On se souvient qu’ACMCM (Perpignan) avait hébergé en janvier les 12 poésures et en corps (en hommage à Michel Butor) de la maltaise catalane Francesca Caruana. C’est à une Rétrovision qu’elle a droit jusqu’au 20-04, une rétrospective de ses œuvres les plus marquantes, de ses débuts influencés par le surréalisme à sa peinture sur bâche à bulles qui l’occupe depuis quelques années. On pourra y découvrir la plupart de ses réalisations concernant l’eau qui nous est vitale mais qui est en même temps une source inépuisable de mouvement que la peinture gestuelle permet de fixer sur la toile, la bâche à bulls, le papier. Au-delà des matériaux inhabituels qui habitent son œuvre (plastique, os et carcasses, pâte à papier, radiographie), Francesca Caruana aime pratiquer l’installation et l’in situ. Elle cherche à renouer avec un certain primitivisme archaïque (cf. ses masques) ou si l’on préfère avec l’Archéologie des arts et rituels humains. Autrement dit à débusquer le pérenne derrière les apparences. Elle a besoin d’espace et ACMCM n’en manque pas. Trois mots définissent son œuvre : le trait (de ses dessins dynamiques), le geste (la fluidité de sa peinture, sur bâches et plastiques), la spatialisation enfin, à travers ce qu’elle nomme des « peintures installées ».
Les débuts surréalistes sont réservés à la partie droite du centre d’art, à l’entrée, une fois franchie la grande toile nouée qui nous y accueille comme pour nous inciter à l’ouverture, au déploiement et qui sait ? au dénouement, auquel nous convie l’artiste sur deux niveaux plus mezzanine latérale et entresol. Les premières œuvres datent ainsi des années 70 et on y repère à la fois un goût pour l’hybridation des images, des thèmes fondateurs (l’œuf, l’oiseau, mais aussi les lunettes ou la plume, et déjà l’herbe) et un travail d’assemblage qui montre une artiste d’emblée en voie d’expérimentation. La nef centrale est un vrai couloir de couleurs avec la série des Diablitos qui date des années 90, toute en dynamique ondulatoire déjà, en gestes souples et suaves, un véritable hymne à la joie de vivre. Ou celles des Arrachées, ou des zones insulaires émergent des strates de peinture, avant la découverte de la ductilité des bâches à bulles. La salle de gauche est essentiellement graphique, avec la recherche capillaire sur les pubis qui établissent un lien symbolique entre poils, trame du tissu et une sorte d’archéologie du dessin primitif. Avec la même technique minutieuse, l’artiste dessine des cordes géantes soit scindées, avec beaucoup d’épissures, soit jouant avec une peinture bleue qui suggère l’élément aquatique. L’eau est omniprésente ainsi que le prouvent Les nymphes et leur bénitier. Ayant beaucoup voyagé et intégré des formes exogènes dans ses réalisations, Francesca Caruana présente une photo d’un oratoire grec qu’elle a souligné de paille dessinée avant de recourir à la véritable paille de fer frisée au sol. Image, couleur, dessin, le tout associé au matériau et à l’espace : on entre petit à petit dans l’univers hétérogène mais cohérent et polysémique de Francesca Caruana. Plus loin, ce sont les portraits sur pâte à papier qui frappent l’attention car ils sont assimilables à des masques de type Art dit primitif tout en rejoignant la lecture que l’art moderne a faite de celui-ci (Picasso). Hommage est justement rendu à une Dora qui en a marre (de pleurer pour son homme)… Car la revendication féministe n’est pas exemple de ce type de travail. On remarque aussi une série sur le corps qui n’hésite pas à recourir à un matériau aussi inattendu que la radiographie (ou le plastique au mur pour une forme de croix). L’artiste s’intéresse à ses fonctions essentielles (Se nourrir, Courir Respirer…) Ou au barbelé avec ce qu’il contient de violences et de meurtrissures que l’on peut lui faire subir. Sur la petite mezzanine, c’est la taureau qui a droit à des séries de dessins au feutre, d’assemblages sculpturaux plus ou moins peints ou de bâtons cornus sans doute pour sa symbolique universelle dont ne témoignent que trop les mythes et rituels antiques. L’omniprésence incontournable de l’eau, principe de vie, n’empêche pas de garder les pieds sur terre. Enfin, à l’étage s’exprime la complicité de l’artiste avec la Nature, qu’il s’agisse des plantes, du feuillage, des bois migrants ou des corps aquatiques. Ses mouvants oculus sur bâches, ses tondos, formes rondes font partie du processus d’émancipation féminine qui la poussent vers d’autres formes que traditionnelles, anguleuses et viriles. Encore n’ai-je pas énuméré toutes les petites et grandes surprises, parfois inédites, que propose cette Rétrovision (moins prétentieux que rétrospective) sur cinq décennies d’activité incessante pour la plupart exposées mais rassemblées ici dans un esprit de cohésion et de résilience. L’eau, la nature, la mémoire ancestrale et l’espèce humaine nous sont si précieux, par les temps qui courent… BTN