Jean Hugo, Musée Fabre, Paul Valéry, Médard

Jean Hugo, Musée Médard, Musée Fabre, Musée Paul Valéry

40 années nous séparent de sa disparition. Et l’on se rend compte combien l’œuvre de ce peintre devenu lunellois aura marqué son siècle et sans doute également le nôtre. Sa façon de baliser sa marche quotidienne dans des paysages comme l’on n’en verra sans doute plus jamais relève, par anticipation, de préoccupations qui nous semblent aujourd’hui responsables et urgentes, et nous rappelle des mouvements en vogue dans le dernier tiers du XXème. Au Musée Médard, de Lunel, nous pénétrons un espace intime qui laisse place à la reconstitution de son atelier, à la découverte de ses lieux familiers, à des documents et objets. On se familiarise ainsi, grâce à ses huiles et pastels, de dimension modeste, avec son environnement immédiat, tel qu’on a pu le voir in situ sur le Chemin Jean Hugo. Mais aussi  une version des porteuses de paysage, qui développent une veine plus onirique ou symbolique, Le Baptême qui transfigure le sien, assez tardif mais décisif, après une vie mondaine et parisienne bien remplie, son amour pour la Camargue et ses gardians enfin, tantôt avec taureau (échappé) tantôt avec licorne. Une incitation à pousser un peu plus loin l’investigation.

La scénographie au Musée Fabre est une franche réussite et se présente telle une rotonde à partir de laquelle se rayonnent cinq phases de la vie de l’artiste, précédée d’un rappel de ses origines, grâce à des portraits familiaux, certains célèbres (V. Hugo par Bonnat), et des œuvres d’art (dont un Camille Claudel). Certes on peut y voir l’évolution de sa production jusqu’aux chefs d’œuvre de perfection que sont la grande Chasse à la licorne de 1980. Mais l’intérêt de ce parcours, c’est qu’il est élargi au contexte historique et culturel dans lequel a baigné l’artiste : on croise ainsi des toiles du Douanier Rousseau et même un Picasso, un De la Fresnaye ou un Juan Gris, autour de la section consacrée à la Guerre de 14. Jean Hugo semble avoir assimilé ces influences et les avoir fait siennes, singulières. Ensuite nous découvrons le décorateur Jean Hugo tel que l’on ne le soupçonnait peut-être pas. C’est l’époque des décors et costumes à l’attention de l’ami Cocteau, lequel évoque alors les « Zugos » (son couple avec Valentine), des fêtes mondaines et bal costumés, l’effervescence parisienne s’avérant alors à son zénith : le Bœuf sur le toit, les ballets suédois, le groupe des six, les débuts du grand cinéma. Outre un personnage cubiste de Parade, on y découvre un tableau de Picabia dada (signé par Jean), Radiguet se rappelle à notre bon souvenir, le décor de Jean Hugo pour le Jeanne d’Arc de Dreyer, et la lanterne magique faustienne fabriquée pour les Noailles. Beaucoup d’activités donc pour ce futur ermite de Fourques très apprécié pour son sens du décor. Mais la peinture le hante et c’est sans doute la raison profonde de son exil vers le sud, de son retour aux sources. Nous passons donc De la scène au tableau avant d’entériner le choix, définitif, de cette discipline artistique avec ces petits chefs d’œuvre de finesse, de clarté, d’équilibre, de charme et mystère que sont La Panique, Le cheval pie, Les centaures, ou encore Le puits. Valentine enfourche la cause surréaliste, rappelons que l’on fête les 100 ans du Manifeste de Breton, ce que prouvent ses peintures d’alors, présentées face aux mythologiques paravents de Jean, ainsi que des dossiers de banquette de salon, très décoratifs… En attendant Les métamorphoses, pétrifiées, d’après Ovide car Jean Hugo possédait une solide culture classique. Par ailleurs, on y découvre des œuvres peu connues, ou peu montrées, et qui permettent de mieux cerner l’originalité de ce style on ne peut plus personnel. Très marqué » par l’art primitif (il peint d’ailleurs à la tempera sur bois, notamment son fameux Imposteur), et par le classicisme français, il est bien évidement sensible à ce que l’art moderne a produit de plus audacieux (cubisme en particulier, art métaphysique d’un Chirico, Félix Valloton) et réussit  la synthèse de toutes ces influences pour créer cet univers qui peut paraître naïf mais qui n’est que fraîcheur spirituelle, portée par sa foi tranquille. Jean Hugo n’est en tout cas pas seulement l’ermite de Fourques – encore faut-il nuancer cette désignation : on l’a beaucoup « visité » et cela ne l’a pas empêché de réaliser des paravents bifaces pour l’actrice en vogue Marie Bell ou, à nouveau des décors de théâtre. Nous sommes alors dans l’après-guerre. La suite se donne à voir à Sète.

