourg et ses suspensions de tissus ou Isabelle Cornaro explorant le thème de la reproduction, de l’original et de sa copie. Des artistes très en vue tel Nicolas Daubanes et ses étagères de briques prêtes pour l’usage ; l’iconoclaste Anne-Lise Coste qui rend hommage « vibrant » à Pasolini ; les portraits gravés et selfies de Sylvain Fraysse. Yves Belorgey est présent avec ses immeubles anonymes en Erevan, Pierre Bismuth avec des slogans au néon, Wood et Harisson avec leur fameuse vidéo prise en plan aérien, voire divin, d’une cabine habitée, Matt Mullican avec ses dessins minimalistes de pièces vides à objet unique, Francisco Tropa avec sa série de plumes. Bref on a des tas de choses à découvrir ou redécouvrir, de la figuration narrative en film de Bernard Rancillac aux gravures de Markus Raetz en passant par les effusions lyriques, en tohu-bohu, d’une Renée Lévi trépidante. Terminons par ce chef d’ œuvre mi photo noir et blanc mi objet de la japonaise Masaki Nakayama, où le corps se plie à une géométrie tripartite de base. Et ce n’est pas tout… Olivier Vadrot nous accueille avec une sorte de théâtre démontable, en U et en bois, où restaurer un esprit de discussion démocratique, à l’attention d’une quarantaine de personnes. Dans le cabinet d’art graphique Valérie Du Chêné et Régis Pinault prennent prétexte  d’un de leurs films (sur Cerbère et son célèbre hôtel) pour transformer le lieu sombre en plateau de tournage, avec objets chargés de supplément d’âme, décors, affiches et wall drawing, sans parler des cibles ou des formes colorées issues d’un réel martyrisé.

Toutefois, ceux qui n’ont pas encore vu la mini-rétrospective, à l’étage, d’Anne et Patrick Poirier ont jusqu’au 20 mars pour se décider. On peut y découvrir, dans une scénographie impeccable et magistrale, quelques œuvres majeures du duo conjugal, à l’instar de l’immense maquette de l’Ostia antica, de la série de dessins du Purgatoire dantesque, ou encore de l’imposante croix penchée dans la pénombre brumeuse. Mais aussi des tas de documents d’époques, de notes et d’ouvrages, une valise emplie de cartes postales ou encore, dans un noir approprié, des ruines noires, escarpées et vertigineuses. Un voyage dans la mémoire antique et médiévale.

De même pour la fantastique exposition au sous-sol de Laurent le Deunff, lequel lorgne plutôt du côté de la préhistoire, et présente d’une part une sorte de caverne reconstituée, un véritable musée rempli de sculptures de petits, moyens et grands formats  (d’un chewing-gum en os sculpté à de fausses lourdes pierres en étagère, sans oublier un collier de dents, des sapins à chat ou une massue en ciment). Le tout sous le regard iconique de champignons souterrains bien adaptés à cette période humaine indécise. Et de l’autre une sorte d’aquarium d’où émergent un totem en hommage au castor, cet animal sculpteur que les premiers hommes ont dû bien observer avant de se mettre à œuvrer, mais aussi un crocodile, et des nœuds de trompes éléphantesques.

Comme on le voit, on peut passer plusieurs heures à visiter ce musée qui, en quelques années, s’est imposé comme un grand, et n’a pas fini de nous surprendre. BTN

Jusqu’à janvier juin 2023 sauf pour Vadrot et Du Chêné (juin 22), 146, av de la plage 0467178895

 

Souffler de son souffle, Fondation Van Gogh, Arles

Il est toujours fascinant de voir combien un artiste peut être perçu différemment selon les époques, et de constater sa capacité de renaître en permanence malgré le souffle du temps qui oriente l’Histoire dans de multiples directions. Tel est le cas de Van Gogh. Prenant pour prétexte la correspondance de Vincent, si essentielle avec son frère Théo, durant son séjour arlésien, les trois commissaires, féminines, de cette exposition ont rassemblé les œuvres de 26 artistes, dont le rapport au souffle, riche en interprétations diverses pouvait donner lieux à de multiples rapprochements. A commencer par les diverses toiles libres de la sud-américaine Vivian Suter, soumises aux injures du vent et du plein air (Vincent souffrit tant du mistral !) et qui prennent la figure de pénétrables, d’où observer quelques tableaux muraux ou suspendus. Le Sonneur, de Jean-Marie Appriou, semble nous engager à la visite, un peu comme un berger qui aurait retenu les leçons du flûtiste de Hamelin. Passé ce hall, qui donne le ton au thème, on est confrontés à bon nombre de petites pièces majeures avant de rejoindre le précieux graal, une toile de Van Gogh, modeste au demeurant, et célébrant le léger et coloré papillon, sur fond de fleurs et de baies, alors que le hollandais du sud vit l’une des périodes des plus sombres de sa vie. Dans la plus authentique pièce de l’ancien hôtel, il jouxte deux dessins aériens de Giussepe Penone, transfuge de l’Arte Povera, explorateur de la Nature, dont on pourra voir plus loin une formidable installation. Mais dès la première salle, d’autres surprises nous attendent : L’italien Piero Manzoni, prématurément disparu, ne pouvait manquer à l’appel lui qui rendit concret, dans les années 60, son Fiato d’artista, ou qui, dans son Corpo d’aria, s’appliqua à emplir d’air un ballon. Le corpo est accompagné des deux temps qui rythment la respiration, de Vito Acconci (lequel joue avec des effets de cadrage), puis du fameux baiser en noir et blanc  à couper le souffle de Marina Abramovic et de son compagnon Ulay, tandis que flotte dans l’espace la voile bleue ventilée, conçue par Hans Haacke. On s’étonne de retrouver aussi l’art informel d’un grand peintre intimiste abstrait, Wols, à la carrière trop brève – au fond à l’instar de Van Gogh, – ses Tête, Grenade, ou Turquoise qui semblent en effet conçus selon les règles organiques d’une subite inspiration. Et puis, il y a la magie picturale des toiles d’une Tracey Emin, dans le style agressif et fortement sexualisé qui a assis sa réputation. Tout cela, ce résumé de l’Histoire de l’art en une seule salle… La deuxième associe, Rebecca Horn et sa petite sirène en plumes, ou les toiles tachistes et liquides de Vivian Springford (1913-2003), toutes en corolles et color-field,  qui semblent en avance sur notre temps, et les tableaux légers, tout en discrétion, de Markus Döbeli (œuvres de 2015-2020). Avant d’approcher le précieux Van Gogh on notera les slogans affichés d’Asger Jorn, sousmis à la tourmente révolutionnaire de 68, tout comme les Mickey de Joyce Pensato (décédée en 2019) et les formes in-photographiables de Jutta Koether, dont une récente. On aura compris que l’expo mêle les générations, les morts et les vivants, les anciens et les plus jeunes. On redécouvre ensuite les dernières œuvres d’Hartung, au pistolet, très spontanées et jaculatoires. Comme si jusqu’à la fin le véritable artiste ne pouvait vivre sans sa peinture quotidienne. On transite par les tableaux épais, très inspirés du maître, de Frank Bowling, très épaisse et en référence aux Tournesols, puis on change d’étage après avoir regardé la fascinante vidéo Anticoncept de Gil J Wolman sur ballon sonde, avec cadences respiratoires pour fond. On retrouve alors Vivian Sutter, dans une relation plus intime encore qu’à l’entrée, les dessins d’arbres du botaniste Francis Hallé, avant de se rappeler combien Hokusaï et l’art japonais en général ont pu interpeller et nourrir le curieux Vincent. Penone ensuite nous attend, qui ne manque pas d’air : son installation de verre teinté en forme d’ongle, sur tapis de laurier-sauce, qu’un souffle léger suffirait à disperser, fait face à un travail corporel d’une artiste extrêmement jeune Chloé Vanderstraeten, et ses papiers découpés autour de sa personne et redressés sur le mur. Enfin, l’exposition s’achève devant les travaux gravés  sur verre de Carlotta Bailly Borg, tout en érotisme grotesque et outré et inversement devant les photogrammes de la roumaine Andra Ursuta, sur velours, quasi-pictural, une réflexion sur le passage de la mort en attendant un nouveau souffle. Le mot de la fin est laissé au son, dans le vide et le noir en la personne de Kristin Oppenheim. Evidemment chaque œuvre doit être mise en perspective par rapport à la thématique du souffle mais on soulignera le choix de faire appel à différentes tendances majeures de l’art contemporain, qu’il s’agisse de l’art informel ou de l’art abstrait, de l’Arte povera ou de l’art corporel, l’art conceptuel ou Cobra, les performers et vidéastes… Pour ne point parler des différentes origines. Une exposition fort riche en découvertes et relectures. Et qui montre la vitalité de la ville d’Arles, à laquelle l’incompris Van Gogh n’est évidemment pas étranger…  BTN

Jusqu’au 1er mai, 35, rue du Dr Fanton, 0490930808

 

