Lucio Fontana, Musée Soulages, Rodez (12000)
C’est à une exposition de tout premier ordre que nous convie cet été le Musée Soulages. Lucio Fontana est en effet un artiste majeur grâce auquel peinture et sculpture, outre que l’on finit par avoir du mal à les distinguer, ont atteint un aboutissement que l’on ne peut feindre d’ignorer. Fontana et Soulages, se rejoignent dans leur quête manifeste d’absolu (les Trous par lesquels passe l’infini de Fontana, l’outrenoir de lumière chez Soulages) et par leur posture particulière qui veut que l’œuvre en appelle au spectateur à même de lui attribuer une signification particulière. Les salles temporaires offrent un panel à la fois thématique et chronologique. Elles sont divisées en trois sections qui mettent en évidence une trilogie : d’abord Matière-Lumière-Couleur, ensuite la notion d’Utopie autour de laquelle s’articule l’essentiel des œuvres les plus connues de cet argentin adopté par l’Italie, L’espace actif enfin puisque l’adjectif « spaziale » intervient dans ses œuvres les plus célèbres (sous forme de concept, d’environnement, de sculpture…). Mais dans le même temps l’exposition nous rend sensible au parcours d’un artiste qui, ayant découvert le futurisme, demeure fidèle à cette pensée d’un futur impliquant pour lui un évident renouvellement conceptuel de l’art tout en conservant l’idée que la conquête spatiale relativise les expériences humaines infiniment modestes par rapport à l’immensité du cosmos. Sans doute ses perforations, ses incisions, gestes que l’on pourrait croire iconoclastes, sont elles la base à partir de laquelle l’humain peut se reconstruire et renouveler sa vision de l’art. Cela expliquerait quelque peu la réflexion de Fontana selon laquelle « Il y a déjà eu un Futur ». Il en donne d’ailleurs la preuve grâce à ses néons, gigantesques arabesques suspendues, et qui montrent combien un geste humain peut s’accommoder de la technologie contemporaine afin de capturer un peu d’infini sous forme de lumière. Ce même infini qui passe par les trous et incises. L’exposition est d’une richesse inouïe, revenant sur les céramiques figuratives des années 30, ces Vénus colorées et Chevaux à la forme approximative, en grès émaillé, cette Femme se déshabillant ou ce Guerrier traité de manière expressionniste en terre cuite, émaillée et peinte, ou encore cette mosaïque en volume, polychrome, consacrée à une certaine Teresita. Des natures mortes, un crucifix comme on n’en avait jamais imaginé, une scène de Bataille très libre, nous familiarisent avec cette période moins connue de l’artiste. A partir de l’après-guerre, Fontana a trouvé sa voie dans le « spatialisme ». Les volumes se font magmas de matière noirâtre, c’est de la Céramique spatiale, et finissent en globes approximatifs fendus en deux et ourlés telles des lèvres. L’artiste expérimente des taches de couleurs sur papier et lithos avant de se lancer dans ces perforations puis les trous et en dernière instance les incises. On réalise alors la grande variété de propositions explorées par l’artiste, dans des matériaux divers qu’il s’agisse du fer coloré ou du bronze, de la terre cuite ou du verre, de la toile ou des études sur papier, du velours, de l’isorel, des paillettes même. Dès les années 30 des Tablettes gravées sur ciment laissent augurer de décisives découvertes : celles qui nous situent dans le futur. Les sculptures abstraites tendent à se simplifier tout en jouant de la couleur ce qui tend à confondre les genres traditionnels. Au-delà des œuvres majeures, on découvre des réalisations sur papier qui prennent souvent l’allure de Projet « spaziale », de vortex préparatoire, d’étude de trous… Des terres cuites avec incision montrent que Fontana n’a jamais abandonné sa vocation à traiter le volume, et son usage des fentes se prête à de multiples interprétations. Le trou c’est ce qui fait accéder à l’autre côté et donne au support sa tridimensionnalité, ou si l’on préfère son espace. Car l’environnement immédiat, autour de l’œuvre, en fait partie intégrante et est aussi essentiel qu’elle, sa couleur, ses matériaux. Comme on s’en apercevra avec deux œuvres au néon suspendues, Fontana a inventé, avec ses ambiances spatiales, les installations immatérielles fondées sur l’expérience de la lumière qui en font un pionnier de l’art environnemental. La dernière partie nous présente les Petits théâtres aux dimensions imposantes, et qui mettent en abyme et l’art et l’existence – et aussi des ellipses, des torpilles, des pilules aux couleurs et formes décomplexées. On est en tout cas d’autant plus heureux que l’inventeur du « Concetto spaziale » ait été retenu, cet été, dans la salle d’expo temporaire, qu’une vision d’ensemble s’imposait afin de mieux cerner l’originalité de sa démarche. Ce qui est fait. BTN
Jusqu’au 03-11