Pharmacopées/Distorsions

Jeanne Susplugas, Hôtel Sabatier d’Espeyran, Montpellier

Ce satellite du Musée Fabre, l’hôtel Sabatier d’Espeyran, est le temple du bon goût à l’ancienne avec ses pièces surchargées d’objets plus décoratifs que fonctionnels et de meubles comme l’on n’en fera sans doute jamais plus. Des céramiques, statues, éléments d’orfèvrerie, témoignent d’un art de vivre des 18 et 19ème siècles et que l’on appelait péjorativement bourgeois ou dit aristocratique. C’est pourtant de ce côté-là qu’il faut chercher ce qui demeure beau, l’art prolétarien n’ayant pas brillé par son sens de l’esthétique. Toujours est-il qu’à l’occasion des 800 ans de la création de notre prestigieuse faculté de médecine Jeanne Susplugas, d’origine montpelliéraine connue pour son exploration des ambigüités de la médecine, des dangers des addictions et des conditions d’une aliénation sournoise, a été invitée à se glisser dans les rares espaces laissés vacants par le pléthore d’objets. L’artiste a utilisé un peu tous les moyens qui lui sont habituels : l’installation et la confection d’objets en général, la photographie, la vidéo, le dessin essentiellement. Cela va des médicaments en céramique près des coupes de fruits (en référence à la nature morte) à une maison qui vole et déborde d’objets, soulignant l’aliénation à un modèle social ; d’un dessin au crayon d’arbre généalogique à une collection de flacons à étiquettes délivrant un message satirique ; d’une vidéo, dans une maisonnette en plastique, recélant des images d’un bain d’anxiolytiques dont l’héroïne a du mal à s’extraire, à un autoportrait photographique où la coiffure écartelée métamorphose le sujet… Le plus spectaculaire : la maison malade, comprenez une cabanette en plexi transparent, assez imposante et en contraste avec le caractère cossu des objets environnants, rivalisant de profusion et vomissant des boites en surnombre, chacune garante d’une histoire. Comme quoi la maison est bien le lieu de l’enfermement sur soi-même, des petits drames qui peuvent finir en tragédie, ou du moins en roman familial. Au sol, dans la dernière pièce, un bulldozer miniature écrase des gélules à taille normale. Chaque salon réserve ses surprises : une pilule en cristal, sectionnée en trois morceaux ; des portraits photographiques de tous âges et origines exhibant à pleine langue le comprimé calmant ; des ampoules plongées dans le liquide, une impression en accordéon, des dessins en référence au cerveau, des neurones concrets comme échappés de la boîte crânienne… Des photos, beaucoup de photos introduites discrètement là où on ne le attendait pas, confondues avec les choses, comme disait Pérec et accentuant leur prospérité repue. Jeanne Susplugas a manifestement joué la carte de la saturation, de la surdose, afin de mêler à ses interventions un contenu qui soit un peu son message. Nous sommes malades d’addictions de tous ordres qu’elles désignent les engouements, des passions futiles, des anxiétés nocives, des incapacités d’adaptation ou l’attachement excessif aux choses de ce monde – et peut-être même aux choses de l’art. L’enseigne au néon nous prévient dès l’entrée : l’artiste nous propose des « distorsions ». La visite à laquelle elle nous convie ne se veut pas apaisante. La réalité des intérieurs n’est pas toujours celle que présente un extérieur à la façade rassurante. L’intérieur est tout autre, déformé. Une paire de chaussures enveloppé de plastique nous prévient : laissez vos préjugez à l’entrée. La production de Jeanne Susplugas se veut un antidote, un avertissement, une révélation : ce sont de ces distorsions-là qu’elle nous entretient. BTN

Jusqu’au 10 janvier, 6, rue Montpellieret, 0467148300

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