4à4, au Musée Paul Valéry, Sète 34200

Fort de ses collections et de ses documents relatifs au grand poète, le Musée Paul Valéry fait partie de ces lieux qui n’hésitent pas à mettre à l’honneur, régulièrement, les artistes locaux, et Dieu sait si la ville singulière n’en manque pas. Ainsi trouvera-t-on dans cette nouvelle exposition deux résidents de ce port voué en particulier au commerce et qui entretient des relations privilégiées avec le pays dont sont originaires deux des sétois d’adoption de ce nouveau 4×4, Nissrine Seffar et Alain Campos : le Maroc. La première l’a quitté pour amorcer sa carrière d’artiste, laquelle se singularise d’abord par son intérêt douloureux pour les lieux de mémoire (Guernica, le camp de Rivesaltes, Oradour), ensuite par sa technique un peu particulière qui consiste en des prélèvements de sol, redressés sur le plan de la toile. Pour Guernica, elle s’est en particulier intéressée, en grand format, à l’arbre symbolique, victime des bombardements, et a structuré sa toile autour de sa frondaison verdoyante, qu’elle conjugue à des triangles plus sombres, inspirés de la toile de Picasso. Pour Rivesaltes, outre des photos et des tables de documents, elle revisite au dessin sur plâtre, en petit format, les baraquements en ruines, comme s’il s’agissait de s’approprier l’Histoire afin de commencer à la corriger. Cet usage du plâtre connote une possibilité de réparation, alors qu’inversement la grille évoque l’enfermement. De même le feu intervient dans son bagage technique et formel, pour sa valeur à la fois destructrice mais également mnémonique, Pour Oradour, elle a réalisé un triptyque où se conjuguent des spectres de victimes et des croix maternelles, tendues au moment ultime de l’incendie criminel, sur couleurs vibrantes et géométrie implaccabmle. Engagée, la pratique de Nissirine Seffar n’en demeure pas moins esthétique dans sa capacité d’harmoniser intention et matière. D’où ces tripes en plâtre qui reviennent régulièrement dans ses volumes. Alain Campos est demeuré fidèle à une figuration personnelle, dans laquelle la figure humaine s’offre la part du lion. Le fond n’est en général pas défini par souci justement de la laisser s’exprimer et d’occuper toute sa place à l’intérieur du tableau. Les couleurs sont de préférence sombres et sourdes comme si l’artiste avait quelque chose de dramatique à nous révéler. On sent toute une métaphysique de la condition humaine s’imposer à notre esprit. Dans certaines toiles récentes, Campos s’intéresse de plus près à la confrontation de l’homme éternel avec les outils et théories de pointe, que la technologie a mis à sa disposition, et qui finissent non seulement par l’envahir mais par l’encercler ou l’étouffer. En ce sens on peut dire que sa peinture également, au-delà de ses qualités plastiques, aurait quelque chose à nous révéler sur le rapport de l’artiste au monde. Les deux autres artistes permettent d’ouvrir cette ville portuaire par essence accueillante à deux pays que l’on pourrait qualifier de mythiques : l’Italie, l’un des berceaux de notre civilisation, et la Chine dont on ne finit pas de découvrir les merveilles du passé, l’essor au présent et la possible suprématie à venir. Aroldo Governateri a une longue expérience de peintre derrière lui. Il consacre trois séries à la terre italienne, telle que les éruptions volcaniques l’ont façonnée. Il pratique la technique ancestrale de la tempera, sur ses toiles, où le paysage semble dominé par les couleurs de la terre en feu, sans présence humaine régulière comme si on était revenu aux origines épiques du chaos et des chamboulements divins. La dérive des continents, les voix profondes de nos origines semblent d’ailleurs le hanter. Il recourt également au cinabre afin de solliciter notre imaginaire hanté de récits merveilleux, tel celui de la reine de Saba. Toutefois, son style, estompé, laisse une grande liberté de perception au regardeur, sollicitant même son imaginaire. Enfin Zhang Hong Mei est une artiste à découvrir. D’abord parce qu’elle nous amène à voyager dans une tradition (celle du papier découpé) revisitée par les artistes contemporains, pour ce qui la concerne, sur le tissu ; ensuite parce qu’elle associe cette tradition à des sujets modernes qu’elle imprime dans des couleurs violentes rendant compte de la vie en ville tentaculaire et de la rapidité des transformations urbaines. Enfin parce qu’elle propose également une impressionnante série de personnages, des mannequins recouverts de textiles et adhésifs, inspirés des figures humaines de l’armée de Xi’An, et traduisant nos réserves et angoisses en ces périodes de troubles tous azimuts. Comme on le voit ; chacun des artistes se sent concerné par son adhésion au monde. Dans ses crispations actuelles comme dans ses maux précédents, dans ses manifestations contemporaines comme dans ses origines. C’est la raison d’être de leur rassemblement. BTN

Jusqu’au 8-5, 148, av. F. Desnoyer, 0499047616

 

 

Jacques Tison, Espace Ecureuil, Toulouse

Ce qui frappe d’emblée, dans les œuvres de Jacques Tillon, c’est l’absence de silhouette humaine ce qui ne veut pas dire que l’humanité en est absente. Ses toiles cèdent trop de place à l’architecture pour laisser planer quelque doute à ce sujet. Autre objet d’étonnement : l’importance accordée au blanc de la surface ou si l’on préfère au vide qui entoure les motifs, d’un véritable halo d’immatérialité. Car pour Jacques Tison chaque tableau dévoile une fiction. Tout se passe comme si, de la page blanche, surgissaient des images émanant non de l’imaginaire mais du réel, qui nous en fournit à foison sauf qu’il nous faut du temps avant de nous les approprier. Or, comment éviter, même dans le Tarn et Garonne où il vit à présent, la confrontation quotidienne à des bâtiments, des entrepôts, des gravières ou même à des images issues d’un autre monde, je pense au Groenland. Le peintre les traite de manière allusive et géométrique, avec une économie de moyens évidente notamment dans les couleurs. L’image surgit du vide et propose tout un faisceau d’interprétation qui sollicite d’une part nos capacités narratives, et donc fictives, de l’autre une métaphysique de la condition humaine telle qu’elle est suggérée dans ces habitats fantômes. Dans les tableaux de Jacques Tison, le vide fait le plein et c’est ce sentiment qui domine pour cette exposition dans l’espace Ecureuil où il ne s’est pas contenté d’accrocher ses quarante œuvres aux murs. Il a multiplié les toiles blanches posées sur des plots et même peint un mur tout blanc. C’est dire s’il veut amener le visiteur à partager ce sentiment du vide dont nous avons tant besoin aujourd’hui où nous sommes envahis d’objets et d’images, et où les zones industrielles, ou commerciales, obsédantes de monotonie, viennent effacer les quelques ilots de nature qui séparent deux villes. Jacques Tison accorde à ses paysages naturels, encore épargnés par l’invasion humaine et urbaine, un droit à l’existence qu’on leur concède volontiers même si la nature est également dessinée par les activités agricoles ou forestières. En fait, dans ses toiles si avides de vide, le peintre ranime cette nostalgie d’un monde plus simple, un peu comme Rothko a besoin de ses bichromes pour oublier les rues géométriques et l’intensité du trafic newyorkais. Chez lui, le dessin et donc le motif, surgit de la toile plutôt qu’on ne l’y applique de l’extérieur. Le tableau demeure une surface bidimensionnelle et c’est au spectateur d’y ajouter d’autres dimensions, de son côté à lui. Il y a quelque chose de phénoménologique dans cette démarche qui nous amène à considérer le réel en creux, à partir du vide et de l’absence. Et c’est sans doute à partir de ce vide que l’artiste entend propager cette « intranquillité » qu’il emprunte à Pessoa et qui lui fait dire que la fiction le suit comme une ombre. Et nous suivons cette fiction. BTN

Jusqu’au 26-3, 3, place du Capitole, 0615373492.

 

 

Max Hooper Schneider, Panacée, Montpellier

Les expos collectives permettent de se familiariser avec la production de chaque artiste mais les orientations des commissaires font que le point de vue adopté, et le choix ponctuel, faussent quelque peu l’interprétation. Une monographie, en l’occurrence celle de Max Hooper Schneider (déjà repéré dans son film d’animation pour Permafrost, en cette même Panacée),  nous fait davantage pénétrer dans l’univers cohérent et particulier que suppose une œuvre, surtout quand elle n’est pas encore trop célèbre, du moins de ce côté-ci de l’Atlantique. Les dimensions de l’ancienne faculté de droit favorisent cette possibilité, surtout quand l’artiste a besoin d’espace. Pour cette fin d’hiver, il s’agit d’un américain, de formation scientifique, converti aux activités artistiques, et ayant mis celui-ci au service des grandes réflexions écologistes qui caractérisent si bien les principales préoccupations des mentalités d’aujourd’hui. En témoignent des installations géantes en forme de compositions végétales, dans des terrariums généreux, très hétéroclites et denses, on pourrait même dire luxuriantes sauf que s’y mêlent des tas d’objets de rebuts du quotidien. Car c’est sans doute la grande question des décennies à venir : dans quel monde l’humanité vivra-t-elle ? Le titre de cette exposition annonce le programme « Pourrir dans un monde libre », emprunté à un groupe dit de  « metal », on a les références qu’on peut et la hiérarchisation semble la bête noire de l’artiste. Cela semble signifier que l’on ne pourra recouvrer notre liberté qu’à condition d’assumer notre pourriture ou si l’on préfère de prendre conscience de la déliquescence du monde actuel, que nous laissons à nos successeurs. Le résultat est en général spectaculaire et comme on dit à présent, immersif. Ne dédaignant pas le recours à la technologie, l’artiste privilégie en général la maquette (impliquant un train par ex), l’aquarium, avec ou sans espèce vivante, mais avec force détritus, ou encore l’îlot végétal selon les principes de ces écosystèmes hantés par la question de l’anthropocène – on ne peut pas dire plus idéologiquement marqué. Parmi ses œuvre les plus connues, un lamantin mécanisé qui semble surgir de câbles colorés, une maison de poupée quelque peu modifiée on s’en doute, des « plasmovoïdes » contenant un embryon en verre, des « rizhosphères » en suspension ou au sol, avec force quincaillerie et armature d’acier, enfin une vitrine avec piquants de porc-épic et griffes d’alligator… La forme « contenante » semble essentielle pour délimiter l’exubérance et l’hétérogénéité des contenus. Ceux-ci peuvent varier du minéral au végétal en passant par l’animal, de l’organique au plastique et à l’artificiel en passant par les divers objets produits par notre société sur-industrialisée et sur-consommatrice ou par des productions culturelles. La figure humaine est en général absente, sauf à se confondre avec une statue. Elle n’est déjà que trop présente dans l’Histoire et ce qui intéresse c’est ses effets et son empreinte sur le reste, notre planète précisément. On nous annonce des œuvres anciennes et une dizaine de récentes. Des tas de matériaux à qui donner une nouvelle vie (fossiles, résine, algues, néon, poupées…). Des titres incroyables (Eocène Epizoom, Dammaged by miracles…). Largement de quoi s’immerger dans cette œuvre… immersive… BTN

