Naomi Maury, Anne-Marie Schneider, Mrac de Sérignan (34410)
L’Histoire de l’art compose à présent avec le féminin. L’automne au Mrac en apporte la preuve, qui met en exergue l’œuvre singulière d’une Anne-Marie Schneider, encore marquée par une problématique du corps qui fascina les artistes nés dans les années 60, et aussi celle de la bédaricienne Naomi Maury, née dans les années 90, et qui traite de la même problématique mais en enfant de son siècle, tournée vers l’avenir du millénaire à présent bien entamé. On y ajoutera, jusqu’en janvier, l’œuvre « intermédiaire » d’Aurélie Piau, plus explicitement engagée, et s’attaquant, dans le cabinet d’études, aux trophées ridicules du sport métaphorisant l’esprit de compétition libéral (mais qui existait aussi dans les pays communistes).
Anne-Marie Schneider recourt à la feuille de papier comme support. Elle intervient à l’encre de Chine, à l’acrylique ou à l’aquarelle, pour figurer des silhouettes humaines quelque peu soumises à un destin aliénant, sur le plan métaphysique s’entend. Son univers fait penser à Kafka ou Beckett, ce que dramatise l’absence récurrente de fond. Ses séries de vagues (allusion aux flux de conscience de Virginia Woolf ?) humaines, non genrées, à peine esquissées donnent une impression de ballottement éternel dont il est impossible de s’extraire, comme si la condition humaine ne pouvait qu’être collective et subie. Son immense Déambulation dans un champ d’allumettes nous renvoie au caractère éphémère de l’existence et donc quelque part au thème de la vanité des choses humaines, que l’on ne rappellera jamais assez. Le caractère brut du dessin, sans profondeur, accentue cette impression d’inéluctabilité par rapport à laquelle l’art assure toutefois un recul salutaire. Dans une autre série, de 16 dessins, dans des tons bruns les corps sont limités à des jambes ou des troncs, nous laissant imaginer une narration, un story-board, à partir de fragments corporels emprisonnés. Et puis il y a cette clé géante qu’Anne-Marie Schneider accole à des silhouettes ectoplasmiques et qui symbolise l’obéissance et la difficulté à assurer sa liberté. Les têtes, je pense à une série de feutrines du corps dans tous ses états, sont réduites à des cercle blancs, parfois à des points sur un I comme dans les buildings et le garde anglais. Le cercle est également la planète et donc le monde. On pense à un déchirement entre les obligations corsetées du corps et le désir d’émancipation de la pensée, traitée dans son essence, plutôt qu’en prise directe sur l’actualité, souvent changeante et contradictoire. Le masque aussi joue un rôle essentiel dans cette recherche plutôt brute qui ne s’embarrasse pas de technologie de pointe et mise sur la spontanéité.
Naomi Maury est une artiste de son temps, sensible à ce qui nous menace ou nous attend. Son installation du rez-de-chaussée nous immerge dans une pénombre énigmatique d’où émergent des formes géantes, organiques, en tissus tendus, cerclées de halos lumineux comme si nous pénétrions dans un infiniment petit, cellulaire, mis enfin à notre portée. A portée de corps. Elles s’érigent et révèlent leur revers comme leur dualité. Ce qui leur assure leur posture sculpturale, à savoir des armatures de métal qui sont comme autant de prothèses les maintenant en équilibre. L’artiste crée par ailleurs des exosquelettes plus ou moins rehaussés d’organes plus fragiles et de sources lumineuses (Exoskeletlight). C’est à la fois féérique et inquiétant, tout comme ce film présenté, où des mutants collectent des champignons censés nous débarrasser du plastique polluant. Symbiose, c’est le titre d’un dessin sur bâche qui témoigne en le caricaturant de l’appartenance à venir aux règnes de toujours. Naomie Maury intègre la science et l’écologie dans sa réflexion plastique, spectaculaire et troublante.
En outre, bien sûr, plusieurs salles à l’étage demeurent dévolues à la collection. Outre la cabanes en caissons pérenne de Buren, on y retrouvera une œuvre magistrale (peinture et sculpture) de Jim Shaw, une « cabina » de Nathalie du Pasquier, une installation consumériste et raciale de Jean-François Boclé, le monstre baroque en céramique gonflable de GGSV, une chouette peinte par Anne-Lise Coste, des dessins de Dado, des baraques photographiées par Bernard Bazile etc. Pas mal de bonnes choses… BTN
Jusqu’au 13-03-2024