Les paysages, se retrouvent à Sète. Deux surprises nous attendent : la mise en parallèle amicale des œuvres de Jean Hugo avec la production picturale de Vincent Bioulès, qui  a fréquenté l’œuvre et la personne de son aîné. Choix des couleurs, simplification des formes, géométrisation de l’espace, intérêt pour les primitifs, stylisation extrême, tableau conçu comme un plan vertical… : on comprend que les deux artistes aient eu de quoi dialoguer. Par ailleurs, présence du groupe Montpellier-Sète (Couderc, Fournel, Desnoyer…) qui marqua son époque et avec lequel Jean Hugo eut l’occasion d’exposer. Si l’essentiel de l’expo, en 7 étapes, tourne autour du paysage, et les quatre muses qui le portent, une salle est néanmoins réservée aux intérieurs (magnifique Salon blanc) et natures mortes (L’araignée de mer) et même au portrait (de Marie). Comme on le voit, l’espace intime où vivait Jean Hugo était une source d’inspiration, comme l’a bien compris Bioulès consacrant une toile au petit-déjeuner du maître autodidacte ou faisant le portrait de Léopoldine. Il y est question aussi de ses travaux dans l’édition (notamment avec PAB, pour qui il réalise la plus petite gouache du monde, des illustrations pour René Char…), ses gouaches pour le Cornet à dés de Max Jacob, ou encore ses lithos pour La Saulsaye du poète renaissant, Maurice Scève. Enfin, si Jean Hugo aimait saisir le paysage tel qu’il l’avait visité, il lui est arrivé d’imaginer ceux du Sénégal ou de Ceylan, travail moins connu dans sa production. L’Angleterre, pays de sa seconde épouse, l’a également sollicité comme en témoigne le très animé Port de Londres et une sorte d’itinéraire Shakespeare d’une troublante modernité. Les 3 premières salles nous plongent dans l’univers des paysages qu’a croisés l’artiste, à la fois construits, avec un traitement parfois post-cubiste des volumes, et sublimés par une usage poétique des couleurs qui n’appartient qu’à lui, et qui peut rappeler parfois les à-plats de Matisse. Ainsi  de notre région et son arrière pays  (les carrières de Beaulieu ou de Junas, Plantation d’une vigne), du Sud en général de Hyères à la Catalogne (Calafell, L’étang de Leucate à Barcarès, Les raccommodeuses de filets) mais aussi la Bretagne (L’aber Wrac’h) ou la Normandie (Le pré aux vaches). Devant chaque tableau, on a l’impression  que cela sonne juste, et que Jean Hugo a saisi l’essence, ce qu’il y a d’intemporel dans le motif, transfiguré par sa maîtrise de la lumière, des couleurs magiques et du dessin, impeccable et précis. Qu’il  a résolu, à sa façon, l’énigme du paradis perdu et d’un âge d’or picturalement retrouvé. BTN

22-09 pour Lunel, 13-10 pour Montpellier et Sète.

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