Du 12 -02 au 14-04, 14, rue école de pharmacie,  0499582800

 

Claude Viallat, Fondation Hélénis, Hôtel Richer de Belleval

Après Jim Dine et ses coeurs, sous le plafond duquel on doit passer pour accéder à la salle d’expo temporaire, c’est donc l’artiste le plus emblématique de notre région (avec Combas et Soulages) qui est ainsi convié en ce magnifique lieu qui renaît de ses cendres, en plein centre de l’ancienne ville médiévale. Ceux qui ne connaissent que vaguement Viallat pour la répétition d’une forme, qui lui est propre, et qui finit par devenir en quelque sorte sa signature, seront surpris de la manière dont elle a évolué au cours des années. Cela fait belle lurette qu’elle s’est émancipée de la toile libre pour envahir des supports divers, plus ou moins empruntés à l’univers de l’ameublement. Qu’elle s’est pliée à des formats de toute dimension. Qu’elle se fait parfois discrète au point qu’il nous faut la restituer mentalement. Qu’elle se soumet à la division des surfaces voulues ou récupérées par l’artiste. Qu’elle s’inscrit dans tout un bataillon de couleurs qui réagissent en fonction desdites textures et surfaces. Qu’elle accorde à présent une place prépondérante aux contreformes qu’elle produit en contrepoint. Qu’elle se complique souvent d’un cerne. Qu’elle s’accommode de divers objets trouvés qui peuvent passer pour des avatars de châssis ou du pinceau. Qu’elle se soumet à la suspension, à la torsion, à l’équilibre. Que les contours sont parfois indécis, déchiré, brutalement interrompu… Que la matière picturale s’est fluidifiée avec le temps tout en se montrant généreuse. Bref ceux qui se font une idée assez simpliste de l’art de Claude Viallat risquent d’en prendre plein les yeux, plein les préjugés et plein leur ignorance. Ceux qui connaissent scruteront la nouveauté, toujours prompte à surgir de son imagination matérielle, si subtile et jamais prise en défaut. En l’occurrence, il sera intéressant de voir comment l’artiste a géré l’introduction de ses diverses pièces dans un hôtel du XVIIème aussi connoté et qui s’honore de ses œuvres d’art du passé comme du présent (Benchamma, Mocquet, Fabre…). Viallat y présentera certes quelques pièces plus ou moins attendus ou classiques dans des formats plus ou moins imposants et avec une grande sobriété d’intervention régulière et symétrique selon le principe qu’il a mis en place depuis plus de 50 ans. Ce procédé lui permet de se concentrer sur les principes matériels inhérents à sa pratique plutôt que sur « l’inspiration » ou sur la composition (fournie par un pochoir déterminant les distances d’une forme à l’autre).. Mais aussi beaucoup d’assemblages de tissus, souvent en triptyque, disposés à l’horizontale mais aussi à la verticale. Ces rapprochements vont de pair avec la sédimentation des époques que demeure un habitat qui a traversé divers siècles et s’est donc enrichi de divers styles. On notera de temps à autre l’introduction d’un cintre. Un hôtel et un lieu qui fourmille d’objets hétéroclites à foison et Viallat n’a pas lésiné sur le nombre de pièces différentes qu’il entend bien exposer. Des lés, des pièces de tissus où la forme est bien présente mais en nombre limité, parfois unique. Cela renoue avec les premières œuvres de Viallat et ajoute une dimension ludique. Le support se suffit parfois à lui-même. Et puis, pour ceux qui ne connaissent pas certains aspects moins connus de son travail, on relèvera la présence de volumes, assez fragiles, bois et cordes essentiellement dans lesquels certains devineront des avatars du châssis et de la trame de la toile, d’autres certains gestes ancestraux de cueillette ou de nouage. Ce genre d’œuvre pourrait détoner par rapport à l’élégance rénovée du lieu, so opulence passée et présente, et Viallat n’a jamais dédaigné le décalage distancié. Il a conservé, malgré la reconnaissance, un caractère rebelle et un évident sens de l’humour. Ses tissus, temporaires qui plus est, c’est la petite touche apportée à l’ameublement si raffiné des lieux. Une touche populaire, et même naturelle, lorsque l’on réalise d’où l’artiste récupère ses supports. BTN

Jusqu’au 30 mai, Place de la Canourgue, 0499661821

 

COLLECTIon COLLECTIve, ACMCM (Perpignan).

La morte saison est l’occasion pour certains lieux de faire le point, de puiser en l’occurrence dans le riche et récent passé et d’honorer la mémoire des disparus. On pense à Vincent Madramany en grande partie responsable de l’impressionnante collection acquise par l’association. On y retrouve en effet la plupart des artistes qui se sont confrontés à cet immense ancien garage voué depuis des années maintenant à l’art contemporain, dans sa composante picturale essentiellement. Un bon tiers des artistes sont français, un deuxième tiers étant consacré à la péninsule ibérique, l’intérêt étant de créer une dynamique entre les deux pays, Perpignan occupant une zone stratégique car frontalière. Enfin, des artistes, venus de toute l’Europe sont venus compléter le tableau, si je puis dire. Nous sommes gâtés, dans la région, puisque ACMCM a consacré ses premières expos à des régionaux : notre incontournable Viallat et son traitement répétitif de la surface colorée ; l’alésien Jean Le Gac et sa science volontairement désuète de l’image du Peintre amateur, ou encore Dominique Gauthier qui excelle dans la conquête géométrique, baroque, haute en couleur du grand format, de préférence carré. On peut y ajouter le perpignanais Serge Fauchier et ses jeux de formes colorés se déclinant sans lassitude sur la toile, Mohamed Lekleti, à la figuration si particulière frisant le fantastique, ou encore Francesca Caruana et son curieux igname bleu emprunté à la culture kanac (Recto/Octer). Ajoutons-y l’abstraction radicale d’un Georges Ayats. Mais ACMCM c’est aussi la figuration narrative, d’un Valério Adami, l’inquiétante étrangeté d’un Vincent Corpet, le caractère iconoclaste, mouvementé, dynamique de Stéphan Pencréac’h. C’est également Ben que l’on ne présente plus, ou la relecture classique de la figure opérée par Axel Pahlavi, originaire de l’Iran. Ou de Florence Obrecht, laquelle poursuit la tradition des figures ambivalentes de clowns… Mais ce qui aura singularisé ACMCM, depuis bon nombre d’années, c’est que ce lieu d’art nous aura permis de découvrir des artistes espagnols, essentiellement valencinois, peu montrés du côté de notre scène artistique. Je pense à la géométrie extrêmement sophistiquée de Javier Chapa, au traitement si particulier de la figure humaine d’Artur Heras ou au dessin minutieux d’un Manuel Boix, ou de Marco Carrasquer, le néoréalisme reconnu de Raphael Armengol. Il y a aussi les âmes noires de Chema Lopez, les portraits noir et blanc, en très gros plan, de Santiago Idanez, les séries d’Adria Pina, les végétaux approchés par le jeune Esrnesto Casero. Côté féminin, les architectures solitaires de Tania Blanco ou l’utilisation inquiétante de la lumière colorée effaçant les protagonistes solitaires de Carolina Ferrer, le réalisme figurale spéculatif de Mary Sales. Josep Guinovart représente enfin la Catalogne barcelonaise. Passons à l’Europe…  Le suisse Till Ribus est en train de s’imposer comme l’un des maîtres de la nature morte ou de la peinture d’intérieur totalement renouvelée. La présence des mondes fabuleux de Rosa Loy ou de Simon Pasieka dans leurs tableaux, ou de l’abstraite Claudia Busching, dans l’espace, montre que ce lieu d’art s’ouvre à la fructueuse Allemagne. Ou à l’Italie de Camila Adami. A la Croatie avec cet incroyable et grouillant dessinateur qu’est Davor Vrankik. Les portraits de l’anglais Tony Bevan. Et bien évidemment aux Pays Bas de feu Lucebert, transfuge de Cobra. Tout comme Pat Andréa, considéré comme l’un des figuratifs les plus originaux de son temps Le commissaire a voulu subdiviser les choix effectués dans cette collection en trois classes : l’une dévolue à la mémoire, une autre à la fiction et une dernière à l’identité. Ces catégories sont suffisamment souples et plastiques pour fédérer tout un panel éloquent d’artistes, et même pour définir une esthétique, dont on comprendra qu’elle est surtout portée sur l’expression picturale de la figure, ce qui n’exclut en rien un grand intérêt pour les effets matérialistes de la couleur et un certain penchant pour le dessin magistral. 35 artistes le prouvent. BTN

Jusqu’au 17 mars, 3, rue Grande Bretagne, 0468341435

 

