André Cervera, La Mouche, Béziers (34)
La peinture figurative, que l’on semble re-découvrir aujourd’hui, s’est assez bien maintenue dans notre région durant les décennies où elle était, à l’instar de certaines toiles d’André Cervera, enterrée (mais c’était pour mieux renaître). Cervera aura été l’un de ses fidèles. On l’aura vu successivement consacrer des séries aux animaux-totems qui incarnent nos villages, s’approprier les rites des divers pays exotiques qui l’ont toujours tenté (particulièrement l’Inde, l’Afrique noire et la Chine) mais aussi les chefs d’œuvre de l’art, le règne animal, les musiciens qu’il admire… Le tableau ne se veut jamais réaliste mais aussi expressionniste (« méditerranéen ») que possible, Cervera ayant adopté la pratique du cerne figural. L’exposition de La mouche, Domaine de Pradines, au cœur d’une oliveraie, lui permettra de présenter à ceux qui ne le connaissent pas encore, ou qui ont besoin qu’on leur rafraîchisse la mémoire, une sorte de rétrospective de ses réalisations les plus significatives. L’artiste nous y propose deux séries inédites : l’une liée à l’un de ses voyages au Maroc : témoignant de son attirance irrépressible pour d’autres climats où retrouver des visions du monde avec lesquels il se sent en confraternité. L’autre, pour un travail sur papier, plus dépouillé, lui qui tient tellement compte de l’environnement décoratif dans lesquels il insère ses personnages. Les créatures, ectoplasmiques, qui apparaissent sur le Vélin d’Arches, dans les scènes où il les fait jouer, comme au théâtre, semblent sortir de quelque(s) limbe, cet univers de l’entre-deux mondes qui n’existe au fond que le temps du regard posé sur le tableau.. Ainsi ce dernier est-il un lieu de passage et l’artiste un intercesseur d’un monde à l’autre : des limbes auxquels il les arrache, au réel auquel il les impose et les restitue. Le premier espace de La mouche, nous familiarise avec l’univers de l’artiste, et renvoie à sa production depuis les années 2000 (On y retrouve Pinocchio qui semble s’accommoder de la présence ectoplasmique de son créateur, ou un homme en équilibre précaire dans une fosse, où le monstre des enfers guette sa chute fatale). L’enrichissement permanent de l’œuvre est dû à sa confrontation aux grandes représentations collectives découvertes durant les voyages : mythes, rituels, cérémonies… On comprend mieux le titre retenu Horizons mouvants. La seconde série, inédite, est inspirée du séjour de Cervera à la Fondation Dar El Kitab de Casablanca, en 2019-2020, et plus particulièrement de l’équivalent arabo-persan de nos populaires Fables, datant du 3ème siècle. Enfin, le troisième espace révèle le travail de Cervera durant le confinement et tranche quelque peu avec sa production antérieure : elle est réalisée sur Vélin, avec un protocole très particulier (à l’aveugle et avec un nombre limité de couleurs) et dans un esprit quasi chorégraphique, ou si l’on préfère très gestuel, en laissant une grande place au hasard. Il s’agit de silhouettes qui semblent à la fois visiter l’artiste et se faire visiter par lui. Des sortes d’âmes-sœurs, issues des limbes et incarnant la dualité. Au demeurant, chacun est libre de se les approprier et de s’y reconnaître, de nourrir chacune de chair, de sang et de pensée de sorte que le visiteur peut se retrouver, un temps, l’un des doubles de l’artiste. La gestualité de l’un se concrétise en image pour devenir autre et passer du néant à l’humain et de l’image au réel. C’est le privilège des artistes de se faire démiurge, tel le créateur de Pinocchio, et de nous faire assister à leur conception, nourrie de l’expérience et de la culture mondiale, de la re-Création. De ce point de vue, Cervera est un artiste privilégié. BTN
Du 18-04 au 03-07
