Myriam Mihindou au Crac de Sète

Myriam Mihindou, au Crac (Sète)

Un port cosmopolite était l’endroit idéal pour une escale de la franco-gabonaise Myriam Mihindou, grande voyageuse mais pas pour les loisirs ou divertissements. On le comprend vite en parcourant toutes les salles du Crac qui serpentent à travers les méandres de cette œuvre frappant par sa maturité, jusqu’à l’apothéose finale, la salle 9. Là, murs, sol et écriture en suspension, dont l’immense (Aer Bulla, à la tige d’aluminium et au verre soufflé), résument les multiples visions du monde que nous offre l’artiste. Outre l’omniprésence de l’écriture, dès l’entrée avec le titre Praesentia (en alu ionisé), puis dans la salle 1 (Videre, au cuivre protecteur mais chargé d’histoire coloniale ; ou Les algues géantes, assorties d’une racine de mangrove et de plumes) et aussi dans la salle 8, véritable feu d’artifice scriptural, composé de deux séries, l’une de mots cuivrés, l’autre sollicitant des matériaux aussi divers que du papier ou du fil de soie, des épingles, du coton… dans une quête étymologique qui confine à l’expression divinatoire. Il faut dire que l’artiste a eu, dans son parcours, maille à partir avec le langage et celui qu’elle nous propose au Crac est parsemé de petites blessures intimes qui réclament réparation. On comprend que le thème du soin ou de la guérison soit le fil conducteur de cette « présence » qu’elle prodigue à souhait : par ses idées, à la fois féministes, anticolonialistes et révoltées contre tout pouvoir et dominance usurpés ; grâce à son corps quand elle  se met en scène aux prises avec une paire de bas ou dans la situation, rendue comique, de transgression prudente d’une limite territoriale sous les rires d’adolescents qui la prennent pour une folle (la vidéo doit se voir en plongée, au sol, du point de vue de l’artiste performante); par sa propension au partage enfin quand elle invite, en vidéo, des danseurs en transe à œuvrer autour d’un point lumineux sous une grande halle couverte, ou encore quand elle exhorte au travail collectif et matriarcal dans la présentation d’un mot de métal noyé dans la cire d’abeille (Ayendoeté, en gabonais :  Ce qui rassemble). Partage aussi des rituels à l’instar de ces vêtements mortuaires exhumés en la Réunion à la faveur d’un glissement de terrain (Immense photo intitulée Immatériel), ou encore de cette série impressionnante, en négatif, de portraits de participants haïtiens à la cérémonie vaudou.  Photos, vidéos et matériaux nous permettent de voyager nous aussi dans cet univers qui tend justement à l’universel grâce à la diversité des langues sollicitées, y compris celle du corps, et de l’esprit. On pense à cette Sculpture de chair (cf. La Panacée) photographiée à l’étage, tout comme les 9 minuscules photos de Division plastique, véritable chorégraphie manuelle. L’idée de métissage est également omniprésente, ce qui se conçoit au su de l’origine de l’artiste mais elle est formidablement illustrée dans l’installation Service, de six tables, où sont alignés des dizaines de couverts métalliques, entourés de terre crue  modelées par les doigts. On peut y voir un symbole de l’exploitation et de l’abus de pouvoir ; on peut également y lire un signe d’espoir, l’osmose entre deux matériaux antithétiques, l’artisanal et l’industriel, le manuel et le fabriqué en série, comme disait Duchamp. Le terme de Patron, salle 1, n’est sans doute pas choisi non plus au hasard, outre ses connotations couturières. Assemblages et superpositions de calques, papiers de soie imbibés de thé ou d’encre assortis de matériaux divers et d’écritures manuscrites, ces Patrons sont autant de peaux incarnant les blessures du monde que l’art vise entre autres à réparer. Enfin, la dernière salle, la 9, la plus spacieuse et donc la plus difficile à occuper. Myriam Mihindou déploie sur les murs, de manière compacte ou en archipel, des dizaines de savons conservant la mémoire des corps qui les ont utilisés (Fleurs de peau), accrochés grâce à une ficelle de chanvre. S’y mêlent des éléments de poterie japonaise toujours dans une volonté d’hybridation. Au sol, une évocation symbolique d’une traumatisante opération des Amygdales avec des bâtons de sourcier en bois ou verre soufflé auquel le cuivre apporte toute sa rassurante protection. L’expo se termine par un hommage à la bulle d’air (Aer Bulla, toujours en verre) dont le niveau en alu annonce l’équilibre à retrouver et la résistance à maintenir. Au bout du compte, une plongée dans un univers passé au crible de la vie de l’artiste, de ses blessures et convictions, mais aussi de sa volonté de faire bouger les mentalités dans l’espoir de possibles réparations. Sans doute l’expo de cette fin d’hiver et début de printemps. BTN

 

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