Alexandra Bircken/Bianca Bondi au Crac de Sète

En choisissant cette allemande (Alexandra Bircken) et cette sud-africaine installée à Paris (Bianca Bondi), le Crac participe de cette tendance générale qui veut que les femmes-artistes occupent une place de plus en plus prépondérante dans la création artistique et le marché de l’art actuels. Il faut dire que les deux se singularisent par une identité forte, rapidement identifiable dès lors que l’on s’intéresse de près à la création contemporaine. Alexandra Birchen articule sa production autour de la peau qui enveloppe tout le corps, nous sert de frontière avec l’extérieur, nous rend si vulnérable et au fond nous permet d’avoir une image de nous-mêmes distincte du chaos. Ainsi trouvera-t-on dans ses installations d’une part des combinaisons qui épousent la forme du corps dans ses multiples modelés, tendus sur socle ou abandonnés sur le sol, d’autre part des mannequins sans tête mais couverts de cette seconde peau que constitue un vêtement, en enfilade comme pour un défilé de mode, souvent soumis aux cicatrices des coutures quand les tissus sont parcellisés. Par ailleurs, Alexandra Birchen s’intéresse aux extensions du corps que sont les armes et les engins roulants sur deux roues, symboles évidents du pouvoir et de la puissance plus ou moins virile. Elle les expose en général sous forme d’objets sculpturaux soit en les coupant en deux parties égales, ce qui permet d’en divulguer les beautés, techniques, cachées, l’étrange charme des viscères mécaniques. Ou bien, en ce qui concerne les armes, de manière à en révéler l’esthétique géométrique, une fois privée de sa force létale au bénéfice de sa magnificence plastique mise au mur. Alexandra Bircken pratique en général l’installation. Les vêtements de motards sont posés sur des socles de diverses formes qui mettent en valeur les effets décoratifs, colorés et formels. Elle alterne les pièces au ras du sol et les formes obusières, parfois gigantesques et verticales, avec ces volumes intermédiaires que sont les peaux animales retravaillées par l’homme et fixées sur socle à claire-voie. Dans ce monde violent et déshumanisé, son œuvre nous ramène à l’essentiel, qui nous protège à notre insu, malgré sa fragilité : notre peau, à sauver, tant que le clonage et la robotisation ne dominent pas le monde de leur puissance aveugle.

Bianca Bondi serait plutôt une alchimiste, instinctive, des temps modernes, qui s’appuie sur la capacité de certains matériaux à se transformer, à se combiner, à réagir les uns aux autres. On l’a vu souvent transformer une chambre ou une cuisine en territoire d’exploration pour des végétations résistantes, des zones aqueuses colorées par la matière ou des solutions chimiques. A la biennale Lyon, une cantine de l’ancienne usine était soumise aux assauts du sel, l’un de ses matériaux de prédilection  pour sa capacité à protéger ou conserver mais aussi à corroder. A la Vassivière, le sel recouvrait les meubles d’un salon. L’artiste est résolument impliquée dans le sentiment d’urgence écologique qui caractérise les nouvelles générations. La montée des océans, les taux de microplastique présent dans les étendues maritimes, la disparition de la nature concurrencée par l’artificiel, la concernent, la préoccupent et alimentent sa réflexion et son travail. A cela, Bianca Bondi ajoute l’odeur et le son ce qui fait que son œuvre s’adresse aux sens principaux, le toucher se faisant mental de notre part qui envisageons son processus, manuel, de  fabrication. Les interventions de cette artiste sont en général spectaculaires mais troublantes, quelque peu fantomatiques, avec une dominante blanche, indécise. Elle recourt à la vitrine, à l’emballage plastique, pour concevoir des sortes de natures mortes ou de vanités, dans des œuvres qui peuvent s’avérer murales. On y retrouve des fleurs séchées, des restes animaux, des coraux, des livres et beaucoup de vaisselle, chinée dans divers pays… La végétation et les plantes médicinales sont aussi omniprésentes puisqu’elles peuvent guérir mais parfois aussi empoisonner. Avec ces deux artistes, on, peut être sûr que l’espace volumineux du Crac sera utilisé à bon escient et que l’on n’aura sans doute pas le sentiment du vide… dont la nature a horreur… BTN

Du 12-3 au 22-5, 26, quai aspirant Herber, 0467749437

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Suspensions, Post Performance etc., Carré d’art, Nîmes

Carré d’art se met à l’heure de la chorégraphie et de ce que la commissaire Marie de Brugerolle définit comme Post-Performance mais le musée n’en oublie pas pour autant la peinture ni la sculpture qui auront marqué le XXème siècle – dans sa composante féminine toutefois, sujet ô combien sensible par les temps qui courent. La vidéo envahit toute une aile du deuxième étage, sous forme de triptyque ou de polyptyque intermittents, différenciant les divers espaces et temps qui contextualisent des interventions corporelles en des lieux emblématiques de la ville de New York. Et aussi dans l’industrieux port de St Nazaire, flanqué de son majestueux pont. La chorégraphe y improvise des exercices, des rondes et des mouvements fortuits introduisant un art vivant, en mouvement dans des architectures gigantesques mais statiques, parfois en des décors plus intimistes. La troisième salle toutefois est consacrée à l’image murale issue de divers gestes fixés, en quasi noir et blanc, envahissant les murs. Ils jouxtent quelques concepts gravés dans le métal, dont les mots et lignes semblent danser sur leur support, devant quelques assemblages de bois récupérés et de feutre, se prêtant à interprétation, déplacement physique ou aire de repos. La caméra de Jocelyn Cottencin a ainsi suivi les pas et gestes orchestiques d’Emmanuelle Huynh, lui prêtant parfois main forte. La vidéo grand format se prête bien à cette confrontation des corps au gigantisme urbain ou à l’animation industrielle. La plupart des plans sont utilisés, du plus lointain au plus proche, de sorte que tous nos rapports corporels au monde environnat soient mis en scène et en espace. Un chauffeur de taxi et un architecte prêtent leur concours à l’intervention new yorkaise. Pour Post-Performance, où il s’agit d’étudier l’impact des Happening  sur les arts visuels, quatre artistes se partagent les espaces distincts du premier étage. La vidéo est ainsi associée, au dessin de rue, à la sculpture en buste avec pailles suçant le cerveau, à des images numériques, à des objets inattendus, issus du décor filmique et comme sortis de l’écran,  telle cette improbable chaise sur laquelle repose un pantin de buches ou à des pieds carrés. On a le choix entre le théâtre de marionnettes en campagne électorale (Rodney Mc Millian), l’animation angélique de personnages asexués et de couleur noire (Coleman Collins), le monde des pantins animés associé à celui de l’œil de l’animal porcin et à des chaussures trop lourdes (Anna Wittenberg), le voyage parmi nos ancêtres de la Préhistoire enfin, sur fond de scatologie voire de cannibalisme consentis (Nathaniel Mellors). Avec l’impression d’être inclus dans une histoire mise en images mais aussi en volume autour de nous. Des histoires de masques aussi car on est ici dans la représentation et la fiction. Et ceci jusqu’au 17 avril.

Changement radical d’ambiance pour l’autre aile du dernier étage où nous attend l’expo féminine intitulée Suspension, de plus en plus réduite en œuvre au fil du parcours. L’art contemporain n’en finit plus de réviser son Histoire à la lumière des oubliés, qu’il s’agisse des artistes femmes, des victimes de la colonisation ou simplement des pays émergents. Cela permet de réparer quelques injustices et parfois de relancer une production occidentale qui tend à s’essouffler. Les trois grandes salles dévolues à la Suspension étonnent par leur sobriété. Nous sommes accueillis par des œuvres minimales de l’allemande Charlotte Posenenske, matériaux et couleurs industrielles, modulables et même « complétables » à souhait. Certaines sont murales, en diptyques, car c’est le début d’une série. Mais la plus grande est installée au milieu de la salle, telle une sorte de conduit ou de cheminée de métal que l’on pourrait prolonger à son idée. Leur sont opposées trois sérigraphies de nues intimistes de la belge Lili Dujourie, sans doute une critique du voyeurisme patriarcal. Entre mur et sol une œuvre dénonçant l’impérialisme américain en matière de minimal art en y ajoutant une  touche personnelle de subjectivité poétique ou de sensibilité. La deuxième salle voit se confronter les grandes toiles aux formes souples, abstraites et sourdes, de l’américaine Suzan Frecon opposés aux minuscules paysages d’Etel Adnan, riches en harmonie de couleurs et pleins de spontanéité. Enfin dans la dernière salle une projection de Trisha Donnelly, toujours une américaine, occupe intégralement la salle plongée dans la pénombre et fonctionne telle une apparition. Elle est source de bien des interrogations quant aux enjeux formels, référentiels et visuels qui s’y déploient. On aura compris que ces artistes sont des sortes de pionnières auxquelles il fallait faire une petite place dans une Histoire déjà bien saturée de démarches et réalisations mais dominée par l’impérialisme mâle et occidental. Quant aux françaises… BTN

Jusqu’au 13 mars, Place de la maison carrée, 0466763570

 

Artiste Artisan, La Déconniatrie etc., aux Abattoirs de Toulouse

L’art que l’on dit de contemporain n’a de cesse que d’interroger sa légitimité, ses spécificités et ses marges à l’instar de la rédemption généralisée qui caractérise nos sociétés imparfaites et coupables. Ainsi s’enrichit-il de son autocritique ou de ses contradictions, et ses définitions s’en trouvent-elles élargies. Cette exposition qui rend hommage au galeriste et collectionneur,  récemment décédé, Daniel Cordier, en apporte une nouvelle preuve, qui rapproche, sans intention hiérarchique, des œuvres d’artistes célèbres ou en devenir, et des singularités surprenantes empruntés à l’artisanat de divers pays, qu’il s’agisse de l’extrême Orient, de l’Afrique noire ou de quelques contrées européennes dont la nôtre. A ceci s’ajoute les merveilles que nous fournit la nature si l’on sait la regarder d’un peu plus près. Voilà qui fustige quelque peu la vanité des divers egos surdimensionnés sévissant en général dans le milieu de l’art. Pour Cordier en effet l’art était en quelque sorte indivisible. Tout est affaire d’intention et- de conception. Un exemple parmi d’autres : une crémaillère japonaise de foyer ou une racine chinoise de rêve peuvent très bien jouxter des compositions savantes, davantage géométriques, toujours en bois, internationalement honorées, de Louise Nevelson. Une demi-gangue d’argile, fendue par les injures du temps trouver sa place entre la bicyclette arborant sa floraison de métaux récupérés de Richard Stankiewicz, les bottes de bois du Brésil de rivière de Nicolas Valabrègue ou les nœuds et épissures primitifs collectés naguère par Claude Viallat, entre ses filets à trame large ou ses assemblages de bois flottés. Dans les années 70, l’ancien conservateur François Mathey avait une première fois engagé ce genre de rapprochement fructueux et troublant et c’est Edith Raymond qui s’était chargée de l’affiche. On retrouve deux de ses patchworks, mêlant formes et lettres ,dans une tonalité rouge, pour cette nouvelle présentation qui sollicite divers artistes reconnus : le régional Jean-Michel Meurice, spécialiste des lignes inlassablement répétées, ou la protéiforme Sabine-Anne Deshais, l’allemande Katinka Bock dans une série sur des blocs de charbon, les pierres rêvées de Yolande Fièvre, les volumes en fil de bronze et cuivre signés Claire Falkenstein, ou un tirage argentique objectal de la sculptrice anglaise Becky Beasley. Tout cela partageant l’espace avec de multiples Anonymes composant une partie généreuse de la collection Cordier (de ballons en sièges d’accouchement, de meules dormantes en simples pinces, de portes en molettes, de nombreux pilons préhistoriques en bec d’espadon, de champignons en gouttières, ou de cloches en échelles…) et déposés aux Abattoirs… Louis cordier était sans doute un visionnaire, qui subodorait l’évolution de l’art tel qu’il nous apparaît aujourd’hui, moins élitiste et plus ouvert.

Dans un autre ordre d’idées mais toujours dans la volonté de brouiller les contours et frontières, les Abattoirs présentent jusqu’au 6 mars une exposition décapante baptisée la Déconniatrie, selon la définition du fameux psychiatre de St Alban Lumignole (Lozère), François Tosquelles, artisan de la création sans discrimination également. L’art brut des malades s’y mêle à l’art moderne ou plus récent, dans une volonté d’interroger le sentiment de l’exil lié à quelque  différence ou à l’impression d’être exclu de la vie sociale. A tous ces travaux, issus de la souffrance et de l’exutoire artistique, sont mêlés des œuvres de grands noms de l’Histoire : de Karen Appel à Yayoi Kasuma (obsédée par les ronds blancs sur fond rouge) en passant par Miro ou Brassaï, Dubuffet ou Fautrier, Agnès Martin ou le plus jeune Raphaël Barontini (cf. Musée de Lattes). Les écrivains ne sont pas en reste, dadaïstes ou surréalistes (Tzara, Eluard), inclassables inventeurs (Artaud dit le momo, Henri Michaux), sulfureux explorateurs des limites (Bataille), éminence grise hanté par le phénomène littéraire (Paulhan), théoricien de la décolonisation (Fanon), philosophe de l’exclusion (Foucault).

Rappelons aussi que, sur la Mezzanine sud, on peut encore découvrir 3 lauréats 2021 du prix des Amis des Abattoirs, que nous connaissons bien du côté de Montpellier : Maxime Sanchez (Vasistas, Panacée, Frac), Jimmy Richer (Boite noire, Frac, Panacée) et Naomie Maury (Biennale de Lyon…), laquelle vit à Sète mais est originaire de Montpellier. Le premier parvient à mêler techniques modernes de décoration à des activités ancestrales dans des sculptures empreintes d’étrange hybridité. Le second pratique plutôt le dessin mais conjugue la bande dessinée à des gravures ou illustrations bien antérieures dans des œuvres immersives et murales. La 3ème s’intéresse au phénomène prothétique et aux interdépendances des règnes ou espèces par rapport à l’humaine. Les trois sont bien dans l’air du temps dans leur questionnement sur un présent qui se nourrit des fictions du passé. BTN

Jusqu’au 5 mai, 7, allée Ch.de Fittes, 0534511060

 

Nouvel accrochage Collection, et autres expos, au Mrac de Sérignan (34)

Que le Mrac soit devenu le musée d’art contemporain le plus attachant de la région, nous sommes pas mal à le penser. Outre ses expos temporaires, il peut d’enorgueillir de sa fresque « Erroïque » externe, de ses Peinado en enseignes, et de ses Buren in vitro, si je puis dire. Mais surtout de ses collections, régulièrement enrichies (je pense récemment à Audrey Martin) et se rapprochant de 500 pièces et dont divers commissariats renouvèlent la présentation. C’est le cas pour cette année entière où il s’est agi de choisir diverses pièces de différentes générations et de les assortir afin d’en tirer un maximum d’effets de sens. Ainsi le vétéran Daniel Dezeuze, l’un des piliers de Supports-Surfaces, polarisé sur les ultimes et subtils avatars du châssis, se voit-il associé, à une artiste d’origine syrienne, Farah Attassi. Celle-ci est de deux générations plus jeune, et davantage tournée vers une figuration originale, qui n’exclut pas une géométrisation stylisée, sur toile, avec une économie évidente de couleurs et une division calculée de la surface. Des rapprochements audacieux assurent un dialogue entre les toiles pleines de sérénité gestuelle du dernier Messagier et la production mystique de l’allemande Andréa Buttner tournant en dérision, en gravure,  nos sales manipulations des nos sophistiqués I-phones, nec plus ultra de la technologie. Les sculptures en jambages héritières de toute une tradition moderniste de Come Mosta-Heirt se confrontent aux expériences plus « arte povera », sur la ruine ou l’archéologie, de Guillaume Leblon. On retrouve au passage des exposants récents du Mrac : Ulla Von Brandebourg et ses suspensions de tissus ou Isabelle Cornaro explorant le thème de la reproduction, de l’original et de sa copie. Des artistes très en vue tel Nicolas Daubanes et ses étagères de briques prêtes pour l’usage ; l’iconoclaste Anne-Lise Coste qui rend hommage « vibrant » à Pasolini ; les portraits gravés et selfies de Sylvain Fraysse. Yves Belorgey est présent avec ses immeubles anonymes en Erevan, Pierre Bismuth avec des slogans au néon, Wood et Harisson avec leur fameuse vidéo prise en plan aérien, voire divin, d’une cabine habitée, Matt Mullican avec ses dessins minimalistes de pièces vides à objet unique, Francisco Tropa avec sa série de plumes. Bref on a des tas de choses à découvrir ou redécouvrir, de la figuration narrative en film de Bernard Rancillac aux gravures de Markus Raetz en passant par les effusions lyriques, en tohu-bohu, d’une Renée Lévi trépidante. Terminons par ce chef d’ œuvre mi photo noir et blanc mi objet de la japonaise Masaki Nakayama, où le corps se plie à une géométrie tripartite de base. Et ce n’est pas tout… Olivier Vadrot nous accueille avec une sorte de théâtre démontable, en U et en bois, où restaurer un esprit de discussion démocratique, à l’attention d’une quarantaine de personnes. Dans le cabinet d’art graphique Valérie Du Chêné et Régis Pinault prennent prétexte  d’un de leurs films (sur Cerbère et son célèbre hôtel) pour transformer le lieu sombre en plateau de tournage, avec objets chargés de supplément d’âme, décors, affiches et wall drawing, sans parler des cibles ou des formes colorées issues d’un réel martyrisé.

Toutefois, ceux qui n’ont pas encore vu la mini-rétrospective, à l’étage, d’Anne et Patrick Poirier ont jusqu’au 20 mars pour se décider. On peut y découvrir, dans une scénographie impeccable et magistrale, quelques œuvres majeures du duo conjugal, à l’instar de l’immense maquette de l’Ostia antica, de la série de dessins du Purgatoire dantesque, ou encore de l’imposante croix penchée dans la pénombre brumeuse. Mais aussi des tas de documents d’époques, de notes et d’ouvrages, une valise emplie de cartes postales ou encore, dans un noir approprié, des ruines noires, escarpées et vertigineuses. Un voyage dans la mémoire antique et médiévale.

De même pour la fantastique exposition au sous-sol de Laurent le Deunff, lequel lorgne plutôt du côté de la préhistoire, et présente d’une part une sorte de caverne reconstituée, un véritable musée rempli de sculptures de petits, moyens et grands formats  (d’un chewing-gum en os sculpté à de fausses lourdes pierres en étagère, sans oublier un collier de dents, des sapins à chat ou une massue en ciment). Le tout sous le regard iconique de champignons souterrains bien adaptés à cette période humaine indécise. Et de l’autre une sorte d’aquarium d’où émergent un totem en hommage au castor, cet animal sculpteur que les premiers hommes ont dû bien observer avant de se mettre à œuvrer, mais aussi un crocodile, et des nœuds de trompes éléphantesques.

Comme on le voit, on peut passer plusieurs heures à visiter ce musée qui, en quelques années, s’est imposé comme un grand, et n’a pas fini de nous surprendre. BTN

Jusqu’à janvier juin 2023 sauf pour Vadrot et Du Chêné (juin 22), 146, av de la plage 0467178895

 

Souffler de son souffle, Fondation Van Gogh, Arles

Il est toujours fascinant de voir combien un artiste peut être perçu différemment selon les époques, et de constater sa capacité de renaître en permanence malgré le souffle du temps qui oriente l’Histoire dans de multiples directions. Tel est le cas de Van Gogh. Prenant pour prétexte la correspondance de Vincent, si essentielle avec son frère Théo, durant son séjour arlésien, les trois commissaires, féminines, de cette exposition ont rassemblé les œuvres de 26 artistes, dont le rapport au souffle, riche en interprétations diverses pouvait donner lieux à de multiples rapprochements. A commencer par les diverses toiles libres de la sud-américaine Vivian Suter, soumises aux injures du vent et du plein air (Vincent souffrit tant du mistral !) et qui prennent la figure de pénétrables, d’où observer quelques tableaux muraux ou suspendus. Le Sonneur, de Jean-Marie Appriou, semble nous engager à la visite, un peu comme un berger qui aurait retenu les leçons du flûtiste de Hamelin. Passé ce hall, qui donne le ton au thème, on est confrontés à bon nombre de petites pièces majeures avant de rejoindre le précieux graal, une toile de Van Gogh, modeste au demeurant, et célébrant le léger et coloré papillon, sur fond de fleurs et de baies, alors que le hollandais du sud vit l’une des périodes des plus sombres de sa vie. Dans la plus authentique pièce de l’ancien hôtel, il jouxte deux dessins aériens de Giussepe Penone, transfuge de l’Arte Povera, explorateur de la Nature, dont on pourra voir plus loin une formidable installation. Mais dès la première salle, d’autres surprises nous attendent : L’italien Piero Manzoni, prématurément disparu, ne pouvait manquer à l’appel lui qui rendit concret, dans les années 60, son Fiato d’artista, ou qui, dans son Corpo d’aria, s’appliqua à emplir d’air un ballon. Le corpo est accompagné des deux temps qui rythment la respiration, de Vito Acconci (lequel joue avec des effets de cadrage), puis du fameux baiser en noir et blanc  à couper le souffle de Marina Abramovic et de son compagnon Ulay, tandis que flotte dans l’espace la voile bleue ventilée, conçue par Hans Haacke. On s’étonne de retrouver aussi l’art informel d’un grand peintre intimiste abstrait, Wols, à la carrière trop brève – au fond à l’instar de Van Gogh, – ses Tête, Grenade, ou Turquoise qui semblent en effet conçus selon les règles organiques d’une subite inspiration. Et puis, il y a la magie picturale des toiles d’une Tracey Emin, dans le style agressif et fortement sexualisé qui a assis sa réputation. Tout cela, ce résumé de l’Histoire de l’art en une seule salle… La deuxième associe, Rebecca Horn et sa petite sirène en plumes, ou les toiles tachistes et liquides de Vivian Springford (1913-2003), toutes en corolles et color-field,  qui semblent en avance sur notre temps, et les tableaux légers, tout en discrétion, de Markus Döbeli (œuvres de 2015-2020). Avant d’approcher le précieux Van Gogh on notera les slogans affichés d’Asger Jorn, sousmis à la tourmente révolutionnaire de 68, tout comme les Mickey de Joyce Pensato (décédée en 2019) et les formes in-photographiables de Jutta Koether, dont une récente. On aura compris que l’expo mêle les générations, les morts et les vivants, les anciens et les plus jeunes. On redécouvre ensuite les dernières œuvres d’Hartung, au pistolet, très spontanées et jaculatoires. Comme si jusqu’à la fin le véritable artiste ne pouvait vivre sans sa peinture quotidienne. On transite par les tableaux épais, très inspirés du maître, de Frank Bowling, très épaisse et en référence aux Tournesols, puis on change d’étage après avoir regardé la fascinante vidéo Anticoncept de Gil J Wolman sur ballon sonde, avec cadences respiratoires pour fond. On retrouve alors Vivian Sutter, dans une relation plus intime encore qu’à l’entrée, les dessins d’arbres du botaniste Francis Hallé, avant de se rappeler combien Hokusaï et l’art japonais en général ont pu interpeller et nourrir le curieux Vincent. Penone ensuite nous attend, qui ne manque pas d’air : son installation de verre teinté en forme d’ongle, sur tapis de laurier-sauce, qu’un souffle léger suffirait à disperser, fait face à un travail corporel d’une artiste extrêmement jeune Chloé Vanderstraeten, et ses papiers découpés autour de sa personne et redressés sur le mur. Enfin, l’exposition s’achève devant les travaux gravés  sur verre de Carlotta Bailly Borg, tout en érotisme grotesque et outré et inversement devant les photogrammes de la roumaine Andra Ursuta, sur velours, quasi-pictural, une réflexion sur le passage de la mort en attendant un nouveau souffle. Le mot de la fin est laissé au son, dans le vide et le noir en la personne de Kristin Oppenheim. Evidemment chaque œuvre doit être mise en perspective par rapport à la thématique du souffle mais on soulignera le choix de faire appel à différentes tendances majeures de l’art contemporain, qu’il s’agisse de l’art informel ou de l’art abstrait, de l’Arte povera ou de l’art corporel, l’art conceptuel ou Cobra, les performers et vidéastes… Pour ne point parler des différentes origines. Une exposition fort riche en découvertes et relectures. Et qui montre la vitalité de la ville d’Arles, à laquelle l’incompris Van Gogh n’est évidemment pas étranger…  BTN

Jusqu’au 1er mai, 35, rue du Dr Fanton, 0490930808

 

4à4, au Musée Paul Valéry, Sète 34200

Fort de ses collections et de ses documents relatifs au grand poète, le Musée Paul Valéry fait partie de ces lieux qui n’hésitent pas à mettre à l’honneur, régulièrement, les artistes locaux, et Dieu sait si la ville singulière n’en manque pas. Ainsi trouvera-t-on dans cette nouvelle exposition deux résidents de ce port voué en particulier au commerce et qui entretient des relations privilégiées avec le pays dont sont originaires deux des sétois d’adoption de ce nouveau 4×4, Nissrine Seffar et Alain Campos : le Maroc. La première l’a quitté pour amorcer sa carrière d’artiste, laquelle se singularise d’abord par son intérêt douloureux pour les lieux de mémoire (Guernica, le camp de Rivesaltes, Oradour), ensuite par sa technique un peu particulière qui consiste en des prélèvements de sol, redressés sur le plan de la toile. Pour Guernica, elle s’est en particulier intéressée, en grand format, à l’arbre symbolique, victime des bombardements, et a structuré sa toile autour de sa frondaison verdoyante, qu’elle conjugue à des triangles plus sombres, inspirés de la toile de Picasso. Pour Rivesaltes, outre des photos et des tables de documents, elle revisite au dessin sur plâtre, en petit format, les baraquements en ruines, comme s’il s’agissait de s’approprier l’Histoire afin de commencer à la corriger. Cet usage du plâtre connote une possibilité de réparation, alors qu’inversement la grille évoque l’enfermement. De même le feu intervient dans son bagage technique et formel, pour sa valeur à la fois destructrice mais également mnémonique, Pour Oradour, elle a réalisé un triptyque où se conjuguent des spectres de victimes et des croix maternelles, tendues au moment ultime de l’incendie criminel, sur couleurs vibrantes et géométrie implaccabmle. Engagée, la pratique de Nissirine Seffar n’en demeure pas moins esthétique dans sa capacité d’harmoniser intention et matière. D’où ces tripes en plâtre qui reviennent régulièrement dans ses volumes. Alain Campos est demeuré fidèle à une figuration personnelle, dans laquelle la figure humaine s’offre la part du lion. Le fond n’est en général pas défini par souci justement de la laisser s’exprimer et d’occuper toute sa place à l’intérieur du tableau. Les couleurs sont de préférence sombres et sourdes comme si l’artiste avait quelque chose de dramatique à nous révéler. On sent toute une métaphysique de la condition humaine s’imposer à notre esprit. Dans certaines toiles récentes, Campos s’intéresse de plus près à la confrontation de l’homme éternel avec les outils et théories de pointe, que la technologie a mis à sa disposition, et qui finissent non seulement par l’envahir mais par l’encercler ou l’étouffer. En ce sens on peut dire que sa peinture également, au-delà de ses qualités plastiques, aurait quelque chose à nous révéler sur le rapport de l’artiste au monde. Les deux autres artistes permettent d’ouvrir cette ville portuaire par essence accueillante à deux pays que l’on pourrait qualifier de mythiques : l’Italie, l’un des berceaux de notre civilisation, et la Chine dont on ne finit pas de découvrir les merveilles du passé, l’essor au présent et la possible suprématie à venir. Aroldo Governateri a une longue expérience de peintre derrière lui. Il consacre trois séries à la terre italienne, telle que les éruptions volcaniques l’ont façonnée. Il pratique la technique ancestrale de la tempera, sur ses toiles, où le paysage semble dominé par les couleurs de la terre en feu, sans présence humaine régulière comme si on était revenu aux origines épiques du chaos et des chamboulements divins. La dérive des continents, les voix profondes de nos origines semblent d’ailleurs le hanter. Il recourt également au cinabre afin de solliciter notre imaginaire hanté de récits merveilleux, tel celui de la reine de Saba. Toutefois, son style, estompé, laisse une grande liberté de perception au regardeur, sollicitant même son imaginaire. Enfin Zhang Hong Mei est une artiste à découvrir. D’abord parce qu’elle nous amène à voyager dans une tradition (celle du papier découpé) revisitée par les artistes contemporains, pour ce qui la concerne, sur le tissu ; ensuite parce qu’elle associe cette tradition à des sujets modernes qu’elle imprime dans des couleurs violentes rendant compte de la vie en ville tentaculaire et de la rapidité des transformations urbaines. Enfin parce qu’elle propose également une impressionnante série de personnages, des mannequins recouverts de textiles et adhésifs, inspirés des figures humaines de l’armée de Xi’An, et traduisant nos réserves et angoisses en ces périodes de troubles tous azimuts. Comme on le voit ; chacun des artistes se sent concerné par son adhésion au monde. Dans ses crispations actuelles comme dans ses maux précédents, dans ses manifestations contemporaines comme dans ses origines. C’est la raison d’être de leur rassemblement. BTN

Jusqu’au 8-5, 148, av. F. Desnoyer, 0499047616

 

 

Jacques Tison, Espace Ecureuil, Toulouse

Ce qui frappe d’emblée, dans les œuvres de Jacques Tillon, c’est l’absence de silhouette humaine ce qui ne veut pas dire que l’humanité en est absente. Ses toiles cèdent trop de place à l’architecture pour laisser planer quelque doute à ce sujet. Autre objet d’étonnement : l’importance accordée au blanc de la surface ou si l’on préfère au vide qui entoure les motifs, d’un véritable halo d’immatérialité. Car pour Jacques Tison chaque tableau dévoile une fiction. Tout se passe comme si, de la page blanche, surgissaient des images émanant non de l’imaginaire mais du réel, qui nous en fournit à foison sauf qu’il nous faut du temps avant de nous les approprier. Or, comment éviter, même dans le Tarn et Garonne où il vit à présent, la confrontation quotidienne à des bâtiments, des entrepôts, des gravières ou même à des images issues d’un autre monde, je pense au Groenland. Le peintre les traite de manière allusive et géométrique, avec une économie de moyens évidente notamment dans les couleurs. L’image surgit du vide et propose tout un faisceau d’interprétation qui sollicite d’une part nos capacités narratives, et donc fictives, de l’autre une métaphysique de la condition humaine telle qu’elle est suggérée dans ces habitats fantômes. Dans les tableaux de Jacques Tison, le vide fait le plein et c’est ce sentiment qui domine pour cette exposition dans l’espace Ecureuil où il ne s’est pas contenté d’accrocher ses quarante œuvres aux murs. Il a multiplié les toiles blanches posées sur des plots et même peint un mur tout blanc. C’est dire s’il veut amener le visiteur à partager ce sentiment du vide dont nous avons tant besoin aujourd’hui où nous sommes envahis d’objets et d’images, et où les zones industrielles, ou commerciales, obsédantes de monotonie, viennent effacer les quelques ilots de nature qui séparent deux villes. Jacques Tison accorde à ses paysages naturels, encore épargnés par l’invasion humaine et urbaine, un droit à l’existence qu’on leur concède volontiers même si la nature est également dessinée par les activités agricoles ou forestières. En fait, dans ses toiles si avides de vide, le peintre ranime cette nostalgie d’un monde plus simple, un peu comme Rothko a besoin de ses bichromes pour oublier les rues géométriques et l’intensité du trafic newyorkais. Chez lui, le dessin et donc le motif, surgit de la toile plutôt qu’on ne l’y applique de l’extérieur. Le tableau demeure une surface bidimensionnelle et c’est au spectateur d’y ajouter d’autres dimensions, de son côté à lui. Il y a quelque chose de phénoménologique dans cette démarche qui nous amène à considérer le réel en creux, à partir du vide et de l’absence. Et c’est sans doute à partir de ce vide que l’artiste entend propager cette « intranquillité » qu’il emprunte à Pessoa et qui lui fait dire que la fiction le suit comme une ombre. Et nous suivons cette fiction. BTN

Jusqu’au 26-3, 3, place du Capitole, 0615373492.

 

 

Max Hooper Schneider, Panacée, Montpellier

Les expos collectives permettent de se familiariser avec la production de chaque artiste mais les orientations des commissaires font que le point de vue adopté, et le choix ponctuel, faussent quelque peu l’interprétation. Une monographie, en l’occurrence celle de Max Hooper Schneider (déjà repéré dans son film d’animation pour Permafrost, en cette même Panacée),  nous fait davantage pénétrer dans l’univers cohérent et particulier que suppose une œuvre, surtout quand elle n’est pas encore trop célèbre, du moins de ce côté-ci de l’Atlantique. Les dimensions de l’ancienne faculté de droit favorisent cette possibilité, surtout quand l’artiste a besoin d’espace. Pour cette fin d’hiver, il s’agit d’un américain, de formation scientifique, converti aux activités artistiques, et ayant mis celui-ci au service des grandes réflexions écologistes qui caractérisent si bien les principales préoccupations des mentalités d’aujourd’hui. En témoignent des installations géantes en forme de compositions végétales, dans des terrariums généreux, très hétéroclites et denses, on pourrait même dire luxuriantes sauf que s’y mêlent des tas d’objets de rebuts du quotidien. Car c’est sans doute la grande question des décennies à venir : dans quel monde l’humanité vivra-t-elle ? Le titre de cette exposition annonce le programme « Pourrir dans un monde libre », emprunté à un groupe dit de  « metal », on a les références qu’on peut et la hiérarchisation semble la bête noire de l’artiste. Cela semble signifier que l’on ne pourra recouvrer notre liberté qu’à condition d’assumer notre pourriture ou si l’on préfère de prendre conscience de la déliquescence du monde actuel, que nous laissons à nos successeurs. Le résultat est en général spectaculaire et comme on dit à présent, immersif. Ne dédaignant pas le recours à la technologie, l’artiste privilégie en général la maquette (impliquant un train par ex), l’aquarium, avec ou sans espèce vivante, mais avec force détritus, ou encore l’îlot végétal selon les principes de ces écosystèmes hantés par la question de l’anthropocène – on ne peut pas dire plus idéologiquement marqué. Parmi ses œuvre les plus connues, un lamantin mécanisé qui semble surgir de câbles colorés, une maison de poupée quelque peu modifiée on s’en doute, des « plasmovoïdes » contenant un embryon en verre, des « rizhosphères » en suspension ou au sol, avec force quincaillerie et armature d’acier, enfin une vitrine avec piquants de porc-épic et griffes d’alligator… La forme « contenante » semble essentielle pour délimiter l’exubérance et l’hétérogénéité des contenus. Ceux-ci peuvent varier du minéral au végétal en passant par l’animal, de l’organique au plastique et à l’artificiel en passant par les divers objets produits par notre société sur-industrialisée et sur-consommatrice ou par des productions culturelles. La figure humaine est en général absente, sauf à se confondre avec une statue. Elle n’est déjà que trop présente dans l’Histoire et ce qui intéresse c’est ses effets et son empreinte sur le reste, notre planète précisément. On nous annonce des œuvres anciennes et une dizaine de récentes. Des tas de matériaux à qui donner une nouvelle vie (fossiles, résine, algues, néon, poupées…). Des titres incroyables (Eocène Epizoom, Dammaged by miracles…). Largement de quoi s’immerger dans cette œuvre… immersive… BTN

Du 12 -02 au 14-04, 14, rue école de pharmacie,  0499582800

 

Claude Viallat, Fondation Hélénis, Hôtel Richer de Belleval

Après Jim Dine et ses coeurs, sous le plafond duquel on doit passer pour accéder à la salle d’expo temporaire, c’est donc l’artiste le plus emblématique de notre région (avec Combas et Soulages) qui est ainsi convié en ce magnifique lieu qui renaît de ses cendres, en plein centre de l’ancienne ville médiévale. Ceux qui ne connaissent que vaguement Viallat pour la répétition d’une forme, qui lui est propre, et qui finit par devenir en quelque sorte sa signature, seront surpris de la manière dont elle a évolué au cours des années. Cela fait belle lurette qu’elle s’est émancipée de la toile libre pour envahir des supports divers, plus ou moins empruntés à l’univers de l’ameublement. Qu’elle s’est pliée à des formats de toute dimension. Qu’elle se fait parfois discrète au point qu’il nous faut la restituer mentalement. Qu’elle se soumet à la division des surfaces voulues ou récupérées par l’artiste. Qu’elle s’inscrit dans tout un bataillon de couleurs qui réagissent en fonction desdites textures et surfaces. Qu’elle accorde à présent une place prépondérante aux contreformes qu’elle produit en contrepoint. Qu’elle se complique souvent d’un cerne. Qu’elle s’accommode de divers objets trouvés qui peuvent passer pour des avatars de châssis ou du pinceau. Qu’elle se soumet à la suspension, à la torsion, à l’équilibre. Que les contours sont parfois indécis, déchiré, brutalement interrompu… Que la matière picturale s’est fluidifiée avec le temps tout en se montrant généreuse. Bref ceux qui se font une idée assez simpliste de l’art de Claude Viallat risquent d’en prendre plein les yeux, plein les préjugés et plein leur ignorance. Ceux qui connaissent scruteront la nouveauté, toujours prompte à surgir de son imagination matérielle, si subtile et jamais prise en défaut. En l’occurrence, il sera intéressant de voir comment l’artiste a géré l’introduction de ses diverses pièces dans un hôtel du XVIIème aussi connoté et qui s’honore de ses œuvres d’art du passé comme du présent (Benchamma, Mocquet, Fabre…). Viallat y présentera certes quelques pièces plus ou moins attendus ou classiques dans des formats plus ou moins imposants et avec une grande sobriété d’intervention régulière et symétrique selon le principe qu’il a mis en place depuis plus de 50 ans. Ce procédé lui permet de se concentrer sur les principes matériels inhérents à sa pratique plutôt que sur « l’inspiration » ou sur la composition (fournie par un pochoir déterminant les distances d’une forme à l’autre).. Mais aussi beaucoup d’assemblages de tissus, souvent en triptyque, disposés à l’horizontale mais aussi à la verticale. Ces rapprochements vont de pair avec la sédimentation des époques que demeure un habitat qui a traversé divers siècles et s’est donc enrichi de divers styles. On notera de temps à autre l’introduction d’un cintre. Un hôtel et un lieu qui fourmille d’objets hétéroclites à foison et Viallat n’a pas lésiné sur le nombre de pièces différentes qu’il entend bien exposer. Des lés, des pièces de tissus où la forme est bien présente mais en nombre limité, parfois unique. Cela renoue avec les premières œuvres de Viallat et ajoute une dimension ludique. Le support se suffit parfois à lui-même. Et puis, pour ceux qui ne connaissent pas certains aspects moins connus de son travail, on relèvera la présence de volumes, assez fragiles, bois et cordes essentiellement dans lesquels certains devineront des avatars du châssis et de la trame de la toile, d’autres certains gestes ancestraux de cueillette ou de nouage. Ce genre d’œuvre pourrait détoner par rapport à l’élégance rénovée du lieu, so opulence passée et présente, et Viallat n’a jamais dédaigné le décalage distancié. Il a conservé, malgré la reconnaissance, un caractère rebelle et un évident sens de l’humour. Ses tissus, temporaires qui plus est, c’est la petite touche apportée à l’ameublement si raffiné des lieux. Une touche populaire, et même naturelle, lorsque l’on réalise d’où l’artiste récupère ses supports. BTN

Jusqu’au 30 mai, Place de la Canourgue, 0499661821

 

COLLECTIon COLLECTIve, ACMCM (Perpignan).

La morte saison est l’occasion pour certains lieux de faire le point, de puiser en l’occurrence dans le riche et récent passé et d’honorer la mémoire des disparus. On pense à Vincent Madramany en grande partie responsable de l’impressionnante collection acquise par l’association. On y retrouve en effet la plupart des artistes qui se sont confrontés à cet immense ancien garage voué depuis des années maintenant à l’art contemporain, dans sa composante picturale essentiellement. Un bon tiers des artistes sont français, un deuxième tiers étant consacré à la péninsule ibérique, l’intérêt étant de créer une dynamique entre les deux pays, Perpignan occupant une zone stratégique car frontalière. Enfin, des artistes, venus de toute l’Europe sont venus compléter le tableau, si je puis dire. Nous sommes gâtés, dans la région, puisque ACMCM a consacré ses premières expos à des régionaux : notre incontournable Viallat et son traitement répétitif de la surface colorée ; l’alésien Jean Le Gac et sa science volontairement désuète de l’image du Peintre amateur, ou encore Dominique Gauthier qui excelle dans la conquête géométrique, baroque, haute en couleur du grand format, de préférence carré. On peut y ajouter le perpignanais Serge Fauchier et ses jeux de formes colorés se déclinant sans lassitude sur la toile, Mohamed Lekleti, à la figuration si particulière frisant le fantastique, ou encore Francesca Caruana et son curieux igname bleu emprunté à la culture kanac (Recto/Octer). Ajoutons-y l’abstraction radicale d’un Georges Ayats. Mais ACMCM c’est aussi la figuration narrative, d’un Valério Adami, l’inquiétante étrangeté d’un Vincent Corpet, le caractère iconoclaste, mouvementé, dynamique de Stéphan Pencréac’h. C’est également Ben que l’on ne présente plus, ou la relecture classique de la figure opérée par Axel Pahlavi, originaire de l’Iran. Ou de Florence Obrecht, laquelle poursuit la tradition des figures ambivalentes de clowns… Mais ce qui aura singularisé ACMCM, depuis bon nombre d’années, c’est que ce lieu d’art nous aura permis de découvrir des artistes espagnols, essentiellement valencinois, peu montrés du côté de notre scène artistique. Je pense à la géométrie extrêmement sophistiquée de Javier Chapa, au traitement si particulier de la figure humaine d’Artur Heras ou au dessin minutieux d’un Manuel Boix, ou de Marco Carrasquer, le néoréalisme reconnu de Raphael Armengol. Il y a aussi les âmes noires de Chema Lopez, les portraits noir et blanc, en très gros plan, de Santiago Idanez, les séries d’Adria Pina, les végétaux approchés par le jeune Esrnesto Casero. Côté féminin, les architectures solitaires de Tania Blanco ou l’utilisation inquiétante de la lumière colorée effaçant les protagonistes solitaires de Carolina Ferrer, le réalisme figurale spéculatif de Mary Sales. Josep Guinovart représente enfin la Catalogne barcelonaise. Passons à l’Europe…  Le suisse Till Ribus est en train de s’imposer comme l’un des maîtres de la nature morte ou de la peinture d’intérieur totalement renouvelée. La présence des mondes fabuleux de Rosa Loy ou de Simon Pasieka dans leurs tableaux, ou de l’abstraite Claudia Busching, dans l’espace, montre que ce lieu d’art s’ouvre à la fructueuse Allemagne. Ou à l’Italie de Camila Adami. A la Croatie avec cet incroyable et grouillant dessinateur qu’est Davor Vrankik. Les portraits de l’anglais Tony Bevan. Et bien évidemment aux Pays Bas de feu Lucebert, transfuge de Cobra. Tout comme Pat Andréa, considéré comme l’un des figuratifs les plus originaux de son temps Le commissaire a voulu subdiviser les choix effectués dans cette collection en trois classes : l’une dévolue à la mémoire, une autre à la fiction et une dernière à l’identité. Ces catégories sont suffisamment souples et plastiques pour fédérer tout un panel éloquent d’artistes, et même pour définir une esthétique, dont on comprendra qu’elle est surtout portée sur l’expression picturale de la figure, ce qui n’exclut en rien un grand intérêt pour les effets matérialistes de la couleur et un certain penchant pour le dessin magistral. 35 artistes le prouvent. BTN

Jusqu’au 17 mars, 3, rue Grande Bretagne, 0468341435

 

Alexandra Bircken/Bianca Bondi au Crac de Sète

En choisissant cette allemande (Alexandra Bircken) et cette sud-africaine installée à Paris (Bianca Bondi), le Crac participe de cette tendance générale qui veut que les femmes-artistes occupent une place de plus en plus prépondérante dans la création artistique et le marché de l’art actuels. Il faut dire que les deux se singularisent par une identité forte, rapidement identifiable dès lors que l’on s’intéresse de près à la création contemporaine. Alexandra Birchen articule sa production autour de la peau qui enveloppe tout le corps, nous sert de frontière avec l’extérieur, nous rend si vulnérable et au fond nous permet d’avoir une image de nous-mêmes distincte du chaos. Ainsi trouvera-t-on dans ses installations d’une part des combinaisons qui épousent la forme du corps dans ses multiples modelés, tendus sur socle ou abandonnés sur le sol, d’autre part des mannequins sans tête mais couverts de cette seconde peau que constitue un vêtement, en enfilade comme pour un défilé de mode, souvent soumis aux cicatrices des coutures quand les tissus sont parcellisés. Par ailleurs, Alexandra Birchen s’intéresse aux extensions du corps que sont les armes et les engins roulants sur deux roues, symboles évidents du pouvoir et de la puissance plus ou moins virile. Elle les expose en général sous forme d’objets sculpturaux soit en les coupant en deux parties égales, ce qui permet d’en divulguer les beautés, techniques, cachées, l’étrange charme des viscères mécaniques. Ou bien, en ce qui concerne les armes, de manière à en révéler l’esthétique géométrique, une fois privée de sa force létale au bénéfice de sa magnificence plastique mise au mur. Alexandra Bircken pratique en général l’installation. Les vêtements de motards sont posés sur des socles de diverses formes qui mettent en valeur les effets décoratifs, colorés et formels. Elle alterne les pièces au ras du sol et les formes obusières, parfois gigantesques et verticales, avec ces volumes intermédiaires que sont les peaux animales retravaillées par l’homme et fixées sur socle à claire-voie. Dans ce monde violent et déshumanisé, son œuvre nous ramène à l’essentiel, qui nous protège à notre insu, malgré sa fragilité : notre peau, à sauver, tant que le clonage et la robotisation ne dominent pas le monde de leur puissance aveugle.

Bianca Bondi serait plutôt une alchimiste, instinctive, des temps modernes, qui s’appuie sur la capacité de certains matériaux à se transformer, à se combiner, à réagir les uns aux autres. On l’a vu souvent transformer une chambre ou une cuisine en territoire d’exploration pour des végétations résistantes, des zones aqueuses colorées par la matière ou des solutions chimiques. A la biennale Lyon, une cantine de l’ancienne usine était soumise aux assauts du sel, l’un de ses matériaux de prédilection  pour sa capacité à protéger ou conserver mais aussi à corroder. A la Vassivière, le sel recouvrait les meubles d’un salon. L’artiste est résolument impliquée dans le sentiment d’urgence écologique qui caractérise les nouvelles générations. La montée des océans, les taux de microplastique présent dans les étendues maritimes, la disparition de la nature concurrencée par l’artificiel, la concernent, la préoccupent et alimentent sa réflexion et son travail. A cela, Bianca Bondi ajoute l’odeur et le son ce qui fait que son œuvre s’adresse aux sens principaux, le toucher se faisant mental de notre part qui envisageons son processus, manuel, de  fabrication. Les interventions de cette artiste sont en général spectaculaires mais troublantes, quelque peu fantomatiques, avec une dominante blanche, indécise. Elle recourt à la vitrine, à l’emballage plastique, pour concevoir des sortes de natures mortes ou de vanités, dans des œuvres qui peuvent s’avérer murales. On y retrouve des fleurs séchées, des restes animaux, des coraux, des livres et beaucoup de vaisselle, chinée dans divers pays… La végétation et les plantes médicinales sont aussi omniprésentes puisqu’elles peuvent guérir mais parfois aussi empoisonner. Avec ces deux artistes, on, peut être sûr que l’espace volumineux du Crac sera utilisé à bon escient et que l’on n’aura sans doute pas le sentiment du vide… dont la nature a horreur… BTN

Du 12-3 au 22-5, 26, quai aspirant Herber, 0467749437

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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